On con­nait Lil­iale Wouters, son allant, sa façon de planter le poème comme un tracé méta­physique, tout dru, tout nu, d’une lim­pid­ité incroy­able : « Pharaon, si j’étais Moïse / Je serais resté près du Nil. / Je con­nais la Terre Promise. / C’est un autre pois­son d’avril, écrit-elle par exem­ple au com­mence­ment de « La marche for­cée », et vlan ! Lil­iane ne s’en cache pas, sa con­nais­sance pro­fonde de la poésie fla­mande, la longue fréquen­ta­tion des mys­tiques de cette terre grasse et rude a fait rouler son sang dans le réel. Son poème par­le en vérité et sonne juste, le plus sou­vent car­il­lon­né par un usage vir­tu­ose et per­ti­nent de la rime. Mais on ne ver­ra ici aucun archaïsme prosodique ou spir­ituel. Lil­iane Wouters n’a ni à se fier aux modes, ni à s’en défi­er. Sa lib­erté de ton la place sou­vent au-dessus du lot. Et, si Le style est l’homme même  (ou la femme), comme aurait dit Buf­fon, on peut être assuré, en lisant ces derniers poèmes pub­liés, qu’on a affaire, ici, à l’expression d’une human­ité remarquable.

L’aveu que fait elle-même le poète, d’avoir com­mencé ce long texte en clin­ique, et le titre même de ce livre, seraient de nature à inquiéter ses amis. Mais, s’il s’agit bien d’un adieu à la vie, celui du Cap­i­taine Nobody, on trou­vera pour­tant, ici même, de fortes raisons de vivre et de vivre encore. La mys­tique de l’auteure s’exprime dans ce « Je » trans­posé : il crée à la fois un décen­trement tout en per­me­t­tant aux choses de se dire.

Et quelles choses ! Le Cap­i­taine médite, par exem­ple, sur le signe de la croix, et sa médi­ta­tion est tout, sauf dévo­tion­nelle : « Je le ferai pour la dernière fois / touchant le front, le cœur et les épaule. / D’abord le front, mon­tant vers la lumière, / puis la poitrine au fond de l’être et puis / à gauche, à droite ceux qui m’entourèrent / et comme moi par la mort seront pris. » Mais il médite aus­si sur le sur­gisse­ment tardif d’un grand amour.

Voilà bien la sur­prise : la déglingue du corps (décrite dis­crète­ment mais sans con­ces­sion) et la mon­tée des mélan­col­ies sont comme fou­et­tées par le sur­gisse­ment amoureux. Qui est Mar­garetha ? Ni l’auteure des poèmes ni son per­son­nage de nar­ra­teur ne pré­cisent les con­tours de cette présence viv­i­fi­ante. De ce fait, un mys­tère cir­cule, entre Nobody, Wouters et vous, leur lecteur. Et cette cir­cu­la­tion de poèmes, d’amour et de vivre, place peut-être Mar­garetha au rang des métaphores. Au moment de larguer les amar­res, le vieux cap­i­taine sent encore l’appel du large. Cet appel prend la forme d’un désir.

Là où d’autres plongeraient au néant, Lil­iane Wouters parie sur un sur­saut de vie. Car la fin de la vie ouvre peut-être une vie nou­velle. C’est ce que sug­gère, avec un tact infi­ni, ce très beau livre.

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Lucien Noullez

Lucien Noullez est né à Brux­elles en 1957. Il a enseigné dans cette ville pen­dant quar­ante ans. Il a écrit une ving­taine de livres de poèmes, qui sont sou­vent d’inspiration musi­cale ou biblique, un réc­it, des cen­taines d’articles de cri­tique lit­téraire… Il a aus­si pub­lié trois tomes d’un Jour­nal, et quelques réflex­ions sur la musique de l’histoire. Il a reçu cer­tains prix lit­téraires, et il en a loupé bien d’autres ! Ses prin­ci­paux livres étaient jadis pub­liés à L’Âge d’homme. Un nou­veau recueil de poèmes sor­ti­ra au print­emps, aux Édi­tions Corlevour.