1. Au ton ent­hou­si­aste de votre présen­ta­tion de cet auteur, on a envie d’en savoir plus sur votre « ren­con­tre avec l’œuvre de Car­les Riba ».

 

Vous êtes per­spi­cace… Fils d’un exilé lié à Bierville et au groupe qui y séjour­na avec Riba, je con­nais­sais de longue date ce poème mais par sa légende seule­ment – c’est un texte mythique en Cat­a­logne — et d’une façon toute extérieure. C’est beau­coup plus tard que, voulant appro­fondir l’héritage de la langue cata­lane, j’ai ren­con­tré et traduit la cinquième élégie. En vérité ce fut pour moi une sur­prise, alors qu’un tra­vail intérieur m’amenait à une con­cep­tion de la vie certes dif­férente mais plus spir­ituelle, de décou­vrir une œuvre dont la pro­fondeur va bien au-delà d’un protes­ta­tion poli­tique ou d’un exer­ci­ce nos­tal­gique. C’est cela qui, après bien d’autres longues années, m’a décidé à en traduire l’intégralité. 

 

  1. Ce sont les élé­gies d’un exilé par force. Mais est-on si loin des élé­gies du gyrovague plus heureux que fut Rilke ?

 

Fin ger­man­iste – il avait étudié la styl­is­tique en Alle­magne — Riba con­nais­sait l’œuvre de Rilke. Ses biographes notent qu’il eut entre les mains à Bierville – dans la dernière livrai­son de la revue Esprit, parue avant la déc­la­ra­tion de guerre  — une tra­duc­tion française des Élé­gies de Duino. Cela lui inspi­ra peut-être son titre, en hom­mage ou plutôt en réponse me sem­ble-t-il au grand poète. Évidem­ment tous deux pren­nent pour mod­èle l’élégie antique et leur façon d’écrire ne sont pas éloignées. Riba lui-même ne fait pas mys­tère de leur fil­i­a­tion com­mune avec les roman­tiques alle­mands. Et tous deux, de façons bien dif­férentes, s’interrogent sur le mal et le deuil comme ils met­tent la lib­erté de l’âme humaine au cœur de leur méditation.

Mais dans ses notes, Riba prend soin de pren­dre ses dis­tances avec «  l’orphisme pan­théiste de Rilke ». À mon avis ce n’est pas seule­ment parce que dès cette époque et plus encore dans la suite de sa vie, le cata­lan se voulut un catholique ortho­doxe. C’est surtout parce que l’expérience dont il rend compte est vécue comme une his­toire de des­sein et de rédemp­tion sin­gulière, comme une ren­con­tre per­son­nelle et une voca­tion inscrite dans une aven­ture col­lec­tive quand, avec Rilke, si toute­fois je l’ai bien com­pris, nous sommes immergés dans l’éternel retour. 

 

Car­les Riba

 

  1. Vous insis­tez dans la pré­face sur vos choix de tra­duc­tion, en par­ti­c­uli­er sur votre regret d’être con­traint de restituer cette poésie en vers libres. Traduire le cata­lan, qui pour le pro­fane a l’air plus proche du français que le castil­lan, oblige donc à tant de sacrifices ?

 

Riba était un puriste et – sans excès de rigid­ité il est vrai — il avait fait de sa fidél­ité aux règles de la ver­si­fi­ca­tion antique un élé­ment con­sti­tu­tif de la poé­tique des Élé­gies. Il n’est que lire l’adresse finale ou ses notes introductives. 

Cette façon d’écrire avait entre autres pour but d’ancrer son pro­pos dans une tra­di­tion com­mune occi­den­tale, à voca­tion uni­ver­sal­iste, ce qu’on peut voir claire­ment dans l’élégie IX.  On a pu remar­quer[i] qu’il se serait éloigné de ce but en adop­tant, comme il aurait pu en être ten­té, le clas­sique déca­syl­labe catalan.

Formelle­ment, traduire en vers libre con­tred­it donc son pro­pos mais il est vrai aus­si que les deux langues en présence sont proches et je me suis appuyé sur cette prox­im­ité pour que l’essentiel de la scan­sion ribi­enne résonne encore (et autant que pos­si­ble car l’accent tonique est ou n’est pas) à l’oreille du lecteur. Ce choix qui m’est habituel con­duit par­fois à forcer un peu le sens des mots en français ou à employ­er des for­mules peu idioma­tiques. Mais dans tous les cas j’ai voulu rester scrupuleuse­ment fidèle au sens lit­téral du poème, ce qui m’a paru essen­tiel compte tenu de sa nature même. Et comme le cata­lan est très direct, avec beau­coup de mono­syl­labes, alors que le français est plus dis­cur­sif, cela m’a obligé quelques fois à com­pos­er des vers d’une longueur à mes yeux excessive.

Mais là encore vous touchez à la vérité car j’avoue que ces regrets sont là  surtout pour ren­dre sen­si­ble à un aspect de l’œuvre qui pour­rait n’être pas suff­isam­ment enten­du et ont donc un petit quelque chose de réthorique… 

 

 


[i] Remar­que de Mme Marie-Claire Zim­mer­mann, anci­enne direc­trice du Cen­tre d’études cata­lanes de l’Université Paris-Sor­bonne (arti­cle pub­lié dans l’ouvrage col­lec­tif « les exils cata­lans en France » PUPS, 2005)

 

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Eric Pistouley

Débuts lit­téraires au Temps qu’il fait : Une poé­tique du livre, un essai qui explore l’instant où, avant d’en lire la pre­mière ligne, on prend un livre dans ses mains. Quand finit l’objet ? Où com­mence le texte ? His­toires de fron­tières, de pas­sages, de chevauche­ment, de jeu entre des ter­ri­toires. Suivi d’un clone de la Religieuse por­tu­gaise, Let­tres de Ré, d’une bluette sous pseu­do et divers­es col­lab­o­ra­tions dont celle depuis bien­tôt dix ans avec la revue Espace(s).