Quelle belle idée que cette ren­con­tre, dans la pénom­bre, des vers de Mar­i­lyne Bertonci­ni avec les pho­togra­phies de Flo­rence Daudé, pour une réc­on­cil­i­a­tion de l’om­bre et de la lumière, leurs épou­sailles engen­drant une lueur tout en nuances et en force dans le même temps.

Dans sa pré­face, Gian­car­lo Baroni souligne com­bi­en « Il est dif­fi­cile d’as­soci­er images et mots, de les faire dia­loguer », que les uns ne l’emportent pas sur les autres et récipro­que­ment. Pari réus­si pour ce livre. C’est l’in­térieur empreint de mys­tère de l’église St Michel de Nan­tua que Flo­rence Daudé a pho­tographié. Plus que les élé­ments con­sti­tu­tifs de cette abba­tiale d’in­flu­ence clu­nisi­enne, c’est bien, selon ses pro­pres mots « la promesse d’une lumière au fond des gouf­fres les plus noirs, la cer­ti­tude que sur la nuit s’ourle tou­jours le début d’un nou­veau jour. », ce qu’énonce Mar­i­lyne Bertonci­ni dès les vers initiaux :

Au début l’ombre
avant le pre­mier bal­bu­tiement de l’aube

All’inizio, l’om­bra
pri­ma del pri­mo bal­bet­tio dell alba

 

Mar­i­lyne Bertonci­ni et Flo­rence Daudé, Aub’om­bre / Alb’om­bra, édi­tions pourquoi viens-tu si tard ?, Nice, 2022, 100 pages, 15 €.

Car il s’ag­it d’un livre bilingue français-ital­ien, cette dernière langue, ajoutant par sa musi­cal­ité intrin­sèque, un sup­plé­ment de chant.

Les poèmes sont brefs (de deux à huit vers), con­cen­trant l’essence des sensations.

Au début, l’ombre
et la main qui tâtonne où la pen­sée trébuche

Le livre est con­stru­it en trois par­ties : Pre­mière, deux­ième et troisième leçon des ténèbres, référence aux Leçons de ténèbres pour le Mer­cre­di saint écrites par le musi­cien François Couperin pour les litur­gies de la semaine sainte de 1714. Mar­i­lyne Bertonci­ni explique à pro­pos de son tra­vail : « la musique de François Couperin s’est immé­di­ate­ment gref­fée sur mon imag­i­naire – sans doute parce qu’en­tre-temps, j’avais moi aus­si éprou­vé le mys­tère de cette église, dépouil­lée et sonore, dans laque­lle j’avais ressen­ti ce que l’orgue ou le chant pou­vaient y produire. »

Une musique pro­pre à l’église, en cor­re­spon­dance avec les teintes de la pierre, la lumière fil­trée par les vit­raux, dans les grands pans d’om­bre, une musique intérieure aus­si sans doute, est exprimée dans les vers de Mar­i­lyne Bertoncini :

Du bleu obscur émerge puis s’éteint
poignante une lueur
qui sourd à peine dans le silence

Puis :

non, sourd ne con­vient pas -
l’ab­ba­tiale est sonore
et toutes les formes bruis­sent dans l’ab­sence de voix

Comme la lumière et l’om­bre indis­so­cia­bles – d’où le néol­o­gisme AUB’OMBRE créé par l’au­teure et qui sert de titre à l’ou­vrage – le silence pro­pre aux églis­es, ce silence habité pour qui se laisse pénétr­er  par le mys­tère trou­ve son écho dans un chant, un mur­mure assour­di que l’on ressent au dedans de soi.

Si les pho­togra­phies de Flo­rence Daudé mon­trent les colonnes, les vit­raux, les voûtes, la stat­ue d’un ange, ain­si que peu­vent le faire les mots de Mar­i­lyne Bertonci­ni, les images comme les vers tran­scen­dent la sim­ple réal­ité objective :

Et les fûts fan­tômes de forêts debout
obscurs sim­u­lacres de formes

Ou encore :

Immatérielle la lumière flotte der­rière les vitraux
le verre la porte et la transmue

C’est bien cette alchimie de l’art poé­tique ou pho­tographique qui trans­forme l’ob­jet sim­ple et vul­gaire en quelque chose de haute­ment noble.

la couleur lève comme une pâte
et la lumière est son levain

Toutes ces promess­es de beauté des élé­ments archi­tec­turaux, de leurs sym­bol­es, des jeux sub­tils de la lumière sont ici tenues, dans ce livre de grande élégance.

Présentation de l’auteur

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Jean-Christophe Belleveaux

Jean-Christophe Belle­veaux est né en 1958 à Nev­ers. Il a fait des études de Let­tres Mod­ernes et de Langue Thaï. Grand voyageur, il a égale­ment ani­mé la revue de poésie Comme ça et Autrement durant sept années. Il a béné­fi­cié de deux rési­dences d’écri­t­ure (une à Rennes, l’autre à Mar­ve­jols) et a beau­coup pub­lié. Bib­li­ogra­phie : •Com­ment dire ? co-écrit avec Corinne Le Lep­vri­er, Édi­tions La Sirène étoilée, 2018 •Ter­ri­toires approx­i­mat­ifs, Édi­tions Faï fioc, 2018 •Pong, Édi­tions La tête à l’en­vers, 2017 •L’emploi du temps, Édi­tions le phare du cous­seix, 2017 •cadence cassée, Édi­tions Faï Fioc, col­lec­tion “cahiers”, 2016, •Frag­ments mal cadas­trés, Édi­tions Jacques Fla­ment, 2015 •L’in­quié­tude de l’e­sprit ou pourquoi la poésie en temps de crise ? (ouvrage col­lec­tif de réflex­ion de 21 auteurs), Édi­tions Cécile Defaut, 2014 •Bel échec co-écrit avec Édith Azam, Le Dernier Télé­gramme, 2014 •Démo­li­tion, Les Car­nets du dessert de Lune, 2013 •ces angles raturés, ô labyrinthe, Le Frau, 2012 •Épisode pre­mier, Raphaël De Sur­tis, 2011 •CHS, Con­tre Allées, 2010 •Machine Gun, Poten­tille, 2009 •La Fragilité des pivoines, Les Arêtes, 2008 •La quad­ra­ture du cer­cle, Les Car­nets du dessert de Lune, 2006 •soudures, etc., Pold­er / Décharge, 2005 •Cail­lou, Gros Textes, 2003 •Nou­velle approche de la fin, Gros Textes, 2000 •Géométries de l’in­quié­tude (nou­velles), Ed. Rafaël de Sur­tis, 1999 •Dans l’e­space étroit du monde, Wig­wam, 1999 •Pous­sière des lon­gi­tudes, ter­mi­nus, Ed. Rafaël de Sur­tis, 1999 •le com­pas brisé, Pays d’Herbes, 1999 •Car­net des états suc­ces­sifs de l’ur­gence, Les Car­nets du dessert de Lune, 1998 •Le fruit cueil­li, Pré Car­ré, 1998 •Bar des Pla­tanes, L’épi de sei­gle, 1998 •sédi­ments, Pold­er / Décharge, 1997 •L’autre nuit (avec Yves Humann), édi­tions Saint-Ger­main-des Prés, 1983 En antholo­gies : •Nous la mul­ti­tude, antholo­gie réal­isée par Françoise Coul­min aux édi­tions du Temps des ceris­es, 2011 •Dehors, antholo­gie sans abris, édi­tions Janus, 2016 •Plus de cent fron­tières (par­tic­i­pa­tion à l’an­tholo­gie), édi­tions pourquoi