En 1993, Alda Meri­ni a reçu le prix Librex Mon­tale pour La Ter­ra San­ta. Le titre plonge d’emblée le lecteur dans un « espace » pré­cis à la fois mythique et mys­tique qui ren­voie à la promesse d’une demeure sacrée dans lequel l’homme peut se régénér­er écrit Fla­viano Pisaneli (lui-même poète) dans sa pré­face. Cet espace est celui de la poésie, corps-matière où flam­boie une énergie dev­enue parole de tous les possibles.

La Ter­ra San­ta est un chant hal­lu­ciné où l’enfermement et le silence sont dévorés. Meri­ni fait explos­er la souf­france où son corps se dis­loque et butent ses mots. Mais elle est mor­due par une abeille ven­imeuse, seule capa­ble de mar­quer sa chair malade du sceau de la poésie, de lui don­ner den­sité et mou­ve­ment : Peut-être faut-il être mordus/par une abeille venimeuse/pour envoy­er des messages/et prier les pierres/de t’envoyer la lumière//. Oui, Alda Meri­ni a per­du les sens, l’enfer de l’hôpital psy­chi­a­trique (vio­lem­ment dénon­cé) anéan­tit tout pou­voir de sub­li­ma­tion. Il est matière pesti­len­tielle, lieu où les han­tis­es sont au parox­ysme et la perte de soi irrémis­si­ble : Affori, pays lointain/ immergé dans les immondices// à nous per­son­ne ne parlait/ sinon à coups de pieds et de poings//Affori où les cris étaient étouf­fés par de san­guinaires coussins.// Il est lieu clôt par excel­lence : les corps n’ont d’autres assis­es que le vide, les bouch­es s’absentent, les élec­tro­chocs sont les répons­es apportées aux corps qui se rap­prochent : ce précipice secret qui est le mien//tu con­nais l’égarement qui est le mien quand je vois un arbre solide//enserrés der­rière les bar­reaux comme des hiron­delles nues// j’ai gardé le silence enfer­mé dans ma gorge/comme un piège à sacrifices/. Mais La Ter­ra San­ta n’est pas seule­ment le recueil d’une femme qui a été internée pen­dant presque vingt ans, ni celui d’une femme que sa folie pousserait à faire acte de cathar­sis par l’écriture, elle n’exorcise pas ses souf­frances mais les sacralise pour mieux les tran­scen­der et les effacer.

Alda Meri­ni s’empare du venin de son abeille, du poi­son de la folie (pou­voir caché du poein?) il lui donne la lib­erté de s’affranchir de tous les inter­dits, ceux qui régis­sent les lois de l’hôpital psy­chi­a­trique et ceux qui polis­sent le lan­gage  alors langue blas­phé­ma­trice. Sa terre, infil­trée par le flux salu­taire, se fait « Illu­mi­na­tions » et « silences tra­ver­sés des mon­des et des anges » : /nais­sances ultraterrestres// mon éter­nité sans limites//. Les images ont jail­li d’un ter­ri­toire où les métaphores sont « déréglées », leur beauté est pre­mière. S’entend la voix boulever­sante d’une femme qui a don­né corps et parole à une terre sacrée. S’il est un être qui a franchi l’innommable et con­naît le secret de la poésie c’est Alda Merini : 

Je n’ai ni feuilles ni fleurs ;

et pour­tant alors que je transmigre

naît pro­fonde la lumière

Alda Meri­ni, La Ter­ra San­ta, Oxy­bia édi­tions, 2013, 136 pages, 15 €.

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Marie-Christine Masset

Marie-Chris­tine Mas­set est née à Ruf­fec en Char­ente en 1961. Après avoir vécu au Maroc et en Suède, elle a longtemps habité près des Cévennes à Saint-Jean-de Buèges. Elle vit à présent à Mar­seille où elle enseigne les Let­tres. Bib­li­ogra­phie Bib­li­ogra­phie — Dia­clase de nuit, Hors-Jeu Édi­tions, 1994 — Parole Brûlée, L’Ar­bre à Paroles, Bel­gique, 1995 — L’Em­brasée, Édi­tions Jacques Bré­mond, 1998, prix Ilar­ie Voron­ca — Ile de ma nuit, Édi­tions Encres Vives, 2006 — Et pour­tant elle tourne, Poètes des Cinq Con­ti­nents, 2007 — Yaraan, Édi­tions La Porte, 2011 — L’Oiseau rouge, ver­sion bilingue, tra­duc­tion de l’anglais (USA) Andrea Moor­head, Edi­tions Oxy­bia, octo­bre 2020. Tra­duc­tion de l’anglais (Aus­tralie) — Kevin Gilbert, Le Ver­sant noir, Le Cas­tor astral, juin 2017. Tra­duc­tion de l’anglais (USA) • Gary Sny­der, Poème pour les oiseaux, Le Cas­tor Astral, 2023, Essai • D’une rive à l’autre, quand les poètes traduisent les poètes, édi­tion Tit­ul­li 2023, Antholo­gie. — Vis­ages de Poésie, antholo­gie, Jacques Basse, Raphaël de Sur­tis, 2009 — Vis­ages de Poésie Vague de poésie en Méditer­ranée, antholo­gie, Jacques Basse, Raphaël de Sur­tis, 2014 — Là où dansent les éphémères, 108 poètes d’aujourd’hui, réu­nie et présen­tée par Jean-Yves Reuzeau, Le Cas­tor astral, 2022. Livres d’artiste Avec Joëlle Jour­dan pho­tographe et plas­ti­ci­enne : — Entre feu et cri — Trêve lumineuse — Partage des eaux, Édi­tions Trou­vailles — Eau Con­stel­lée, 2009 Avec Marc Giai-Mini­et pein­tre, graveur, et dessi­na­teur : • Lac Eyre, Les édi­tions du nain qui tou­sse, 2014