C’est dans la col­lec­tion debout, poète, debout et avec une cou­ver­ture rose (couleur préférée de l’auteur), que Oxy­bia édi­tions pub­lie en ver­sion bilingue, limpi­de­ment traduit par Patri­cia Dao, Délire amoureux d’Alda Meri­ni.

Poète ital­i­enne de renom (1931–2009), Alda Meri­ni a été une pre­mière fois en cure pour trou­bles psy­chi­a­triques à l’âge de quinze ans. Vingt ans de silence édi­to­r­i­al ont suc­cédé à dix ans d’internement.

Elle est folle, adjec­tif provo­ca­teur pour dire son chant hal­lu­ciné, ce lien qu’elle tisse avec acharne­ment et ardeur avec le corps de l’Eros :  l’Autre (nom­mé Lui) (son mari trag­ique­ment dis­paru), ses amants, le Christ,  sa mère, son pro­pre corps, la poésie, « Aimer Christ veut dire en ingér­er le corps » « Quand ensem­ble nous arriv­ions devant Dieu, nous nous dés­in­té­gri­ons dans la poésie » « Mère chaque fois qu’ils m’ont mal­traitée, ils t’ont repoussée dans l’ombre » «Je me tenais à l’écart en me deman­dant si mon corps était comme ma poésie et ma poésie comme mon corps. Le piège com­mença peut-être là »

Alda Meri­ni com­pare sa folie à une langueur amoureuse, elle par­le, elle écrit, se fait poète armée de son arc de vengeance : le poiein. Délire amoureux devient ce lieu où sur­gis­sent les écla­tantes épipha­nies de l’auteur, ses nais­sances ful­gu­rantes « où le corps par­le en mélangeant dialectes septen­tri­onaux et rythmes dan­tesques ». Alda Meri­ni s’écarte de la poésie tra­di­tion­nelle, son livre ne forme pas un recueil de poésies, les textes en prose poé­tique ne sont liés les uns aux autres ni par le sens, ni par la chronolo­gie. Rosaires, ils incar­nent le souf­fle du poète, son chant de vie, son humaine et lumineuse vérité : « Les mots sont des haies vertes et hautes où se tapis­sent de nobles faons » écrit-elle. De même que l’on ne saurait se ris­quer à définir le style de l’auteur,  tant il est en deçà de toutes normes. Son écri­t­ure est sans pareille. Délire amoureux, est amour vis­céral, vital, du langage

Pen­dant plus de dix ans, Alda Meri­ni a subi l’asile psy­chi­a­trique, l’internement, l’isolement. Elle en dénonce l’atrocité, en con­damne la vio­lence et la déshu­man­i­sa­tion : «  Un jour un nuage gris  tom­ba sur mon exis­tence, je fus enter­rée en psy­chi­a­trie. » « Je me débat­tais cer­taines fois  à même le sol, je ressem­blais à une étrange couleu­vre qui dévo­rait ses pro­pres vis­cères. » « Le malade men­tal subit des per­sé­cu­tions innom­ma­bles ».  Le psy­chi­a­tre Basaglia fut à l’origine de la pro­mul­ga­tion de la loi 180 en 1978 ordon­nant la sup­pres­sion des hôpi­taux psy­chi­a­triques en Ital­ie, loi très lente­ment appliquée « Je ne savais pas que après la loi Basaglia des asiles psy­chi­a­triques étaient encore ouverts. » A l’horreur de l’internement s’ajoute la cru­auté de la pau­vreté, vio­lem­ment dénon­cée « l’asile est une grosse struc­ture pour pau­vres » « Si Basaglia a été si mal inter­prété c’est parce que ce qu’il pro­po­sait n’était pas rentable. » Pau­vreté qu’elle recon­naît être ‑aus­si- à l’origine de la pub­li­ca­tion de Délire amoureux : «  Je pub­lie ce livre parce que j’ai faim. »

Délire amoureux est un livre qui ne ressem­ble à nul autre, il dit la tra­ver­sée extra­or­di­naire d’une femme dans l’existence, il est aus­si plongée sans pro­tec­tion dans cet « incon­scient riche comme le fond des mers, plein de coraux et d’éponges, de sirènes et de per­son­nages de rêves.» Ce livre est l’incarnation poé­tique, vivante, d’un per­son­nage de rêve : Alda Merini.

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Marie-Christine Masset

Marie-Chris­tine Mas­set est née à Ruf­fec en Char­ente en 1961. Après avoir vécu au Maroc et en Suède, elle a longtemps habité près des Cévennes à Saint-Jean-de Buèges. Elle vit à présent à Mar­seille où elle enseigne les Lettres.

Bibliographie

  • Dia­clase de nuit, Hors Jeu Edi­tions, 1994
  • Parole Brûlée, L’arbre à parole, Bel­gique, 1995
  • L’Embrasée, Edi­tions Jacques Bré­mond, 1998, prix Ilar­ie Voronca
  • Le seul oiseau ou le secret des Cévennes, Edi­tion Lacour Ollé, Nîmes, 2005
  • Ile de ma nuit, Encre Vive, 2006
  • Et pour­tant elle tourne, L’Harmattan, 2007
  • Vis­age de poésie, antholo­gie, Jacques Basse, Edi­tions Raphaël de Sur­tis, 2009
  • Yarraan, La Porte, 2012
  • Terre de Femmes, antholo­gie poé­tique , Angèle Paoli, Ter­res de femmes, 2012
  • Une fleur jaune dans la mon­tagne, L’Harmattan, 2012
  • Livres d’artiste avec Joëlle Jour­dan, pho­tographe et plasticienne 
    • Entre feu et cris, 2007
    • Trêve lumineuse, 2008
    • Partage des eaux, Edi­tions Trou­vailles, 2008
    • Eau Con­stel­lée, 2009