Je pas Je

Par | 6 février 2015|Catégories : Chroniques|

 

Dans Le Monde des Livres
vendredi 6 février 2014

Je pas Je / I not I

Réginald Gibbons

 

 

“Recours au Poème, un nom sans équiv­oque pour une revue de poésie éclec­tique qui lance une mai­son d’édi­tion sur la Toile. Et déjà quelques belles décou­vertes, comme le ver­tig­ineux Je pas Je de Régi­nald Gib­bons (né en 1947), poète pro­lixe à l’i­den­tité déchirée”.
Didi­er Cahen

 

www.recoursaupoemeediteurs.com/ailleurs/je-pas-je-i-not‑i

 

Pour se pro­cur­er et/ou décou­vrir le livre de R. Gib­bons, suiv­re le lien. Les livres Recours au Poème édi­teurs peu­vent être lus par tout le monde, avec ou sans liseuse/tablette. La mai­son d’édi­tion pro­pose aus­si des abon­nements, très avan­tageux, pour ses livres.

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JE PAS JE

Par | 18 août 2014|Catégories : Blog|

 

Tu as recueil­li dans le creux de mes paumes l’eau jaillissante
Tu as marché les milles avec ma détermination
Tu as été à l’affût des pre­miers bruits de la nuit avec mes oreilles
Tu as fait le tra­vail avec mes mains endo­lo­ries et mes pieds trébuchants

Tu as dit les mots avec mes lèvres et ma langue
Tu as bu avec mes gorgées de soif
Tu t’es pré­cip­ité sur la pente boisée avec mes jambes et mes poumons
Au som­met tu as ressen­ti le vent froid sur ma peau

Tu as comp­té tes res­pi­ra­tions avec mon attention
Goulû­ment tu as goûté à tra­vers mon nez
et ma bouche les sen­teurs de fleurs et d’enfants
Tu as poussé mon souf­fle avec mon ven­tre jusque dans ton cri

Tu as démarché pour des sig­na­tures avec ma persuasivité
Tu as fait du stop sur le chemin de la man­i­fes­ta­tion avec mon pouce
Avec mes poli­tiques tu as étudié les foules et les orateurs
ensuite tu as marché les long de réelles avenues avec mes ques­tions en tête

Tu as avancé les images dans ma pensée
Tu as bat­tu le sang dans mon corps avec mon cœur
Tu as usé de mes yeux pour voir la belle nudité de la femme
Tu es entré dans le beau cun­nan de la femme avec mon dictare

Tu as soulevé le deuil rouge et lourd et l’as porté dans mes bras
Tu as éprou­vé ma douleur alors que les blessures de poignard guérissaient
Tu as tâté mon brouil­lard men­tal pour trou­ver le mot nécessaire
Tu as per­du le fil de ma pensée

Tu as pris ce que tu voulais avec mon appétit
Tu as déchiré et mâché viande et colère avec mes dents
Tu as avalé fort avec ma gorge
Tu as util­isé mes boy­aux pour éjecter la merde

À toi, il t’est arrivé des choses dans mes rêves
Tu as enfiévré la chaleur de mes désirs et mes frayeurs
Avec ma musi­cal­ité tu as joué du piano
Tu as écrit les pages de ma main droite

Avec comme excuse ma fatigue tu as arrêté de créer
Tu as trou­vé dif­fi­cile d’éviter l’ambiguïté
d’une con­stata­tion qui per­met une inter­pré­ta­tion plus aisée
Tu as eu de la dif­fi­culté à rec­ti­fi­er le passage

afin unique­ment de per­me­t­tre l’interprétation difficile
qui est sin­guli­er, élusif et au moins quelque peu perdurable
Tu n’étais ni un dieu ni un esprit mais c’est par moi que tu es arrivé
Tu n’étais pas moi but tu n’arrivais que par moi

 

extrait de
It’s Time (Il est temps)
—Baton Rouge, Louisiana State Uni­ver­si­ty Press, 2002

 

Tra­duc­tion : Nathanaël

 

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