Grenier du Bel Amour (13)

Par | 6 juillet 2014|Catégories : Chroniques|

Voici longtemps que, à la suite de la tra­duc­tion en grec des livres de la Bible par les « Sep­tante » à Alexan­drie, nous avons pris l’habitude, dès qu’on par­le de l’Amour, d’opposer les deux  ter­mes d’éros (qui aurait plus ou moins à voir avec la pul­sion sex­uelle) et d’agapè (l’amour libre de tout ‘souci de soi’, ouvert aux autres et à la gra­tu­ité de Dieu).

Dis­tinc­tion qui a large­ment à voir, en-deçà d’Aristote, avec la dis­tinc­tion déjà intro­duite par Pla­ton entre l’Aphrodite pan­demia – autrement dit, l’Aphrodite vul­gaire à laque­lle nous sac­ri­fieri­ons trop facile­ment – et l’Aphrodite oura­nia : l’Aphrodite céleste auquel n’auraient accès que ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont engagés dans une véri­ta­ble quête philosophique.

Dis­tinc­tion et oppo­si­tion repris­es à satiété par le chris­tian­isme tri­om­phant – et donc par notre cul­ture : Anders Nygren, le théolo­gien scan­di­nave, s’appuie entière­ment dessus, et on sait comme, dans sa fameuse (et si fausse) analyse de l’histoire de Tris­tan et Iseult, quelqu’un comme Denis de Rouge­mont y a sans cesse recours. Jusqu’à un Jacques Lacan (quoi qu’il s’en défende et qu’il mette apparem­ment en cause les deux auteurs que je viens de citer), qui, dans son chris­tian­isme de fond, y fait encore large­ment appel !

C’est pourquoi il est bon et rafraîchissant de suiv­re une médi­ta­tion au long cours qui fait bien ressor­tir comme ces deux notions ne sont pas for­cé­ment antithé­tiques, mais se trou­vent beau­coup plus dans un rap­port d’inclusion de l’éros par l’agapè (et récipro­que­ment, aurais-je per­son­nelle­ment envie d’ajouter)

D’ailleurs, dans les textes sacrés de notre civil­i­sa­tion, c’est-à-dire dans l’ancien hébreu, n’était-ce pas le même verbe dont on se ser­vait pour désign­er le fait d’aimer – que ce fût une femme (je suis évidem­ment un homme !), ou bien le Seigneur ?

C’est pourquoi – bien que, on s’en doute, je ne sois pas tou­jours d’accord avec lui… – l’ouvrage de Michel Théron me paraît très pré­cieux : struc­turé en autant de thèmes que l’on peut abor­der selon ses inspi­ra­tions du moment (point de lec­ture imposée, et on y picore sous l’effet de ses curiosités pas­sagères), nour­ri par de mul­ti­ples références lit­téraires ou philosophiques qui ne sont jamais là pour réciter du « prêt-à-penser », mais qui vien­nent enrichir la réflex­ion et lui per­me­t­tre de s’approfondir, il offre une médi­ta­tion qui bous­cule bien des idées reçues et oblige à « frot­ter sa cervelle » à celle d’un homme dont on sent bien qu’il n’a écrit qu’après une longue expéri­ence qu’il tente de jauger en l’éclairant, et de com­pren­dre jusqu’à son tuf le plus profond.

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Grenier du Bel Amour (13)

Par | 29 juin 2014|Catégories : Blog|

On sait que « La Princesse de Clèves » parut d’abord, au XVII° siè­cle, d’une façon tout à fait anonyme – même si nous savons bien aujourd’hui que l’auteur (l’autrice ?) en était la comtesse de Lafayette.

Dont nous con­nais­sions aus­si d’autres œuvres comme “l’Histoire de la princesse de Mont­pen­si­er”… ou “l’Histoire de madame la comtesse de Tende”.

Eh ! quoi, se dira-t-on, unique­ment des his­toires qui con­cer­nent des mem­bres de la haute noblesse ? En effet – mais com­ment faire dif­férem­ment en cette époque où la France tout entière tour­nait autour de son roi et de ceux qui l’entouraient ?  Il suf­fit à ce pro­pos de se rap­pel­er “l’His­toire amoureuse des Gaules” du comte de Bussy-Rabutin qui, sous un déguise­ment facile­ment décrypt­able, annonce déjà les chroniques scan­daleuses de Saint-Evremond.

Mais quel béné­fice à en tirer !

Je me sou­viens de ce que mon père me fit lire Madame de Lafayette dès l’âge de dix ans, en arguant qu’il était tou­jours bon de saisir le monde comme il va… Et l’on a vite fait de s’apercevoir que ces his­toires de grands nobles nous con­cer­nent tous tant que nous sommes, ou selon ce que nous sommes devenus.

N’y a‑t-il pas là, en effet, au-delà de ce que le « grand siè­cle » avait cru y voir, c’est-à-dire des romans his­toriques (ce qu’ils sont aus­si, et il n’est pas ques­tion de le nier), des textes qui nous intro­duisent dans les labyrinthes du cœur et de la gloire ? Après tout, il serait intéres­sant d’examiner les rap­ports d’esprit de Madame de Lafayette au théâtre de Corneille, et de se deman­der si Denis de Rouge­mont, dans “L’Amour et l’occident”, ne pro­duit pas un mer­veilleux con­tre-sens en rac­crochant « La Princesse » à tout le phy­lum issu de la légende de Tris­tan et Iseult.

Je sais, les temps ont changé depuis le XVII°. Mais, loin de l’interprétation de son temps, Madame de Lafayette n’avouait-t-elle pas implicite­ment qu’elle par­lait de l’humanité telle qu’elle est, ou bien se voudrait,  quand elle se félic­i­tait de ce que son ouvrage “anonyme” ne lui fût pas (encore) attribué ?

Avouons-le, c’est une mer­veilleuse ini­tia­tive de la Pleïade, que de nous faire accéder aux “Œuvres com­plètes” de la comtesse, et de nous faire décou­vrir des textes comme Zayde ou comme l’Histoire de la mort d’Henriette d’Angleterre - et surtout, de nous per­me­t­tre de lire une superbe cor­re­spon­dance qui s’étale sur plusieurs décennies.

Donc, et quoi que puis­sent en penser cer­tains esprits cha­grins, un vol­ume à lire de toute urgence, et j’oserai ajouter : avec une infinie reconnaissance !

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