Hommage poétique à Jean Grosjean

Par | 23 février 2013|Catégories : Essais|

 

Le jour qui s’en va
nous laisse dans l’ombre
avec ton visage
soir
Une  voix, un regard, Jean Grosjean

 

 

 

image_pdfimage_print

Hommage poétique à Jean Grosjean

Par | 23 février 2013|Catégories : Blog|

A Jean Grosjean

I

Un autre jour te rencontre
il cherche son usage
par­mi  les encom­bre­ments de l’atelier

La croisée hésite encore
chargée du lan­gage engour­di du spectateur
s’étonne de  son reflet
sous la nuagerie prodigieuse d’Humilis

-Toi si vif à regarder le ciel
à écrire l’unique présent des nuages-

Au loin les éteules  en rayons
se dis­sipent dans la brume
passent sans être feu
 
    

        – ne par­lons pas de Lui

sa présence est pleine
en toute chose-

                             II

 

Une poignée d’ordre
cherche la clenche
d’un pou­voir de fait

Sur le chemin de Damas
aux pas d’un sémite sans théâtre
des passeurs indé­ni­ables dressent leur tente
abreuvent l’ aube du caravansérail
de pois­sons pariétaux

Ce qui est à dire se tient dans la main
telle une pointe de flèche dis­traite dans l’éternité
glo­rieuse de con­stru­ire le fil de sa nuit mystérieuse

Ora­cle des restitutions
les augures  présen­tent les artabes
Les résines     les fleurs de mai
passées sous la lune dans une brassée d’arômes

L’onde johan­nique prospère
à la gloire des anges

       ‑La vérité des hommes
       n’est pas un point fixe
     elle est une vari­able d’ajustement-

 

                             III

 

Langue du via­tique où l’air et la fièvre
cin­g­lent sur un champ échardonné

Langue morte ou langue muette
‑le Seigneur- te par­le à sa ligne d’horizon
te voilà  inter­prète d’un songe
apôtre d’une poétique

L’esclave prend ta main
pour  par­ler en frère
il fait froid      les marabouts s’ensablent
les zèbres filent vers l’océan

                            

IV

 

Présent à la berceuse
tu as rêvé la pierre du repos
où cas­sante comme un genêt
se dis­po­sait la soif

Le poème     hôte de l’obscurité
est jeté dans la fos­se aux lions
dans cette prairie étoilée ten­due de sable
où des fauves s’entr’suivent
sans pou­voir échap­per à la servilité

Ils n’épargneraient personne
absents pour un exil destiné
une illu­sion mercenaire

-dia­logue de la nécessité
et de la pauvreté-

 

Passerais-tu ici encore
dans une mis­éri­corde de visite
que l’orphelin ne te regarderait pas

La forge s’est tue au pas­sage de l’enfant
ses san­dales ailées à la main

                            V

 

Aux rives de la Marne
une fugue te con­duit tristement
vers la vache aux reins brisés
qui beu­gle rongée de vermine

Aux chevaux réformés
en route pour la boucherie

Il en va ain­si des indiens
toi qui suiv­ait Mayne-Reid
cher­chant les fleurs la nuit venue
après l’écoute aveu­gle de la Bible

                            VI

 

Verg­ers et vignes achèvent leur périple
les fer­miers aguer­ris s’apprêtent sans tarder
à brûler branch­es et sarments

Ah     le gen­tianère  des plateaux de Gergovie
émule d’un siè­cle qui s’effondre
lâchant au bef­froi la balle tressée
pour une proie plus simple

 

Les roselières s’endorment
silen­cieuses aux chants des oiseaux
échap­pés le  long du fleuve

La vase s’abouche à la nasse
et le petit berceau d’osier
court au fil de l’eau
tu repêch­es quelques recrues venues à ta rencontre
fussent un manœu­vre  ou quelques autres incertains

                           

VII

Se taire encore
l’auréole d’un fauve accroupit hors de toi

Un regard amusé
vers les froideurs harmonieuses

Faudrait-il chan­son­ner
don­ner son temps à la musette

Tout s’efface ainsi
dans la tor­sion des flammes
et l’écart inso­lite du vécu

Rien à approcher
rien à perdre
les mots sont plongés
dans un seul aujourd’hui
ils se  glis­sent vers l’obscurité naissante
vagabon­dent à la lisière du toit

 

 

                             VIII

 

 

Quel sou­venir commun
que celui des étendards
aux portes de la jeunesse
où route de Saumane   apprenant à écrire
je décou­vrais l’orage du poème

Crinière du lion déchaîné
qui tournoie dans la fosse
— Il est tou­jours là     rugissant -

On t’a jeté à bas n’est-ce pas
et tu rechignes devant la servitude
raide et pâle cher­chant des manières
refu­sant de rejoin­dre la déroute des consciences

Les traces sont bien visibles
sur le sol boueux

                          

   IX

Décem­bre tourne le dos au vit­rail des cieux
les mois nou­veaux prévi­en­nent de leurs racines fraîches
avant de s’endormir les uns con­tre les autres

Dans l’inventaire des cal­en­des barbares
et des super­sti­tions modernes
les nucléus pathé­tiques d’un thermidor
                                  de tant d’autres mis­ères s’imposent au bilan
le rêve prussien s’efface lui-même devant la guerre

Il faut alors beau­coup de tendresse
pour approcher le défaut de parole
et offrir cet amour en un gué sans naufrage

 

              

     X

 

L’air froid s’immisce sur la poitrine
par ce petit matin d’orfèvre
allant vers quelques glanes

Tu march­es encore
qui peut t’entendre aux portes de l’Orangerie
puisque ton souf­fle est retenu
et que nous pro­fes­sons le vacarme

Ta noblesse est un doute
tes yeux d’aigle
ardents à l’ordre et à l’exactitude
croisent alors devant la table dressée
un thé qui ne renonce à rien
impec­ca­ble  dans la lueur de cette fin d’après-midi

Puis devant quelques saisons
‑bocks à la lev­ure amère-
que l’ardennais explore en nos enfers
un car­naval de fer­rures et de toiles
agite la quié­tude cher­chée en vain à cette heure

Penché sur l’évangile de Jean
‑celui qui entend-
à l’écoute du mou­ve­ment qu’il admire
tu déchiffres les traces du soleil sur le mur

     ‑Lui est son idée fixe
oubliée dans l’Eden
qu’il pen­sait avoir achevé-

 

                   XI

 

 

Cela est bien
la nuit descend sur l’arène
par­mi les copeaux et les limailles
et les sol­dats de plomb rangés pour la bataille

Mais si frag­ile que soit l’été des mots
nous braquons nos faces sur l’insomnie factieuse

Les pages tournent
elles ne se débat­tent plus
l’envol  se consume
dans le flot des ardeurs et des dissipations

Alors     écrire comme une manie
pas-à-pas pour voir apparaître
laiss­er naître l’ouvrage

Les fleurs enfantines
vont allumer les voiliers du recueil

Le gibier à la passe
les flo­res     les arbres nus
recon­duits de l’imparfait
vers un semis éclairé de hasard

                              — Le vide ancien gagne en nom­bre    de sorte qu’une ironie bienveillante
                                                         s’échappe de ton visage -
 

 

                           XII

 

 

Je cherche ici et là à me reconnaitre
à retrou­ver nos conversations
et l’éclat des après-midi

Le rosier Gros­jean si bien apprêté pour le chemin
que je por­tais depuis  le vil­lage d’Avant jusqu’au domaine
a recon­duit son immen­sité grâce à toi

-Trinité inex­primable
Imper­cep­ti­ble abandon-
     
Des sou­venirs au prof­it du don
font sécession
comme passés d’un point à l’autre
sans jus­ti­fi­er leurs actes

Les fauves ne furent pas apprivoisés
       mais apaisés     mir­a­cle du poème
              pour la gloire du Verbe

Réso­lu­tion de celui qui s’évade
pour revenir de son plein gré dans la fos­se aux lions
retrou­ver la langue mère
et la rigoureuse condition
                                  de l’enfant qui s’endort
      
      ‑La pluie du vent
dort en quelque lieu-

    

Noël 2012      In   Memoriam

 

Grand mer­ci à Jacques Réda d’avoir rassem­blé en ami « une voix un regard » chez Gal­li­mard « ces pièces aban­don­nées » à notre connaissance
 

image_pdfimage_print
Aller en haut