Pierre Chabert

Par | 22 mars 2013|Catégories : Essais|

Avec l’émotion tou­jours se — chercher sous la peau, se grat­ter sous le silence — ou même la — déri­sion, tou­jours se chercher, ne sachant ce qui par­le, (Pierre Chabert).

 

            Né le 3 novem­bre 1914 à Cavail­lon, Pierre Chabert, le doyen des Hommes sans Épaules, est décédé le 18 décem­bre 2012, d’une attaque cérébrale. Il venait d’avoir 98 ans. « La poésie est de toute évi­dence le fer­ment qui tra­vaille de l’intérieur notre société trop organ­isée, soumise aux lois de l’argent, du tra­vail inten­sif, du ren­de­ment. La société laisse au poète cette place-là, pré­cisé­ment, qui est de la con­tester, de la met­tre sans cesse en face d’elle-même. Celui qui écrit de la poésie obéit assuré­ment à une voca­tion, il veut exercer une action sur soi et sur les autres. Même dans l’individualisme, l’acte d’écrire est des­tiné à rompre l’isolement, à créer la com­mu­ni­ca­tion », déclarait volon­tiers Pierre Chabert, qui fut pro­fesseur de français-latin-grec suc­ces­sive­ment à Toulon, Embrun, Taras­con et au lycée Mis­tral d’Av­i­gnon. Esprit libre et hon­nête, comme il n’en reste plus beau­coup ; poète rare et vrai, Pierre Chabert a été un aîné atten­tif, mem­bre fon­da­teur et col­lab­o­ra­teur des trois séries de la revue Les Hommes sans Épaules. Mais il est surtout l’auteur d’une œuvre sin­gulière dont l’aura ne s’est pas démen­tie au fil des ans. Pierre Chabert est l’auteur de vingt pub­li­ca­tions, d’Ombres chi­nois­es (1935) à l’anthologie L’Amour la mort (2001), qui balisent un demi-siè­cle en poésie. Pierre Chabert, cet homme du Sud, ama­teur de ver­dure et de natur­isme, a pré­cisé Jean Bre­ton, a d’abord pub­lié des poèmes trans­par­ents, gais et solaires, qu’il a regroupés pour la plu­part dans Aram­bre (1965). Plus tard, sa gen­til­lesse née et sa bon­homie un peu scep­tique ont soudain ren­con­tré les cha­grins de la vie. Se sou­venant peut-être de l’exemple de La Bruyère, il inven­ta un bes­ti­aire peu­plé de mon­stres (Les Sales Bêtes). Comme il sait décor­ti­quer leurs humeurs, leur méchanceté, leurs coups de pattes ! Il flaire les tach­es, les odeurs des sales bêtes, soupèse la con­tra­dic­tion, éti­quette le poi­son. Une écoute presque biologique du mal chez les autres. Un anar­chiste se venge des torts subis ! Œil pour œil… Il donne ses let­tres de noblesse à ce qu’il appelle « l’humour de sang ». Les Sales bêtes, comme l’a dit Pierre Bou­jut, n’est pas seule­ment le chef‑d’œuvre de Pierre Chabert, mais un chef‑d’œuvre. À ses recueils, il con­vient d’ajouter les nom­breux arti­cles, études et pages de jour­nal, qu’il don­na dans La Tour de Feu, la revue de Jarnac, dont il fut l’un des piliers. Chabert fut égale­ment proche du Pont de l’Épée de Guy Chambelland.

 

            L’aventure édi­to­ri­ale de Pierre Chabert débute en 1948, lorsqu’il devient cri­tique lit­téraire à Vie libre, revue natur­iste d’Avignon. Jusque-là, il a voulu être poète, et donc, il a « tra­vail­lé, imité, trou­vé des rimes. Plus que cela : traqué un lan­gage ». Grâce à Vie libre, il reçoit des revues, des recueils de poèmes, et fait la con­nais­sance de nom­breux poètes, dont celles, déter­mi­nantes, de Pierre Bou­jut, de Guy Cham­bel­land et de Jean Bre­ton. Il par­ticipera à leurs trois revues : La Tour de Feu, Le Pont de l’Épée et Les Hommes sans Épaules, à laque­lle s’ajoutera plus tard, Poésie 1 de Michel et Jean Breton.

            Pierre Bou­jut (1913–1992) vit à Jarnac (Char­ente) où il est ton­neli­er, marc­hand de « Fers & Futailles », tout en ani­mant (pen­dant près de soix­ante années), une revue lit­téraire qui portera tour à tour les titres suiv­ants : Reflets (1933–1936), Regains (1937–1939) et enfin celui de La Tour de Feu (1946–1991). Esprit libre et lib­er­taire, Pierre Bou­jut n’a de cesse de fédér­er autour de son ardent désir de « revue inter­na­tion­al­iste de créa­tion poé­tique », un impor­tant groupe d’amis : les poètes Adri­an Miatlev, Edmond Humeau, Jean Fol­lain, Pierre Chabert, Fer­nand Tour­ret, Emmanuel Eydoux, Georges-Arthur Gold­schmidt, Pierre Chaleix… Chabert (dans une let­tre à Jean Bre­ton), relate : « Tout un pro­gramme. Jarnac devient pour moi le lieu où vivre. C’est l’été, les vacances. Paysage calme, vert, la riv­ière, le chai, les poètes. Une société nou­velle. Le « meilleur » des mon­des pos­si­bles. Je deviens le néo­phyte un peu naïf, je répands dans les cam­pagnes le tract « La poésie est déclarée, soyez heureux ». Les amis de La Tour de Feu se réu­nis­sent dans le chai de Pierre Bou­jut, à Jarnac : « Une com­mu­nauté Tour de Feu, telle est pour moi la révéla­tion de ces con­grès où les uns et les autres avons vécu com­plète­ment ensem­ble, mêlant nos idées, heur­tant nos manies, for­mant société au vrai sens du mot. Plus qu’un jour­nal, je pour­rai en tir­er un almanach, ou un recueil de car­ac­tères… La pre­mière réal­ité de La Tour de Feu, ce sont ses con­grès : on se rend à Jarnac le 14 juil­let pour y trou­ver un accueil, un cli­mat doux et lumineux, des gens en vacances, une sorte de but, un thème de réflex­ion, mais rien de rigide, le vrai tra­vail de qui cul­tive la paresse. On y retrou­ve des amis que l’on aime, et on y fait des ren­con­tres. Cer­tains y cherchent des directeurs de revues, des acheteurs pour leurs recueils. La poésie incar­née… La Tour de Feu est une sorte de com­mu­nauté, dont on fait l’expérience trois jours par an, ce qui est la lim­ite viv­able pour une communauté. »

            La ren­con­tre de Bou­jut inau­gure une ami­tié et le début d’une col­lab­o­ra­tion de trente années. « Pierre Chabert est « l’homme-frère » selon Bou­jut, c’est-à-dire, celui qui ne l’a jamais déçu. Avec Chabert, écrit Pierre Bou­jut (in Un Mau­vais Français, Arléa, 1989) : « pas d’opposition exal­tante comme avec Miatlev, mais l’accord mer­veilleux et le plaisir de réa­gir de la même façon devant les faits de la vie poli­tique, sociale, famil­iale et devant les idées générales de l’existence. Comme moi, il est un doux mais avec une résis­tance secrète et solide qui cor­re­spond à ma douceur armée d’un cer­tain autori­tarisme… Nous avons tout de suite été accordés. Nous étions proches (« les proches-poètes » a‑t-on dit). Nous avions la même tonal­ité, lui, peut-être en mineur, car il est plus dis­cret, plus timide et surtout plus sub­til que moi. Je me sens lour­daud à côté de lui qui est aérien. Ses cer­ti­tudes sont ironiques, sa con­fi­ance à demi scep­tique. Mais, par­tant de nous deux, c’est le même regard qui se pose sur le monde. » Chabert et Bou­jut se sont con­nus sur les mêmes thèmes : la san­té de la vie, la joie de la mer, les plaisirs de la paix, l’amour de la lib­erté. Chabert reçut La Tour de Feu et en par­la dans sa chronique de Vie libre. Puis il vint à Jarnac.

            Qu’est-ce que La Tour de Feu pour Chabert ? « Avant tout un sys­tème de référence, un appareil de représen­ta­tion auquel j’ai recours à chaque instant. La Tour de Feu me fait sor­tir sur un plan moins per­son­nel, elle me donne une vision de moi, de mes ren­con­tres, de mes inspi­ra­tions, où je m’élève, où je m’élargis, où je prends assur­ance et sig­ni­fi­ca­tion. » La révolte per­son­nelle de Pierre Chabert con­tre les struc­tures autori­taires se développe et se for­ti­fie au con­tact de l’idéologie lib­er­taire et paci­fiste de La Tour de Feu. Le 25 mars 1953, Pierre Chabert note dans son Jour­nal (in La Tour de Feu n°40, 1952) : « Et voici l’inconnu qui prend la parole : Nous sommes à peu près d’accord avec l’appel de la Tour. Nous voulons ici créer une petite revue qui révèle à la fois des jeunes et les vétérans que toute la province ignore… Fauchés, têtus et ent­hou­si­astes, cela fait beau­coup de dés­espoir que nous voulons franchir… Prenons un ren­dez-vous en vitesse. » La let­tre que cite Pierre Chabert est signée Jean Bre­ton. Elle inau­gure une ami­tié solide, sur le plan poé­tique et humain, qui dur­era jusqu’à la mort de Jean Bre­ton en 2005. Le 18 avril, Chabert écrit encore dans son Jour­nal : « Bre­ton a déjà brûlé les étapes. Il ira loin. C’est pourquoi il va vite. Lance ses poèmes comme des rég­i­ments à l’assaut, déjà deux, trois recueils, une revue, qui com­mence si j’ose dire avant d’exister. »

            En 1953, Pierre Chabert par­ticipe avec Jean Bre­ton, Hubert Bouziges, Léon Cous­ton, Frédérick Tris­tan, Serge Brindeau, Patrice Cau­da, Hen­ri Rode et Mau­rice Toesca à la fon­da­tion de la revue Les Hommes sans Épaules, dont il épouse d’emblée les idées et les ori­en­ta­tions, c’est-à-dire : la Poésie pour vivre. « La ren­con­tre des Hommes sans Épaules fut une ren­con­tre de vie, et, à ce moment-là, le mes­sage du groupe était celui d’une nou­velle généra­tion. Il annonçait une nou­velle façon de voir les choses. La révolte des poètes du groupe était sans nuances, sans pitié. La revue nous fit entr­er en un monde décapé, dure­ment dess­iné et assumé », témoigne Pierre Chabert (in Les Hommes sans Épaules n°3/4, troisième série, 1998).

            En 1963, on lui pro­pose les palmes académiques, qu’il refuse : « Je jubile d’avoir ren­voyé mes palmes académiques, et si le min­istre s’est fâché comme on me l’apprend, je suis bien aise d’avoir pu lui être désagréable. Moi, l’infiniment petit, me délecte, si je puis faire sen­tir que je me moque de l’estime des per­son­nages. Con­vo­qué par l’Inspecteur d’Académie : ses reproches coulaient en moi comme une liqueur, et je feignais de rester impas­si­ble à ses remon­trances déli­cieuses » (« Jour­nal d’un pro­fesseur de gram­maire » in La Tour de Feu n° 80).

            Puis survient le drame, durant l’été 1964. « Ce fut le plus grand drame de La Tour de Feu », rap­porte Pierre Bou­jut (in Un Mau­vais Français) : « Je me sen­tais respon­s­able puisque, sans ma revue, nous n’aurions jamais con­nu ce séduc­teur. » Au con­grès de La Tour de Feu, Simone s’éprend d’un jeune poète. « Nous avions accueil­li ce garçon avec une ami­tié ent­hou­si­aste, rap­porte Bou­jut : « Il avait fui sa famille pour vivre en poésie. Nous voyions en lui (sauf Miatlev qui rétorqua : « Ce n’est pas un poète, c’est un car­ac­tériel et un fuguiste ») un Rim­baud. » Bou­jut pour­suit : « De toute mon ami­tié, je ten­tais de soutenir Chabert. Je partageais dans l’âme son mal­heur et, pour finir, ce fut quand même la poésie qui le sau­va. » Pierre Chabert, pour sa part, écrit : « Tu es sor­tie de ma vie par la cru­auté, comme tu y étais entrée. C’était le temps des scor­pi­ons fam­i­liers qui demeu­raient le soir fixés à la muraille, en cer­cle autour de la lampe, comme les clés des­tinées à démon­ter quelques obscures machines. Quand tu éclairais la cui­sine, elle n’était plus qu’un tour­bil­lon d’insectes qui jail­lis­saient, retombaient, traçaient des tra­jec­toires, formes fan­tas­tiques d’une vie que la nôtre tra­ver­sait. Bêtes de nos années d’amour, bêtes tuées par leur force même. Cela se pas­sait au pied du phare, dont le sang giclait sur nos faces par à‑coups comme celui d’une artère ». Pierre Chabert a relaté la scène dans le Con­tre­jour­nal, qu’il pub­lia dans le numéro 85 de La Tour de Feu, sous le pseu­do­nyme de Marc Leroy. Il revient à nou­veau sur la sépa­ra­tion, dans le n°111 de La Tour de Feu : « Après dix-huit ans, quand Simone m’a quit­té, dans des cir­con­stances boulever­santes, car je l’avais chas­sée dans une scène dont le but était de la retenir, je devins inca­pable, pen­dant des mois, de dormir, presque de vivre. Une douleur physique me tor­tu­rait, et je vivais dans une impres­sion d’éclatement. Je restais donc dans mon bureau pen­dant la plus grande par­tie de la nuit. Fin décem­bre, début jan­vi­er, il fai­sait chaud dans la mai­son, où j’ai fait installer depuis peu le chauffage cen­tral, et les cafards se mon­trèrent. Quand j’avais assez cou­ru les rues désertes à la pour­suite d’un man­teau rouge sang qui me han­tait, je me met­tais à la machine comme un dément se met au piano, frap­pant à démolir les touch­es, au hasard, n’importe quoi, pour m’abrutir. Ensuite je regar­dais ce qui s’était inscrit, et c’est ain­si que je fis Les Sales bêtes. » La sépa­ra­tion qui s’ensuit en 1968, débouche sur ce que Jean Bre­ton qual­i­fia « d’acte de guerre et de thérapie néces­saire ». Il s’agit de l’écriture inci­sive, sac­cadée et de la pub­li­ca­tion de l’un des plus fameux recueils de poèmes en prose qui soient : « J’aurai donc extrait un livre de ces affreuses années, un livre affreux sans doute mais qui sera pour moi un enrichisse­ment. Est enrichissant tout ce qui, je le vois, tourne le dos à l’unité ».

            Ce recueil, comme l’a dit Pierre Bou­jut, n’est pas seule­ment le chef‑d’œuvre de Pierre Chabert, mais un chef‑d’œuvre. « Une nou­velle étape de ma poésie, relate Chabert, fut mar­quée par le virage des Sales Bêtes, que Pierre (Bou­jut) accep­ta, en en faisant même « l’évangile des insectes ». Il s’agit là, je le pense, d’une « analyse », je vais chercher en moi toute une ménagerie de mon­stres qui me ser­vent à me venger, et surtout à me remon­ter le moral… Mes mon­stres étaient issus de la vérité sci­en­tifique. J’avais lu Fab­re, Sou­venirs ento­mologiques, dès mon enfance et les com­porte­ments mécaniques et sim­plistes de mes « vic­times » cor­re­spondaient à ceux des insectes que j’eus l’occasion d’étudier sur le ter­rain. » Pierre Chabert pour­suit (« La sale bête à l’état social­iste » in La Tour de Feu n° 102, 1969) : « Les mon­stres que je décris et dont ce livre n’est qu’un début d’inventaire ne doivent pas pass­er pour les jeux d’une imag­i­na­tion déli­rante et pes­simiste : ils sont ici parce qu’ils exis­tent. Et ne pensez pas que je les flat­te, ou que je les aime vrai­ment ; si par­fois je laisse paraître quelque com­plai­sance, c’est pure pas­sade et tran­si­tion. Mais non, je dis qu’il faut les vain­cre, les tuer et les bien tuer, pour enfin attein­dre à la pureté de notre forme incon­testable. Toute révo­lu­tion passe par un tel acte de salubrité. Cru­auté, men­songe, dérélic­tion, je note avec vio­lence ce que j’aperçois, et qu’on ne pense pas que je puisse souscrire à quelque vision de vie déli­rante et sauvage. Je ne con­signe que pour con­damn­er. J’ai décou­vert que le mal existe, et je m’en étonne, moi le pre­mier. De plus j’ai décou­vert que le mal est inno­cent. Mais il est le mal. Avec lui pas de pitié. Pas de pitié pour les « mon­stres » de vie. Plus je vais plus je suis dur. Et je souf­fre, ah je souf­fre de cette abom­inable dureté, abom­inable, mais absol­u­ment néces­saire. On ne pactise pas. En voilà assez du tra­vail d’insecte. Du sen­ti­ment d’insecte. Des places réservées, des hiérar­chies, des alvéoles. Cha­cun est pris­on­nier de sa forme étroite. Il y a trente trous dans le tombeau du Christ pour que chaque secte puisse regarder par son ori­fice. Est-ce con­cev­able, je vous le demande ? Mais la grande révo­lu­tion, qui l’a vue ? L’homme est à refaire, et sera tou­jours à refaire. »

            Chabert com­mença par écrire sur la mante (qui vit d’amour et de mort fraîche), puis sur le scarabée sacré, le pré­da­teur avec sa boule, le scor­pi­on sans issue, figé dans l’immobilisme, etc. Les ani­maux arrivent en foule, guêpe en piqué, iguanes, mou­tons, che­nilles, san­gli­er vellave. Il devait y avoir en Pierre, comme il en con­vien­dra, le besoin d’exorciser cette bête affolée qui tour­nait en rond dans son être mal­heureux : « Pen­dant cet hiv­er, les cafards se mon­trèrent et sans doute, indi­recte­ment, ils dirigèrent ma main sur les touch­es, m’orientèrent vers l’entomologie obses­sion­nelle. Au début, il y en eut deux petits ou trois, mar­ron, ou d’un noir légère­ment roux, puis il y en eut de gros, d’énormes, et le nom­bre aug­men­ta… je les saupoudrai de poudre avec fureur… À l’époque où j’écrivais Les Sales Bêtes, je pro­po­sai aus­si à mon ami Bou­jut un numéro de La Tour de Feu sur le rêve. Je rêvais beau­coup à cette époque où je dor­mais rarement, et je con­fondais mes rêves et les scènes de ma vie. Les rêves que je fai­sais étaient peu­plés d’insectes, et mar­qués par ma promis­cuité avec les cafards. J’ai noté cer­tains de ces rêves, qui se sont inté­grés dans le livre. » Au sein des Sales Bêtes, le verbe l’emporte sur la patience, la sagesse, les accom­mode­ments. Pierre Chabert, nous dit Jean Bre­ton, change rad­i­cale­ment de direc­tion. Jusqu’alors, à l’instar d’Aram­bre, au ton élu­ar­di­en / méditer­ranéen (Du côté d’Arambre — passe le vent — nous lèche de sa langue — nous pousse de son front), le poème de Chabert est con­sti­tué d’un vers libre court, fer­vent, léger, tout ouvert à l’instant ensoleil­lé. Rien n’est trag­ique en ce monde. Chabert ne sup­porte pas, ne voit pas « l’ombre des choses ». Même dans son jour­nal (dont de larges extraits sont pub­liés dans La Tour de Feu), le poète par­le et écrit sans préjugé, avec une sim­plic­ité qui frôle le culot, une spon­tanéité qui bute joli­ment con­tre l’ironie. Mais soudain, écrit encore Jean Bre­ton (« Por­trait de Pierre Chabert » in Les HSE n° 9/10, 2ème série, 1993) : « La porte de nuit » a claqué dans la vie de Pierre Chabert. Adam et Ève épanouis sous « un ciel libre », c’était fini. Et d’une façon moche. Toutes ses cer­ti­tudes se sont fissurées…Le poète rumine « cette ter­ri­ble révolte qui l’emplit et qui se dresse con­tre tout et con­tre tous. » Chabert libère son humeur mas­sacrante, exploite la car­i­ca­ture qu’il a longtemps étouf­fée en lui, et con­stru­it un bes­ti­aire hors norme. L’insecte en furie, c’est elle et le poète veut prou­ver, en amour, la cru­auté « mon­gole » de la femme. Le per­son­nage mis en scène fait son mono­logue. Ce peut-être le poète par­lant à la bête. Le nar­ra­teur peut devenir lui-même le cheval ou l’animal sauvage qu’il filme pour notre réflex­ion. Tan­tôt le héros c’est lui et elle en même temps, un Janus à deux vis­ages. Tan­tôt le poème est une allé­gorie : le sui­cide, le sang « far­ci de bêtes glob­uleuses », le « dédale » des familles au cimetière. Des abstrac­tions devi­en­nent des sujets : la rumeur publique, l’alcool-échappée, la lap­i­da­tion, le cloaque, les démangeaisons, le men­hir-christ. Le végé­tal, les matières, peu­vent don­ner de la voix, et agir : l’arbre, les fleurs car­ni­vores, la merde, le sang… Cer­tains types d’humanité dérivent du thème glob­al de l’humiliation : les silen­cieux, les mous, l’oiselle écar­late. 52, chemin d’Arrousaïre, elle éclate, — La révo, révolu, la révo­lu­tion — Chabert le mer­veilleux libère en Avi­gnon, — Du vil joug cafardeux le fier peu­ple des blattes, lui écrira Guy Chambelland.

 

                                                                                                          Christophe DAUPHIN

 

 

            Œuvres de Pierre Chabert: Ombres chi­nois­es (Albert Mes­sein, 1935), L’Homme des bois (La Tour de Feu, 1952), Pren­dre pas­sage (Mon­teiro, 1953), Heureux comme les pier­res, avec Pierre Bou­jut (La Tour de Feu, 1954), Poésie plane (La Tour de Feu, 1954), Mon­tagne (Mon­teiro, 1955), Niveau Zéro (Oppède, 1957), Aram­bre (Guy Cham­bel­land, 1957), Dou­ble jeu (Oppède, 1961), Aram­bre, édi­tion revue, (Guy Cham­bel­land, 1965), Les Sales Bêtes (Col­lec­tion Poésie-Club, éd. Chambelland/éd. Saint-Ger­main-des-Prés, 1968), Automne de grand car­nage (Vers les Bou­vents, 1972), Le Mal des silex (Le club du poème, 1973), Les Onthophages ou les Ontophages (éd. Guy Cham­bel­land, 1973), La Morale du som­nam­bule précédé de Quelques sales bêtes (Le Pont de l’Épée, 1977), L’Exhaustif (Édi­tions de la Grand-Rue, 1995), Un Octogé­naire plan­tait (Les HSE/ Librairie- Galerie Racine, 1998), L’Amour la mort (L’Arrousaïre, 1999), Aboli bibelot (L’Arrousaïre, 1999), L’Amour la mort, Un demi-siè­cle en poésie, antholo­gie, (éd. Autres Temps, 2001).

            À con­sul­ter : Christophe Dauphin : La parole est à Pierre Chabert (Dossier in Les Hommes sans Épaules n°33, 2012, www.leshommesansepaules.com).

 

POÈMES DE PIERRE CHABERT

 

Extrait de Les Sales Bêtes (Col­lec­tion Poésie-Club, éd. Chambelland/éd. Saint-Ger­main-des-Prés, 1968).

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Pierre Chabert

Par | 22 mars 2013|Catégories : Blog|

 

Œuvres de Pierre Chabert: Ombres chi­nois­es (Albert Mes­sein, 1935), L’Homme des bois (La Tour de Feu, 1952), Pren­dre pas­sage (Mon­teiro, 1953), Heureux comme les pier­res, avec Pierre Bou­jut (La Tour de Feu, 1954), Poésie plane (La Tour de Feu, 1954), Mon­tagne (Mon­teiro, 1955), Niveau Zéro (Oppède, 1957), Aram­bre (Guy Cham­bel­land, 1957), Dou­ble jeu (Oppède, 1961), Aram­bre, édi­tion revue, (Guy Cham­bel­land, 1965), Les Sales Bêtes (Col­lec­tion Poésie-Club, éd. Chambelland/éd. Saint-Ger­main-des-Prés, 1968), Automne de grand car­nage (Vers les Bou­vents, 1972), Le Mal des silex (Le club du poème, 1973), Les Onthophages ou les Ontophages (éd. Guy Cham­bel­land, 1973), La Morale du som­nam­bule précédé de Quelques sales bêtes (Le Pont de l’Épée, 1977), L’Exhaustif (Édi­tions de la Grand-Rue, 1995), Un Octogé­naire plan­tait (Les HSE/ Librairie- Galerie Racine, 1998), L’Amour la mort (L’Arrousaïre, 1999), Aboli bibelot (L’Arrousaïre, 1999), L’Amour la mort, Un demi-siè­cle en poésie, antholo­gie, (éd. Autres Temps, 2001).

            À con­sul­ter : Christophe Dauphin : La parole est à Pierre Chabert (Dossier in Les Hommes sans Épaules n°33, 2012, www.leshommesansepaules.com).

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