Tatsuo Hori, Le vent se lève

Par |2025-05-06T11:53:06+02:00 6 mai 2025|Catégories : Critiques, Tatsuo Hori|

Dès les pre­mières pages du Pro­logue la flu­id­ité du style alliée aux descrip­tions de la nature et à la déli­catesse implicite des sen­ti­ments du nar­ra­teur est frap­pante et donne une impres­sion de sim­plic­ité ras­sur­ante. Quand on sait que Hori a été tra­duc­teur on com­prend mieux à la fois la pré­ci­sion et. la clarté de son écri­t­ure. Puis la mal­adie de sa fiancée Set­suko apporte du corps au réc­it et provoque l’at­tente, grand thème de la pre­mière par­tie du roman. Le lecteur est ain­si dou­ble­ment désireux de tourn­er les pages pour en savoir plus. Com­ment les choses vont-elles advenir ? C’est la ques­tion qui reste impor­tante pour lui puisque la 4° de cou­ver­ture l’a aver­ti de la suite fatale.

La nature et le décor, à la lim­ite inso­lites, par­ticipent de l’am­biance inquié­tante. Le fait qu’il y ait de la neige au print­emps accentue le sen­ti­ment de soli­tude des deux per­son­nages. Et la descrip­tion elle-même du paysage, qui occupe une place impor­tante, est un mod­èle du genre. Mais la nature et le cycle des saisons, si elles sym­bol­isent le des­tin en train de frap­per, sont aus­si une com­pag­nie adju­vante qui rythme les journées des deux protagonistes.

Le lecteur, soumis à une ten­sion, est para­doxale­ment sous le charme de la douceur qui règne, entre eux et pour eux, jusqu’au sen­ti­ment de bonheur.
Avec la fin de l’été, le mau­vais temps et le vent qui “se lève” oblig­ent à“tenter de vivre” et à fein­dre l’ig­no­rance. Le réc­it alors con­tin­ue à avancer par petites touch­es fines, comme impres­sion­nistes. Autant sur le plan de la psy­cholo­gie que sur celui encore du paysage et du temps et de plus en plus entre espoir et dés­espérance. Il y a dans ces pages une belle et orig­i­nale présen­ta­tion du partage et de la com­plic­ité jusqu’au sac­ri­fice face à l’inéluctable. 

Com­ment celui-ci pour­ra-t-il se gér­er ? C’est tou­jours la même ques­tion. Comme dans un Requiem le chant des mots nous envahit peu à peu. La mise en abyme d’un roman soudain à écrire par le nar­ra­teur, qui don­nera vie à son his­toire avec l’aimée, est-il le dernier sur­saut de l’e­spoir ? Pour Hori l’amour n’a besoin d’au­cune tech­nique com­pliquée, l’écri­t­ure suf­fit presqu’ à elle-même à lui ren­dre hom­mage en couron­nant les sen­ti­ments mutuels du cou­ple et en ren­dant heureuse la malade. Deux pages admirables sur les pen­sées et l’évo­lu­tion du créa­teur for­cent ain­si l’admiration.

Tat­suo Hori, Le vent se lève, Col­lec­tion L’Arpenteur, Gal­li­mard, 1993.

Pour le lecteur écrivain il s’ag­it bien d’une œuvre com­plète. Comme l’est un opéra pour un mélo­mane. Cette pre­mière moitié du livre per­met déjà de le class­er par­mi les plus beaux romans d’amour de la lit­téra­ture mondiale.

La suite sem­ble vari­er sur les mêmes thèmes avec cer­taine­ment un crescen­do quand, par exem­ple, la lumière est con­sid­érée comme la fig­ure du bon­heur vécu mal­gré l’ épreuve. Nous sommes à l’au­tomne 1935 et le nar­ra­teur, partagé entre la paix que lui apporte l’ex­térieur et l’an­goisse qui monte, con­tin­ue de nour­rir son réc­it en cours entre réel et imag­i­naire. Le temps, dans ses deux accep­tions, est la source des réflex­ions du nar­ra­teur qui con­fond passé et présent vécu dans la rigueur de l’hiv­er arrivant au milieu de la soli­tude des mon­tagnes. C’est la magie de la neige à l’ex­térieur mais surtout le feu de chem­inée qui bril­lent pour les amoureux. Alors le silence bien­tôt l’emporte et seul l’échange de regards compte peut-être vrai­ment le plus. 

Le réc­it du nar­ra­teur va-t-il avoir comme fin la sit­u­a­tion présente ou fau­dra-t-il atten­dre la suite des évène­ments pour s’en servir ? Une dou­ble attente, avec celle de la fin du roman, définit le charme habile de cette œuvre très dense et maîtrisée.

La fic­tion et la réal­ité sont en rival­ité mais cette dernière est plus dif­fi­cile à “vivre” et la ques­tion de la fragilité du bon­heur se fait sen­tir de plus en plus. Le mono­logue intérieur nous en rend compte qui alterne avec des pas­sages de dia­logues. Ceux-ci exis­tent tou­jours et mar­quent depuis le début la qual­ité de l’écri­t­ure. Au mau­vais temps soudain cor­re­spond la faib­lesse accrue de la malade. Mais il s’ag­it de com­pren­dre que per­siste dans la réal­ité le sen­ti­ment de bon­heur décrit dans la fiction.

Puis le pas­sage entre le dernier chapitre et le précé­dent qui s’achève de façon pathé­tique forme un hia­tus frap­pant car nous n’ assis­tons pas au départ de Set­suko avant le retour de son fiancé pour le vil­lage de K. après presque trois ans.

On peut dire à ce stade du livre que le thème de la neige asso­cié à celui de l’écri­t­ure qui reprend donne au livre, mal­gré le deuil, toute son unité. Le cycle vertueux des journées con­tredi­ra-t-il le titre final “Val­lée dans l’om­bre de la mort” ? Et que sig­ni­fie donc la présence là encore du vent ?

Par la mémoire analogique, grâce encore à la neige et au feu de chem­inée et à la manière de Proust, revivent les sou­venirs des derniers moments vécus avec la jeune femme morte. Le décor naturel ain­si que les chalets et les oiseaux, par exem­ple, dans des descrip­tions aus­si fines que mag­nifiques, font revivre plus encore celle-ci. C’est un enchante­ment pour le lecteur que ces vari­a­tions sur les mêmes thèmes comme dans une œuvre musi­cale le sont les leit­mo­tivs. Il s’ag­it bien d’un final ici en forme de “Requiem” à la manière de celui de Rilke. Celui qui, le calme revenu quand le vent est tombé, chante superbe­ment l’amour incon­di­tion­nel et la nos­tal­gie qui défini­tive­ment lui est lié.

 

Présentation de l’auteur

Tatsuo Hori

Né à Tôkyô, Tat­suo Hori (1904–1953) est très tôt attiré par l’Eu­rope. Dis­ci­ple d’Aku­ta­gawa Ryûno­suke et ami de nom­breux écrivains et poètes, il traduit Apol­li­naire et Cocteau, lit et fait con­naître Gide, Proust, Rilke et Mau­ri­ac. Comme celle de ses con­tem­po­rains européens, son œuvre se car­ac­térise par la place impor­tante qu’y occu­pent les thèmes auto­bi­ographiques. Mais Hori est aus­si aux sources de la lit­téra­ture clas­sique du Japon.

Bibliographie 

Œuvres

  • Sei Kazoku (”La sainte famille (聖家族?), 1932)
  • Utsukushii Mura (Beau Vil­lage (美しい村?), 1933)
  • Kaze Tach­inu (Le vent se lève (風立ちぬ?), 1936–37) Gal­li­mard 1993
  • Kager­ou no Nik­ki ((かげろふの日記?), 1937)
  • Naoko (Naoko (菜穂子?), 1941)
  • Ara­no (Ara­no (曠野?), 1941)
  • Younen Jidai (Enfance (幼年時代?), 1942)

Bibliographie

  • Kojin, Karatani. Ori­gins of Mod­ern Japan­ese Lit­er­a­ture. Duke Uni­ver­si­ty Press (1993). 

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

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France Burghelle Rey

France Burghelle Rey est née à Paris, a enseigné les Let­tres clas­siques et vit actuelle­ment à Paris où elle écrit et pra­tique la cri­tique lit­téraire. Elle est mem­bre de l’As­so­ci­a­tion des Amis de Jean Cocteau et du P.E.N. Club français. Plus de cent textes parus dans de nom­breuses revues et antholo­gies ain­si que plus de cent notes cri­tiques (Quin­zaines, Poez­ibao, Europe, Place de la Sor­bonne, CCP, Recours au poème, Tem­porel etc.). Elle a écrit une quin­zaine de recueils dont Lyre en dou­ble paru aux édi­tions Inter­ven­tions à Haute voix en 2010 puis chez La Porte Révo­lu­tion en 2013 suivi de Comme un chapitre d’His­toire en 2014 et de Révo­lu­tion II en 2016. Le Chant de l’en­fance (Un prix Blaise Cen­drars adultes) a été pub­lié aux édi­tions du Cygne en juil­let 2015, Petite antholo­gie, (Con­fi­ance, Patiences et Les Tes­selles du jour) chez Unic­ité en 2017 et Après la foudre chez Bleu d’en­cre en 2018. Les textes suiv­ants aug­men­tés de L’En­fant et le dra­peau à paraître chez Vaga­mun­do), nais­sance rédemptrice d’un “ange” dans un monde en déso­la­tion, veu­lent exprimer l’ur­gence d’une néces­saire présence au monde en souf­france. L’un des ses romans, le pre­mier, L’Aven­ture, est pub­lié aux Édi­tions Unic­ité au print­emps 2018. Le sec­ond, Le Roman de Clara est pub­lié aux mêmes édi­tions en sep­tem­bre 2022. Paru­tion aux édi­tions Unic­ité en 2020 de Lieu en trois temps suivi de L’Un con­tre l’autre : Gegenüber, en finale nationale du prix Max-Pol Fouchet 2010 La Mai­son loin de la mer Frag­ments I, édi­tions Douro, juin 2021 Nou­veaux recueils inédits : Instan­ta­nés, Jardin, je me sou­viens et Que la joie revi­enne ! Les Promess­es du Chant (Pré­face de Jacques Ancet) suivi de Les Ver­tiges du désir sont à paraître en 2023 aux édi­tions La Rumeur libre. Raisons secrètes Frag­ments II, Sai­son nou­velle Frag­ments III : inédits, Partages Frag­ments IV : en cours de rédac­tion Quoi qu’il arrive Frag­ments V : en cours de rédac­tion Elle a col­laboré avec des pein­tres (Georges Badin) et la graveur Hélène Baumel pour un cer­tain nom­bre de livres d’artistes. http://france.burghellerey.over-blog.com/# : Un blog de près de 32.000 pages de vues bio-bib­li­ogra­phie com­plète sur ce blog.

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