Née en 2011 Fuo­ri­Asse est une revue semes­trielle atten­tive aux nou­velles formes de com­mu­ni­ca­tion tout en con­stru­isant un véri­ta­ble dia­logue avec les tra­di­tions. Elle se présente sous la forme d’un livre aux rich­es couleurs, élé­gant et épais (222 pages) de grand for­mat (21x29,7) rassem­blant, dans ce numéro paru en juin dernier, quar­ante-deux auteurs et cinquante-trois pho­tographes et illus­tra­teurs, ital­iens et étrangers.

Fuo­ri­Asse sig­ni­fie « Hor­sAxe », autrement dit « non alignée par rap­port à un axe de référence » (le I est d’ailleurs incliné ce qui est impos­si­ble à représen­ter ici).  Elle accueille donc des regards cri­tiques, con­fronte les points de vue, et se révèle être une véri­ta­ble fenêtre sur la vie lit­téraire et cul­turelle au-delà de toute fron­tière, fuyant « une idéolo­gie à sens unique tou­jours plus en accord avec un monde cap­i­tal­iste qui favorise l’homologation et le con­formisme »1.

Ce numéro, dédié à Sofia Gravi­ilidis (pro­fesseur de lit­téra­ture com­parée pour l’enfance à l’Université Aris­tote de Thes­sa­lonique, décédée en novem­bre 2020 et mem­bre du comité sci­en­tifique du Cen­tre Inter­na­tion­al d’É­tudes sur la Lit­téra­ture Européenne) a pour titre La pietas et pour cou­ver­ture une mag­nifique illus­tra­tion d’Andrea Fer­raris (lequel est aus­si écrivain). Alliant éthique et esthé­tique, Fer­raris nous livre une inter­pré­ta­tion de ce que peut être la pietas au XXIè sié­cle, mêlant à la pro­fondeur de ses bleus intens­es (de la Méditer­ranée) le des­tin trag­ique des migrants. Pourquoi le mot latin pietas et non le mot ital­ien pietà ?

Revue  FUORIASSE — Offic­i­na del­la cul­tura, numéro 26 (juin 2021), 222 pages, 22 euros.

 « Pietas est un mot qui n’est plus à la mode » nous dit Cate­ri­na Arcan­ge­lo, la direc­trice de rédac­tion, dans son édi­to­r­i­al. C’est pourquoi elle invite à « revenir à la lec­ture des grands poèmes clas­siques, source d’un savoir sci­en­tifique mod­erne, qui se révè­lent encore à la hau­teur des dis­cus­sions les plus actuelles » et cite entre autres l’Iliade ou le poème de la force, une relec­ture d’Homère par Simone Weil et le Zibal­done de Leop­ar­di, des œuvres qui nous per­me­t­tent de com­pren­dre le proces­sus d’ac­tu­al­i­sa­tion du mythe néces­saire à l’élargissement per­pétuel de la con­nais­sance. Elle cite aus­si Ungaret­ti et son Alle­gria di Naufra­gi (l’allégresse sig­nifi­ant ici retour à la force intérieure), Ernst Jünger, Mar­co Rev­el­li lequel focalise son enquête sur l’écroulement des valeurs. Sa « mod­erni­sa­tion régres­sive » révèle com­ment l’évolution, en par­ti­c­uli­er tech­nologique, n’est qu’une course con­tre le temps. Pros­peri, lui, en intro­duc­tion à son Un tem­po sen­za sto­ria, la dis­truzione del pas­sato (Un temps sans his­toire, la destruc­tion du passé) Ein­au­di 2021, appelle le lecteur à réfléchir sur la néces­sité de se réap­pro­prier l’Histoire et dénonce les brèch­es qui se sont ouvertes, « entre la réal­ité des nom­breuses cul­tures humaines dans le monde et la fer­me­ture eth­no­cen­trique de ce qui est lu et enseigné ». En effet, aujourd’hui, on se heurte à un modus operan­di qui se con­jugue avec une idéolo­gie à sens unique et tou­jours plus con­forme à un monde cap­i­tal­iste qui favorise l’homologation et le con­formisme. On ne vise plus « la crois­sance intel­lectuelle de per­son­nal­ités libres mais l’apprentissage d’aptitudes fonc­tion­nelles à l’exécution exacte de ce qui est demandé par les exi­gences du système ».

Beauté, den­sité et mul­ti­plic­ité car­ac­térisent la revue Fuo­ri­Asse dont il est impos­si­ble de ren­dre compte en détail. Ce numéro 26 réu­nit ain­si, dans ses vingt rubriques, des arti­cles de recherche, des pho­tos d’art, des biogra­phies et d’amples notes de lec­ture, le tout abon­dam­ment illus­tré. Si la poésie est présente dans nom­bre de ses pages, Fuo­ri­Asse va large­ment au-delà : on y par­le de lit­téra­ture et de philoso­phie, de musique, de ciné­ma, de ques­tions poli­tiques et sociales… aus­si y ren­con­tre-t-on des poètes, des philosophes, des psy­ch­an­a­lystes, des acteurs, des réal­isa­teurs, des auteurs de ban­des dess­inées, des pein­tres, des directeurs d’associations cul­turelles etc. Au détour d’une page, on peut y lire un vibrant hom­mage à Francesco De Francesco, médecin de Bergame mort pen­dant la pre­mière vague du Coro­n­avirus et qui était — aus­si — un bril­lant illustrateur.

Arrê­tons-nous aus­si sur la rubrique « Impare a scri­vere con i gran­di » (Appren­dre à écrire avec les grands), dans laque­lle Gui­do Con­ti nous donne à lire qua­tre micro-réc­its2 extraits de I cen­todelit­ti (Les cent­crimes) de Gior­gio Scer­a­nen­co (Kiev 1911-Milano 1969) qu’il analyse pour nous mon­tr­er com­ment don­ner de l’épaisseur à des per­son­nages en pra­ti­quant l’art du non-dit, de la sug­ges­tion, de la con­ci­sion, la créa­tion de per­son­nages dont la vie secrète est à imag­in­er par le lecteur… « ce qui se cache entre les lignes n’est-il pas plus impor­tant que ce qui est dit ?»3 et nous donne des pistes de tra­vail. « Chaque his­toire de ce recueil est comme la pointe d’un ice­berg : ce qui fait émerg­er la page écrite est en général la par­tie immergée, celle qui est restée dans l’ombre, cachée. »4

Fuo­ri­Asse une revue ouverte sur le monde, sur tous les peu­ples et sur tous les âges (elle inclue une rubrique inti­t­ulée Quaderni per l’infanzia, Cahiers pour l’enfance) et se veut être un guide et une référence pour les jeunes (cf. rubrique La paro­la ai gio­vani, La parole aux jeunes.)

À not­er que ce numéro con­sacre un long arti­cle (sept pages) à Amedeo Anel­li, poète dont plusieurs textes ont paru dans Recours au poème. Il est ici inter­viewé par Cate­ri­na Arcan­ge­lo, la direc­trice édi­to­ri­ale. On y croise égale­ment Margheri­ta Rimi, elle-aus­si pub­liée dans Recours au poème et Gui­do Oldani, le « père » du Réal­isme terminal.

Comme une invi­ta­tion à pro­longer la lec­ture, les deux dernières pages restent blanch­es, offrant au lecteur la pos­si­bil­ité d’y inscrire les traces de sa pro­pre réflex­ion, deux pages blanch­es comme un espace de dia­logue inci­tant à ne pas rester pas­sif mais à con­tin­uer sa pro­pre lec­ture intérieure.

Notes

  1.  Extrait de l’éditorial de Cate­ri­na Archangelo.
  2. La schi­a­va (L’esclave), Notte di dis­truzione (Nuit de destruc­tion), Il più bel ragaz­zo del mon­do (Le plus beau garçon du monde) et Non ti spaventare (N’aies pas peur).
  3. et 4. Gui­do Conti.

 

 

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Irène Duboeuf

Irène Duboeuf, née à Saint-Eti­enne, vit depuis 2022 dans la Drôme, près de Valence. Elle est l’auteure des recueils Le pas de l’ombre, Encres vives, 2008, La trace silen­cieuse, Voix d’encre, 2010 (prix Marie Noël, Georges Riguet et Amélie Murat 2011), Trip­tyque de l’aube, Voix d’encre, 2013 (Grand prix de poésie de la ville de Béziers), Roma, Encres vives, 2015, Cen­dre lis­sée de vent, Unic­ité, 2017 (final­iste du prix des Trou­vères), Bor­ds de Loire, livre pau­vre col­lec­tion Daniel Leuw­ers 2019, Efface­ment des seuils, Unic­ité, 2019, Vol­can, livre pau­vre col­lec­tion Daniel Leuw­ers, 2019, Un rivage qui embrase le jour, édi­tions du Cygne, 2021, Pal­pa­ble en un bais­er, édi­tions du Cygne, 2023. En tant que tra­duc­trice, elle a pub­lié Neige pen­sée, d’Amedeo Anel­li, Libre­ria Ticinum edi­tore, 2020, L’Alphabet du monde d’Amedeo Anel­li, Édi­tion du Cygne, 2020, Kranken­haus suivi de Car­net hol­landais et autres inédits, de Lui­gi Carotenu­to, Édi­tions du Cygne 2021, Hiver­nales et autres tem­péra­tures, d’Amedeo Anel­li, bilingue italien/français, Libre­ria Ticinum Edi­tore, 2022, Quatuors, d’Amedeo Anel­li, Libre­ria Ticinum Edi­tore, 2023, Des voix entourées de silence, Le Cygne, 2023. Ses tra­duc­tions de sept autres poètes ital­iens sont parues dans Babel, sta­ti di alter­azione, antholo­gie mul­ti­lingue d’Enzo Campi, Bertoni Edi­tore, 2022. Ses pro­pres poèmes sont traduits en ital­ien, espag­nol, arabe et chi­nois clas­sique. Site de l’auteure : https://irene-duboeuf.jimdofree.com