Pour le réalyrisme

 

Après Gros Textes, qui a réédité Vivre quand même parce que c’est comme ça, une antholo­gie (courte pour 40 ans d’écriture) des poèmes de Roland Nadaus, qui a paru ini­tiale­ment en 2004 au Dé bleu ; Corps Puce réédite Pour le réa­lyrisme, écrit et édité (à cent exem­plaires) en 1981. « A quelques détails près, j’écrirai aujourd’hui presqu’exactement la même chose ! Trente ans après ! Avais-je donc trente ans d’avance ou bien la sit­u­a­tion a‑t-elle fon­da­men­tale­ment si peu évolué ? », écrit Roland Nadaus, en préface.

            Pam­phlet, Pour le réa­lyrisme, dénonce la très bour­geoise cuistrerie de « l’art pour l’art », les poètes de cour « dans la grande déca­dence des bran­leurs de verbe qui se décer­nent du génie parce qu’ils se saoulent d’eux-mêmes », les oppor­tunistes de tous bor­ds (« il leur est plus facile de « faire » la révo­lu­tion cul­turelle chez un édi­teur « in » que de par­ler la langue des hommes du chao­ti­di­en »), le « ter­ror­isme des intel­lichi­ants et des lin­cuistres », les « clercs obscurs », les « révo­lu­tion­naires de luxe », les « canich­es du grand soir », les fauss­es idées et valeurs semées par Tel Quel, Action poé­tique ou TXT et leurs sup­port­ers ( les « lin­guistes du cor­net à dés », les « beaux messieurs sont partout, avec leurs revolvers à chou­croute ver­bale », ils ont « l’éternité de la con­ner­ie pour eux ») : Chris­t­ian Pri­gent, J. Gugliel­mi, Denis Roche, J.-P. Ver­heggen, J.-P. Faye , Marcelin Pleynet, Claude Ade­len… Page 59, nous lisons : « Et que Tris­sotin joue du clavecin ou du syn­thé­tiseur, c’est tou­jours Tris­sotin » ; ce qui ne manque pas de piquant, trente ans avant que l’Académie Tris­sotin ne décerne son pre­mier Pal­marès au vit­ri­ol. « La poésie alors n’est plus, effec­tive­ment qu’un objet, tout juste bon pour les musées privés des esthètes intel­lec­tu­al­istes. Dès que la vie meurt, nais­sent les muséo­graphes ; Or, à mon sens, cela est pro­fondé­ment lié au dépérisse­ment de la démoc­ra­tie — qui est échange, partage, con­fronta­tion vivante – au ren­force­ment du pou­voir », ajoute Nadaus.

            Mais, Pour le réa­lyrisme, n’est pas qu’un pam­phlet, c’est aus­si un man­i­feste, par lequel Nadaus, van­tant « la beauté con­vul­sive » con­tre la « beauté chi­ante », pro­pose une approche poé­tique du monde con­tem­po­rain (« à par­tir de l’existence de cette com­mu­nauté brouil­lonne qu’on appelle l’Humanité ») et expose sa con­cep­tion (« J’affirme la dig­nité du chant. La pri­mauté du Dire »), en s’appuyant sur son pro­pre par­cours, de la poésie (« La poésie n’est pas un diver­tisse­ment, un acte gra­tu­it, un pure jeu de l’intellect… mais un mode d’être qui s’exprime par­ti­c­ulière­ment par le chant du lan­gage »), de tout art vivant, du poète (« il est d’abord un corps qui chante… par­mi les autres, avec et con­tre les autres ») et qu’il appelle : le réa­lyrisme, qui n’est pas « une doc­trine, ni une école, mais une preuve… ce chant, cette lec­ture qui chante à hau­teur d’homme. Qui assume la con­di­tion humaine. Qui se con­naît de son temps. »

            Roland Nadaus nous dit enfin, que la réédi­tion du réa­lyrisme, risque de lui val­oir « quelques nou­velles inim­i­tiés chez les bobos de la pla­que­tte. » La réponse est déjà don­née par l’auteur : « La dénon­ci­a­tion silen­cieuse est, avec le mépris, leur arme favorite. Ils tuent par le silence. Ain­si sont-ils directe­ment com­plices du petit goulag poé­tique (toute pro­por­tion gardée) où nous crevons de ne pas oser être enfin nous-mêmes, sagit­taires, avec les pieds dans le réel et la flèche vers les étoiles. »

 

Un cadastre d’enfance

 

Après le pam­phlé­taire de Pour le réa­lyrisme, Un cadas­tre d’enfance nous rend le poète et quelques-unes de ses par­celles, qui ne sont pas les moins intimistes, puisqu’il s’agit de son enfance douloureuse, dont il nous dit : J’aimais bien être enfant – mais je n’ai pas aimé mon enfance et encore : rien jamais – ne dat­era ton exil – même ta naissance.

            La famille du poète vit avec qua­tre autres familles dans une baraque, faite de parpaings, de car­reaux de plâtre et de tôle : Ô mon enfance à petit bras – quand l’eau chaude au robi­net – n’existait pas. S’agit-il d’un chantier ou d’un bidonville ? Peut importe : ô Môman quel blues d’être né. A la mis­ère et au dénue­ment, s’ajoutent les coups du père (rouquin au vin pas doux du tout) sur la mère : ça se bat­tait à la mai­son – ça hurlait jusque dans mes rêves.

            Enfance ? Autant dire plaie, blessure, de celle dont on ne peut pas cica­tris­er : je suis devenu vieux très jeune. Et on le com­prend très vite, des pre­mières pages, qui ouvrent ce livre et plantent rapi­de­ment le décor (on mourait de froid dans les rues – mais par­fois aus­si sous les tôles), aux dernières : Ton enfance te pour­suit – et c’est d’elle que tu mour­ras – le cœur transper­cé par ta nais­sance.  

            Un témoignage poignant, sans cesse retardé, mais que le poète a bien du se résign­er à livr­er, sous le regard apeuré – du gamin qu’en moi j’ai dû – étran­gler – pour survivre.

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Christophe Dauphin

Poète, essay­iste et cri­tique lit­téraire, Secré­taire général de l’Académie Mal­lar­mé, Christophe Dauphin (né le 7 août 1968, à Nonan­court, Nor­mandie, en France) est directeur de la revue “Les Hommes sans Epaules” (www.leshommessansepaules.com).

Il est l’auteur de deux anthologies :

  • Les Riverains du feu, une antholo­gie émo­tiviste de la poésie fran­coph­o­ne con­tem­po­raine, Le Nou­v­el Athanor, 2009 ;
  • Riverains des falais­es, édi­tions clarisse, 2011

Il est égale­ment l’au­teur de quinze livres de poèmes, dont récem­ment, aux édi­tions Librairie-Galerie Racine, en 2010 : Totems aux yeux de rasoir, poèmes 2011–2008, et L’Homme est une île ancrée dans ses émo­tions, et de onze essais, dont, Jacques Hérold et le sur­réal­isme (Sil­vana édi­to­ri­ale, 2010) ou Ilar­ie Voron­ca, le poète inté­gral (Editinter/Rafael de Sur­tis, 2011).