La croix du Sud de Marie-Chris­tine Masset 

 

De petits livres/objets cousus main, de l’édition par amour de la poésie, une col­lec­tion de haute tenue dans laque­lle on trou­ve de très belles voix poé­tiques, dont celle de Marie-Chris­tine Mas­set, par ailleurs mem­bre du comité de rédac­tion de l’excellente revue Phoenix. Le tout mené par Yves Per­rine. Ici, la poésie est mise à l’honneur, en beauté et sim­plic­ité. Cet ensem­ble de Marie-Chris­tine Mas­set, Yarraan, ou « croix du sud » en langue aborigène, est ten­du vers l’étoile flam­boy­ante, le verbe qui vit à l’intérieur des âmes/hommes/poètes et forme une autre vision de la réal­ité. La présence physique de la cul­ture aborigène dans ces pages appa­raît ain­si comme chose évi­dente. Cette puis­sante plongée dans l’âme aborigène, et donc uni­verselle, est une porte d’entrée dans des univers qui ne sont éloignés de nous qu’en apparence. C’est l’humain ancré dans le tout du monde qui paraît dans les mots et les vers de Masset.

 

Rouge, la fleur de magnolia
glisse sur la terre chaude,
voile l’empreinte des regards.
 

Une douce pous­sière s’envole,
et ce qu’hier nous fûmes
est hap­pé par une vague.
 

Nous par­tons, ignorant
ces mil­liards de messages
écrits par les hommes
qui nous poussent loin,
tou­jours plus loin,
de l’autre côté du monde,
où les pul­sa­tions secrètes
de la vie rythment
le Dreamtime.

 

Peut être le lecteur n’est-il pas fam­i­li­er du monde océanien/pacifique des aborigènes et de l’expérience du dream­time, expéri­ence tout aus­si réelle que ce que nous nous échi­nons ici, ratio­nal­istes obtus, à définir comme étant la seule forme de réal­ité. C’est une con­fu­sion : nous con­fon­dons notre réal­ité lim­itée avec le réel. Un soupçon d’égocentrisme fatiguant. Un petit saut du côté de l’art aborigène aidera peut être :

http://www.culturalsurvival.org/australia?gclid=CJePxZOn2bYCFQbHtAodX3oAyA

Ou ici :

http://www.googleartproject.com/collection/australian-rock-art/

Ce dernier lieu remet les idées en place, et en poésie.

Qui lit les vers de Marie-Chris­tine Mas­set avec son cœur sait com­bi­en ce qui ici parait si loin est en vérité au creux de nous-mêmes. Tout est affaire de dévoile­ment intérieur, du moins en ces matières. La poésie de Mas­set par­le de secret, de lumière et de lumi­nosité intérieure − de l’aube qui vient. De celle qui déjà est en nous sans que nous en ayons pleine­ment con­science. De la bâtisse humaine en con­struc­tion / recon­struc­tion per­pétuelle, pour peu que les hommes chem­i­nent dans le Sens, en lien avec la mécanique uni­verselle. Bâtisse, ce tem­ple qu’il nous faut bien élever / relever sans cesse. Ici comme là-bas, au bord de la mer de Tas­man­ie. Un homme, un tem­ple. L’égalité réelle parce qu’intégralement indi­viduée. Cette poésie par­le aus­si des pro­fondeurs du réel, de l’eau, du sable, des qua­tre élé­ments, de la vie, de l’île/origine, comme de nos errances dans cette ombre que nous prenons sou­vent pour l’espace éclairé :

 

Et le vent sur ma chair,
m’appelle à regarder
le souf­fle du monde
franchir la mer de Tasmanie.
(extrait)

Yarraan, le poème/titre du recueil, est d’une ful­gu­rance à couper le souffle :

Vibrante soli­tude
Pre­mière prière
 

C’est le moment.
 

À toi de naître,
Ô Yarraan,
dans l’embrasement
du poème.

(extrait)

 

Un poème que nous aimons ici, et dont chaque instant pour­rait val­oir ton et man­i­feste pour Recours au Poème. C’est du reste pourquoi nous don­nerons à lire, d’ici quelques mois, des poèmes de Marie-Chris­tine Mas­set. Il faut plonger dans ces quelques pages, cette den­sité poé­tique, le long de cette voix / voie, vers « ce que taisent les racines », dans l’attente du souf­fle de ce chant dont par­le la poète, un chant s’apprêtant à se lever à chaque instant. Car il n’est aucune attente en réal­ité, aucun messie, sim­ple­ment la réal­ité d’un chant du monde présent en tous les instants de ce même monde.

Le recueil de Marie-Chris­tine Mas­set se ter­mine sur un poème inti­t­ulé « Rouge ». Il n’est pas de hasard.

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