Si la poésie a toujours à voir avec la pensée, il y a fort à parier qu’elle s’éloignera assez spontanément de la doxa, en tout cas en période “ordinaire” (indifférence, train-train historique, consensus prédominant), fût-ce sous prétexte de défoulement et, dirait-on, d’inversion carnavalesque. Risque calculé, bien sûr, comme toujours quand il s’agit de mots (oui, quand même) : on ne parlera pas à la légère ici de subversion. Quant à ce qui s’appelait naguère « poésie engagée », nous pensons que cette expression – après les milliers de pages qu’elle a provoquées – est ou tautologique en soi, ou beaucoup trop ambitieuse pour les objectifs de cette anthologie qui procède, on s’en sera aperçu, selon « l’allure poétique, à sauts et à gambades ». Une voix sarcastique (G. G. Belli) peut provenir parfois des bureaux du Vatican. Mais faire semblant est déjà un pied-de-nez à l’esprit de sérieux et à l’académisme ; à la bêtise la mieux partagée, surtout. Le fou du roi, le djéli, le pazzariello pasolinien ont bon dos : aussi bien chez les comico-réalistes toscans anciens, chez Merlin Coccaïe, que chez les plus funambulesques des baroques, pour ne pas parler des provocateurs futuristes du début du XXème siècle, le ridicule et l’excès ne sont pas aussi gratuits qu’il y paraît ; et dissimulent parfois, prudemment bien sûr, les offenses, les blessures et les révoltes que les opprimés du quotidien ne peuvent pas (ou plus) exprimer directement. En attendant peut-être quelque soulèvement, de périodes – justement – extraordinaires. Car, sous la cendre, suivant l’accordéon variable de l’Histoire, les différents feux ne cessent jamais de couver.
La face obscure du quotidien
(sonnet)
Qui entendrait tousser la malheureuse
 femme du surnommé Bicci Forèse
 pourrait penser qu’elle a passé l’hiver
 dans le pays où se fait le cristal.
 En plein mois d’août on la trouve enrhumée :
 imagine comment, les autres mois…
 et rien ne sert qu’elle garde chaussettes,
 pour ce que son couvroir est courtenois.
La toux, le froid et autre male envie
 ne lui vient point d’humeurs qui seraient vieilles,
 mais pour le manque qu’elle sent au nid.
 Sa mère en pleure, avec d’autres soucis,
 disant : « Hélas, pour quelques clopinettes
 je l’aurais mise chez un comte Guy ».
Dante Alighieri (?), Tenson avec Forese Donati, Rime
Beautés de Valladolid
Étrons fumants, monceaux de pots de chambre
 versés, répandus, et brillants torrents
 d’urines et bouillons âcres puants
 qu’on ne peut traverser sans bottes prendre ;
eaux stercoraires et en animaux
 morts fécondes, pain chanci sans levain,
 poissons qui empestent les gens de loin,
 vins tournés, vinaigres plats, huiles d’eau ;
bâtiments somptueux sur deux piquets
 emplâtrés de limon et pleins d’ordure
 de çà, de là sans aucun ordre mis ;
dames en céruse et en rouge aussi,
 mais crasses, sans cheveux, os desséchés,
 dont la motte est rentrée par la nature,
voilà ton hermosure
 et tes attraits, et ton renom splendide,
 vallée de boue et non vallée d’olide.
Alessandro Tassoni, Rime (posthumes)
Très belle forcenée
Ah, de la belle dont je restai blessé
 font les anges du Styx un féroce usage :
 elle montre au-dehors l’âme ravagée,
 cheveux fous, regard tors, horrible visage.
Donc dans le plus beau siège d’Amour gouverne
 la haine hideuse et la fureur d’Averne ?
 donc au ciel de beauté un enfer est mis,
 et entrent donc les Furies au Paradis ?
Pardon pour cette belle âme, âmes damnées !
 Si autrefois vous émut d’Orphée le son,
 que vous pousse à compassion tant de beauté.
Mais, fou ! que dis-je ? avec qui ai-je ce ton ?
 Il ne sait pas pardonner, il n’a pitié
 qui de pitié est indigne et de pardon.
Bernardo Morando, Fantasie [amorose], posthume
À Arhiman
Roi des choses, auteur du monde, mystérieuse
 Malfaisance, suprême pouvoir et suprême
 Intelligence, éternel
 Pourvoyeur des maux, gouverneur de mouvance,
 Je ne sais si cela te rend heureux, mais regarde et jouis…
G. Leopardi (1833)
L’incendiaire
âme de notre flamme
Au milieu de la place centrale
 du village
 on a placé la cage de fer
 avec l’incendiaire.
 Elle y restera trois jours
 afin que tous puissent le voir.
 Tous viennent rôder autour
 de l’énorme tétragone,
 durant tout le jour,
 des centaines de personnes.
– Regarde un peu où ils l’ont mis !
 – On dirait un perroquet charbonnier.
 – Et où devaient-ils le mettre ?
 – En prison, directement.
 – C’est bien fait, il a l’air d’un mendiant !
 – Pourquoi ne pas lui préparer
 un appartement de luxe,
 pour qu’il le brûle aussi !
 – Quand même pas le garder dans cette cage !
 – Ils le feront crever de rage !
 – Crever ! C’est pas le type à s’en faire !
 – Il est plus tranquille que nous !
 – Moi je dis qu’il s’amuse beaucoup.
 – Mais, et sa famille ?
 – Qui sait de quelle partie du monde il est venu !
 – Cette engeance n’en a pas, de famille !
 – Sûr, des débris à la dérive !
 – S’il venait de l’enfer ?
 – Pauvre méchant diable !
 – Vous auriez de la compassion ?
 S’il vous avait brûlé votre maison
 vous ne diriez pas ça.
 – La vôtre, il l’a brûlée ?
 – S’il ne l’a pas brûlée
 il s’en est fallu de peu.
 Il a brûlé la moitié du pays
 ce forban !
 – Au moins, lâches, ne lui crachez pas dessus,
 c’est un être humain à la fin !
 – Mais comme il est tranquille !
 – Il n’a pas du tout peur !
 – Je serais mort de honte !
 – Être là, cloué au pilori !
 – Trois jours !
 – Quel supplice !
 – Mon dieu, quel air torve !
 – Ces regards de bandit !
 – S’il n’y avait pas la cage,
je ne resterais pas là.
 – Et si d’un coup on le voyait s’échapper ?
 – Mais comment ferait-il ?
 – Elle est solide au moins, cette cage ?
 – Qu’il ne puisse pas s’enfuir !
 – Par les vides entre les barreaux, il ne pourrait pas passer ?
 Ces brigands savent se replier
 de mille façons !
[…]
Place ! Place ! Écartez-vous !
 Camelote ! Petits êtres
 aux exhalations malodorantes,
 fétide bétail !
 Ravalez tous autant que vous êtes
 votre obscène commérage,
 et qu’il vous reste dans la gorge !
 Place ! Je suis le poète !
 Je viens de loin,
 j’ai traversé l’univers
 pour venir trouver
 ma créature à célébrer !
 Agenouillez-vous, racaille !
 Hommes qui avez horreur du feu,
 pauvres êtres de paille !
 Agenouillez-vous tous !
 Je suis le prêtre,
 cette cage est l’autel,
 cet homme est le Seigneur !
[…]
A. Palazzeschi, L’incendiario, 1910
* * *
Tendre l’autre joue,
 une révolution copernicienne :
 repousser la haine à la marge
 de notre système céleste,
 pour mettre au centre l’étoile,
un Soleil-Amour qui illumine la Terre !
 Facile à dire, mais du dire au faire
 il y a au milieu le Mal,
 et cette Éclipse qui n’en finit plus
 et projette son ombre sur Noël.
V. Magrelli, Il sangue amaro, 2014 (de : Huit poèmes pour Noël)
L’abject et le sublime
(Sonnet)
Qu’une trombe, vieille enragée, t’emporte,
 qu’un tourbillon te frappe sur la tête !
 Pourquoi es-tu en toi-même si torte
 que ne vient pas t’occire la tempête ?
Qu’un arc du ciel t’envoie une angoisseuse
 flèche qui te vient fendre, et soit bien preste :
 car si se terminait ta vie fâcheuse,
 j’aurais, sans plus demander, joie et fête.
Que ne vont pas se plaindre les vautours,
 milans et corbeaux à Dieu souverain,
 qu’il te livre à eux ? Tu es leur quignon.
Mais tu as la chair si suintante et dure
 qu’ils ne tiennent pas à t’avoir en mains :
 aussi restes-tu là, c’est la raison.
(Guido Guinizelli, Rime)
D’huîtres et de crabes
Une huître, lorsque la lune est pleine,
 s’ouvre en grand : ce que voyant le crabe
 pense déjà qu’il l’aura sans peine.
 Il enfile dedans pierre ou branche :
 de se refermer n’est plus capable ;
 ainsi le crabe son huître mange.
Ainsi l’homme qui ouvre sa bouche
 et à un traître dit son secret,
 recevant un coup qui au cœur touche.
 De la langue provient vie ou mort :
 plus se tait que ne parle un discret,
 tant qu’il est soumis au mauvais sort.
La vie se sauve par la prudence :
 bouche cousue garde le silence.
Cecco d’Ascoli, Acerba etas, III, 28
(Trinch !)
1. Limerne :
Ci, ci ! père des noctivagues ténèbres,
 ci, Sommeil, ci, semeur de calme paix
 Morphée ! Ci, plongeant dedans mes yeux
 au lit que tu annexes, couche-toi ou parcours
 tout entier imprégné du liquide cher au peuple
 mon corps, ivre bientôt du pavot qui engourdit.
 D’ici, d’ici s’en aillent les soucis accrochés
 mordicus aux intimes viscères, disparaissent,
 afin que je jouisse de ta divine adorée torpeur,
 grâces rendant, oui, plus tard aux dieux du jour.
2. Merlin :
Post vernazziflui sugum botazzi,
 post corsi tenerum greghique trinchum,
 et roccam cerebri capit fumana
 et sguerzae obtenebrant caput Chimerae.
 O dulcis bibulo quies Todesco,
 seu feno recubat canente naso,
 seu terrae iaceat sonante culo!
 Mox panzae decus est tirare pellem,
 mos est sic asino bovique grasso.
Après le jus coulant du flacon de grenache,
 après avoir trinqué tranquille corse et grec,
 et le donjon cérébral est pris par les fumées
 et les Chimères louches enténèbrent la tête.
 Ô douce quiétude au Tudesque biberonneur,
 qu’il roucoule du nez affalé dans le foin
 ou que du cul il trompette gisant à terre !
 Puis il est bon que la peau du ventre soit tendue,
 selon le plaisir aussi de l’âne et du bœuf gras.
Le grand idéal
Le grand idéal
 m’est sorti
 d’un coup
 alors que distrait
 j’étais dans la rue
 je regardais quelque chose
 et puis
 les gens
 tout autour
 de moi
 se sont retournés
ç’a été
 un jour
 horrible
j’avoue
 que j’ai rougi
 quand j’ai compris
 que le grand
 idéal
 par moi cultivé
 avec soin
 nourri
 des années
 tenu au-dessus
 d’angoisses doutes et soucis
ces grossiers triviaux passants
 avaient cru
 qu’il était
 l’avaient pris
 pour un
 très vulgaire
 pet
Sebastiano Vassalli, La distanza, Bergame 1980
Chant des charretiers
Les roues du chariot grincent comme des lits
 d’hôpital. Les chevaux tombent
 entre les limons et montrent leur moelle aux oiseaux –
 broutent le vent au bout des rails.
N. Ghiglione, Canti civili, 1945
[vénitien classique]
Un certo cavalier orbo da un occhio,
 questo s’ha maridà.
 Appena che l’è andà
 colla so sposa in letto,
 che ’l se n’ha accorto in botta,
 che la l’aveva rotta.
 Oh, com’ela? el ga dito,
 per Dio, no ti xe puta.
 La ga risposto franca:
 Perché cossa me manca?
 Lu ga soggiunto subito:
 Oh, te manca l’onor.
 La ga replicà:
 Vardé là, che stupor?
 Varda, che ancora a ti
 manca un occhio. E cussì
 lu presto ga soggiunto:
 Un dì me l’ha cavà un mio nemigo.
 Ed ella ga risposto:
 E a mi, cogion, me l’a tiolto un me amigo.
Un certain chevalier borgne d’un œil,
 voilà qu’il s’est marié.
 À peine est-il allé
 avec sa femme au lit,
 qu’il s’en est aperçu au premier coup,
 elle l’avait rompue.
 Oh, comment ça ? dit-il,
 par Dieu, tu n’es pas fille.
 Elle fait aussi sec :
 Pourquoi, qu’est-ce qui me manque ?
 Et lui si tôt ajoute :
 Oh, rien qu’un peu d’honneur !
 Mais elle a répliqué :
 Voyez ça, c’est trop fort ?
 Regarde, à toi, vois-tu,
 il manque un œil. Et lui
 vite veut préciser :
 Un jour, un ennemi me l’a ôté.
 Et elle a répondu :
 À moi, couillon, ç’a été un ami.
Giorgio Baffo, Le Poesie (posthume)
[italien de la ville de Rome, romanesco]
Er ciàncico
A ddà rretta a le sciarle der governo, 
 ar Monte nun c’è mmai mezzo bbaiocco. 
 Je vienissi accusí, sarvo me tocco,
 un furmine pe ffodera d’inverno!
 E accusí Ccristo me mannassi un terno, 
 quante ggente sce campeno a lo scrocco:
 cose, Madonna, d’agguantà un batocco 
 e dàjje in culo sin ch’inferno è inferno.
 Cqua mmaggna er Papa, maggna er Zagratario
 de Stato, e cquer d’abbrevi e ’r Cammerlengo, 
 e ’r tesoriere, e ’r Cardinàl Datario.
 Cqua ’ggni prelato c’ha la bbocca, maggna: 
 cqua… inzomma dar piú mmerda ar
 majorengostrozzeno tutti-quanti a sta Cuccaggna.
voir : circe.univ-paris3.fr/Sonnets-Belli.pdf
La grignote
À écouter les craqu’s des gouvernants,
 le Trésor n’a jamais l’ombre d’un rond.
 Puissent-ils recevoir – moi j’me les touche
 autant d’éclairs du ciel dans leur cal’çon !
 Et m’faire avoir, oh Christ ! l’bon numéro,
 à proportion d’combien ils en profitent :
 de quoi, bon dieu, empoigner un gourdin
 et les en fourrager jusqu’au trognon.
 Quoi ! bouff’ le Pape et bouff’ le Secrétaire
 d’État, et ç’ui des Brèv’s et l’Camerlingue,
 le Trésorier et l’Cardinal Dataire.
 Là, chaqu’prélat qu’a une bouche, bouffe:
 là… en un mot, du plus’ merde au fortiche,
 tutti-quanti dans c’fromage-là s’étouffent.
(27 nov. 1830)
Giuseppe Gioachino Belli, Sonetti romaneschi
Et les malgré soi…
Je courais dans le crépuscule…
Je courais dans le crépuscule boueux,
 derrière des hangars cassés, des échafaudages
 silencieux, par des quartiers mouillés
 dans l’odeur de fer et de guenilles
 chauffées, qui sous une croûte
 de poussière, parmi des baraques de tôle
 et des écoulements, dressaient leurs parois
 neuves tôt décrépies, contre un fond
 de métropole déteinte.
Sur le bitume déchaussé, entre les fils d’une herbe âcre
 d’excréments et des esplanades
 noires de boue – la pluie les creusait
 de tiédeurs infectes –, les torrentielles
 files de cyclistes, de hoquetants
 camions de bois, se dispersaient
 parfois, vers des centres de faubourgs
 où déjà quelque bar avait son cercle
 de lumière blanche, et où devant une lisse
 paroi d’église étaient étendus,
 vicieux, les jeunes.
Autour des immeubles
 populaires, déjà vieux, les potagers croupis
 et les constructions hérissées de grues à l’arrêt
 stagnaient dans un silence de fièvre ;
 mais un peu à l’écart du centre éclairé,
 le long de ce silence, une route
 bleue d’asphalte semblait toute enfouie
 dans une vie sans mémoire, intense
 et antique. Rares brillaient
 les réverbères d’une lumière criarde
 et les fenêtres encore ouvertes étaient
 blanches de linge étendu, palpitantes
 de voix à l’intérieur. Sur les seuils, assises
 se tenaient les vieilles femmes, et clairs
 dans leurs salopettes ou leurs culottes courtes
 presque endimanchés plaisantaient les garçons,
 mais ensemble enlacés, avec des filles
 plus précoces qu’eux.
Tout était humain,
 dans cette route, et les hommes étaient là
 agrippés, des intérieurs au trottoir,
 avec leurs pauvres habits, leurs lumières…
 On aurait dit que jusque dans son intime
 et misérable habitation, l’homme était
 juste en bivouac, comme d’une autre espèce,
 et qu’attaché à ce quartier
 dans le couchant huileux de poussière
 n’était pas son État, mais une confuse halte.
Et quiconque eût traversé cette route,
 dépouillé de l’innocente nécessité,
 perdu par les siècles de chrétienté
 qui en ces gens s’étaient perdus,
 n’était qu’un étranger.
Pier Paolo Pasolini, Poesie inedite (version légèrement différente dans “Les Langues Néo-Latines” 286–87, automne 1993)
Morceaux de raison
(I)
Guidant des ennemis désormais aveugles
 je contiens un jour dont ils se souviennent,
 union verte où nul ne prendra
 le bandeau échappé à la main,
 quand la nature puissante par-dessus la pluie
 échange une vie contre une autre vie.
Milo De Angelis, Terra del viso, 1985
5. Judas
Je n’y suis pas encore, moi, dans cette histoire,
 pas tel que vous me voyez.
 Pendant que Jésus joue sur le sol
 d’une maison luisante de propreté,
 ses futurs compagnons aussi jouent
 quelque part, au bord de la mer
 ou du désert, quelques-uns
 dans la propreté, comme lui, quelques autres
 dans la boue d’un taudis.
 Oui, tout doit encore advenir — tout
 excepté mon nom. Mais pour le moment
 ce n’est qu’un nom comme tous les autres,
 innocent comme la créature
 qui innocemment le porte.
 Le dire est, je crois, superflu. Et si par hasard
 il y a quelqu’un qui ne l’a pas deviné,
 tant mieux : en un point infinitésimal
 de la germination du crime
 quelque chose, qui sait, pourrait encore s’enrayer…
 Quelle absurdité! Ce qui est écrit est écrit,
 ou mieux, si je pense à qui m’écoute :
 ce qui est lu est lu.
 Mais laissez-moi encore pour un peu
 l’illusoire, passagère douceur
 de ne pas l’avoir fait.
G. Raboni, Rappresentazione della croce, 2000
Les cauchemars des autres
 sont les miens
 et ce matin
 dans une des venelles au fond
 d’une contrée lointaine
 j’ai reconnu
 une maison de ma rue
 le numéro de ma mémoire
 et les habitants d’un pays
 qui, dit-on ici, “n’existe pas”
c’était écrit dans le journal
 et la photo reproduisait
 des semblables
 qui erraient
 parmi des détritus et des ruines
 et j’étais là, je me suis reconnue
 même si le journaliste distrait
 diffusait des nouvelles
 sans fondement
 sur une rue habitée par moi
 quand je rêvais d’un monde de paix
 ensemble avec les habitants de ce pays
 que l’on entrevoit sur la photo
 et qui dans la nuit
 avaient déjà été condamnés
 à paraître des ombres
 d’un pays qui n’existe pas.
Toni Maraini, Le porte del vento, 2003
(XXXI)
L’eau était partout, sordide, battante :
 l’avaient annoncée dans la nuit
 les bouches adolescentes
 du trop-plein de l’abreuvoir.
Certains l’avaient sentie déjà
 s’ouvrir comme un puits
 dans leur corps : l’eau les rendait malades,
 ne laissait pas de blessure,
 en quelques jours ils sortaient de la vie.
mais outre les champs inondés, aux premiers froids,
 nous connaissions un sentier sous les oliviers
 infréquenté, nôtre,
 ceint d’un vent assidu,
 que l’eau ne pouvait soupçonner.
Gianluca Furnari, Vangelo elementare, 2015
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