Petit livret, grand livre. Encore une fois, après La dernière œuvre de Phidias,  Mar­i­lyne Bertonci­ni fait appel à la dimen­sion mythique pour dire la con­di­tion humaine. Aeon est  le nom latin du dieu du temps dans la mytholo­gie romaine. Eon était pour les phéni­ciens le dieu du temps éter­nel. Elle a ajouté le mot onde. Poésie du fran­chisse­ment, han­tée par les miroite­ments, reflets où se dérobe la quié­tude et se lit le com­bat per­du Vae Vic­tis Vae Tibi. L’ange som­bre AEONDE (cepen­dant fig­ure fémi­nine : fatale semeuse) n’a de cesse d’altérer la per­cep­tion de soi, les miroite­ments se trou­blent, les images con­vo­quées dis­ent alors l’acharnement du com­bat et la fatale défaite.

Marilyne Bertoncini, Aeonde

Mar­i­lyne Bertonci­ni, Aeonde

La pré­ci­sion des évo­ca­tions entraîne le lecteur dans un univers où la beauté se fait fig­ure de résis­tance. La poésie, elle seule, rend sup­port­able la tra­ver­sée de ces allées jonchées de mains coupées. Le jardin opère  dans le recueil comme une fig­ure top­ique du poème, seul lieu où se mou­voir et respir­er. Ces vers avec cette grive (métaphore de la poète) qui frotte/ de la pointe du bec/ les écailles rouil­lées de la grille fer­mée sont bel et bien art poé­tique. A la pureté des vers se lie la musique des poèmes (extrême­ment tra­vail­lée) (Haen­del est cité en lim­i­naire), les sonorités des vers suiv­ants expri­ment la folle féroc­ité de la lutte, les martèle­ments sourds et implaca­bles du temps :

se retirent et s’affrontent
béliers en com­bat sans issue froissant
leur chair de glace crissant
sous les chocs. 

Mais Aeonde n’est pas cru­elle même si les tour­ments qu’elle inflige sont infi­nis. Elle-même ne con­naît ni la paix ni le pou­voir de guéri­son. Là est la force de la poète, de con­vo­quer l’empathie pour la trans­muer en ultime refuge (peut-être) de l’amour car il ne saurait dis­paraître dans la chute inéluctable :

Les ailes repliées
Aeonde au jardin pleure
et mon âme acca­blée est couchée à ses pieds.

Oui, Aeonde la douloureuse est la muse de Mar­i­lyne Bertonci­ni et aus­si dés­espérée la con­di­tion humaine soit-elle, la force créa­trice seule préserve du chaos.

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Marie-Christine Masset

Marie-Chris­tine Mas­set est née à Ruf­fec en Char­ente en 1961. Après avoir vécu au Maroc et en Suède, elle a longtemps habité près des Cévennes à Saint-Jean-de Buèges. Elle vit à présent à Mar­seille où elle enseigne les Let­tres. Bib­li­ogra­phie Bib­li­ogra­phie — Dia­clase de nuit, Hors-Jeu Édi­tions, 1994 — Parole Brûlée, L’Ar­bre à Paroles, Bel­gique, 1995 — L’Em­brasée, Édi­tions Jacques Bré­mond, 1998, prix Ilar­ie Voron­ca — Ile de ma nuit, Édi­tions Encres Vives, 2006 — Et pour­tant elle tourne, Poètes des Cinq Con­ti­nents, 2007 — Yaraan, Édi­tions La Porte, 2011 — L’Oiseau rouge, ver­sion bilingue, tra­duc­tion de l’anglais (USA) Andrea Moor­head, Edi­tions Oxy­bia, octo­bre 2020. Tra­duc­tion de l’anglais (Aus­tralie) — Kevin Gilbert, Le Ver­sant noir, Le Cas­tor astral, juin 2017. Tra­duc­tion de l’anglais (USA) • Gary Sny­der, Poème pour les oiseaux, Le Cas­tor Astral, 2023, Essai • D’une rive à l’autre, quand les poètes traduisent les poètes, édi­tion Tit­ul­li 2023, Antholo­gie. — Vis­ages de Poésie, antholo­gie, Jacques Basse, Raphaël de Sur­tis, 2009 — Vis­ages de Poésie Vague de poésie en Méditer­ranée, antholo­gie, Jacques Basse, Raphaël de Sur­tis, 2014 — Là où dansent les éphémères, 108 poètes d’aujourd’hui, réu­nie et présen­tée par Jean-Yves Reuzeau, Le Cas­tor astral, 2022. Livres d’artiste Avec Joëlle Jour­dan pho­tographe et plas­ti­ci­enne : — Entre feu et cri — Trêve lumineuse — Partage des eaux, Édi­tions Trou­vailles — Eau Con­stel­lée, 2009 Avec Marc Giai-Mini­et pein­tre, graveur, et dessi­na­teur : • Lac Eyre, Les édi­tions du nain qui tou­sse, 2014