Chronique du veilleur (45) : René Guy Cadou

Par |2022-03-06T08:05:51+01:00 6 mars 2022|Catégories : Essais & Chroniques, René Guy Cadou|

D’où vient ce charme très sin­guli­er qui envahit le lecteur, dès qu’il ouvre un livre de poèmes de René Guy Cadou ? C’est un chant d’une couleur très rare, sou­vent mélan­col­ique, sur un tim­bre un peu voilé, mais c’est aus­si une force de vie qui cir­cule, force d’amour pour Hélène, la muse, l’épouse, qui s’é­tend à toute l’humanité.

Il y avait encore quelques inédits du poète, dis­paru en 1951, à l’âge de 31 ans. Bruno Doucey nous donne la joie de les décou­vrir et c’est un véri­ta­ble événe­ment. Dou­ble événe­ment, puisqu’un livre d’inédits d’Hélène Cadou paraît en même temps ( J’ai le soleil à vivre).

Plus de quar­ante poèmes de René Guy Cadou, réu­nis sous le titre Et le ciel m’est ren­du. Tous les thèmes de son œuvre sont présents : le sens pro­fond de la terre et de la nature, l’at­tache­ment à l’en­fance, le lien mys­térieux du poète et de la poésie, l’amour pour Hélène, qui lui inspire un lyrisme puis­sant, à l’orée de la légende du par­fait amour.

Elle est là mon enfant frag­ile mon aimée
Tou­jours penchée vers moi et n’osant pas nommer
L’é­paule qui la suit chaque jour dans son rêve
Hélène je dis toi et je pense à des sèves
Print­anières à des gazons
Aux passereaux qui font de l’ar­bre une saison
A la chan­son des lavandières
Hélène
On ne peut plus douter de la lumière.

 

René Guy Cadou, Et le ciel m’est ren­du, Edi­tions Bruno Doucey, 14 euros.

Mais n’est-ce pas la soli­tude, dans laque­lle le poète médite, écrit, par­le à son Dieu, qui est essen­tielle­ment à l’o­rig­ine du charme de cette oeu­vre qui paraît naturelle­ment s’é­couler du cœur ? On ne sent qu’une sorte d’in­no­cence préservée, une prox­im­ité avec les êtres souf­frants et la cam­pagne de la Brière où il enseigne, l’at­mo­sphère la plus sim­ple et la plus touchante qui soit.

                 

A la petite porte qui donne sur les champs
Là-bas tout au bout de l’allée
Der­rière les ifs
Au fond de la propriété
‑La clé en est per­due depuis com­bi­en d’années-
Tu m’attendras

 

Et quand il s’ag­it de regarder vers le ciel, les prières que Cadou adresse à Dieu s’élèvent avec une force mêlée d’in­time faib­lesse. Le croy­ant ose écrire, dans le secret, ce qui est déjà une véri­ta­ble pro­fes­sion de foi, hum­ble et confiante.

 

Que m’im­porte après tout le sort que vous me réservez
O mon Dieu si je vous ai gauche­ment aimé
Ne voyez là que  la mal­façon de l’Homme et du Poète
Mais ne doutez plus de ce cœur qui voltige du monde à
Vous comme une alouette.

 

Cette frêle alou­ette, c’é­tait l’âme de René Guy Cadou, qui heureuse­ment ne nous a jamais quit­tés, d’une éter­nelle jeunesse.

 

 

 

Présentation de l’auteur

René Guy Cadou

Fils d’instituteurs, né en 1920 en Loire-Atlan­­tique, René Guy Cadou envoie, dès l’âge de 17 ans, ses poèmes à Max Jacob qui recon­naît aus­sitôt en lui un poète. Réfor­mé pour cause de san­té, il devient insti­tu­teur et ren­con­tre Hélène, le grand amour de sa vie, inspi­ra­trice de nom­breux recueils. Durant l’Occupation alle­mande, il ne s’engage pas de façon mil­i­tante mais ses écrits, notam­ment le recueil Pleine poitrine,témoignent de son sou­tien à la Résis­tance et de son désir de dénon­cer la bar­barie nazie, par exem­ple dans les poèmes« Ravens­brück » et « Les Fusil­lés de Châteaubriant ».

Sa sen­si­bil­ité lit­téraire le rap­proche de Michel Manoll, Guy Big­ot, Jean Bouhi­er, poètes de « l’École de Rochefort » – dès 1941, divers auteurs se regroupent, en réac­tion con­tre la poésie nationale imposée par le Régime de Vichy. Puis, pen­dant près de vingt ans, quelques 147 ouvrages sont pub­liés par une trentaine d’écrivains, dont Mau­rice Fombeure, Jean Fol­lain, Eugène Guille­vic. Avec humour, Cadou écrit qu’il s’agit plus d’« une cour de récréa­tion » que d’une école lit­téraire au sens strict du terme. L’amitié du groupe l’emporte sur les pré­ceptes. Ceux-ci font d’ailleurs la part belle à la lib­erté de chaque créa­teur. Pour preuve, la for­mule de Jean Bouhi­er, qui résume l’état d’esprit de ces poètes : « Dire leurs poèmes à la face du monde, les mêler aux rythmes de la nature, au bruit des arbres, de l’eau, les mêler à la vie. »

Jusqu’en 1951, année de sa mort pré­maturée, René Guy Cadou écrit de très nom­breux poèmes. Michel Manoll, dans sa belle pré­face aux Œuvres poé­tiques com­plètes de son ami Cadou (édi­tions Seghers, 1973), en exprime la force sen­si­ble : « René Guy Cadou s’est voué à don­ner voix à tout ce qui par­ticipe au con­cert ter­restre, sans en exclure la plus hum­ble psalmodie ou le chu­chote­ment le plus dis­cret. […] En détachant la poésie de toute for­mule d’école, il l’a ramenée à sa voca­tion naturelle, qui est celle du chant et de l’effusion. »

Un des vers de René Guy Cadou pour­rait être le doux reflet de toute son œuvre : « Le temps qui m’est don­né que l’amour le pro­longe. » (https://www.reseau-canope.fr/poetes-en-resistance/poetes/rene-guy-cadou/)

© Causeur, Le poète René-Guy Cadou. Cap­ture d’écran Youtube.

Bibliographie

Poésie

  • Bran­car­diers de l’aube, Les feuil­lets de l’Ilôt, 1936
  • Forges du vent (Sagesse — 1938)
  • Retour de flamme (Les Cahiers de la Pipe en écume — 1940)
  • Années-lumière (Cahiers de Rochefort — 1941)
  • Morte-sai­­son, René Debresse Édi­teur, Paris, 1941
  • Porte d’éc­ume (Pros­es — Cahiers de Rochefort — 1941)
  • Bruits du cœur (Les Amis de Rochefort — 1942)
  • Lilas du soir (Les Amis de Rochefort — 1942)
  • Amis les Anges (Cahiers de Rochefort — 1943)
  • Grand élan (Les Amis de Rochefort — 1943)
  • La Vie rêvée (Robert Laf­font 1944)
  • Les fusil­lés de Châteaubri­ant (Seghers 1946)
  • Pleine poitrine (P. Fan­lac — 1946)
  • Les Vis­ages de soli­tude (Les Amis de Rochefort — 1947)
  • Let­tre à Jules Super­vielle, Édi­tions Syl­vain Chif­foleau, Nantes, 1947)
  • Qua­tre poèmes d’amour à Hélène (Les Bib­lio­philes alésiens — 1948)
  • Saint-Antoine et Cie, Édi­tions Syl­vain Chif­foleau, Nantes, 1948)
  • Le Miroir d’Or­phée (Gal­li­mard — 1948)
  • Les sept péchés cap­i­taux (1949)
  • Roger Toulouse (P.A.B Alès — 1949)
  • Automne 1957
  • Guy Big­ot, Édi­tions Syl­vain Chif­foleau, Nantes, 1949)
  • Art poé­tique, Édi­tions Syl­vain Chif­foleau, Nantes, 1949)
  • Le Dia­ble et son train (Chez l’au­teur — 1949)
  • Cor­net d’adieu, Édi­tions Syl­vain Chif­foleau, Nantes, 1949)
  • Moineaux de l’an 1920, Édi­tions Syl­vain Chif­foleau, Nantes, 1950)
  • Avant-print­­emps (P.A.B. Alès — jan­vi­er 1951)
  • Les Biens de ce monde (Pierre Seghers — févri­er 1951)
  • Usage interne (Les Amis de Rochefort — 1951)
  • Hélène ou le Règne Végé­tal (Pierre Seghers — févri­er 1951)
  • Le Cœur au bond gravure de Roger Toulouse (Jean-Jacques Ser­gent — 1971)
  • Les Amis d’en­fance 1973
  • Ravens­brück (Édi­tions Seghers — 1973)
  • Hélène (1944)
  • Et le ciel m’est ren­du, Inédits, Édi­tions Bruno Doucey 2022

Anthologies

  • Poèmes choi­sis 1949–1950, Édi­tions Syl­vain Chif­foleau, Nantes, 1950)
  • Comme un oiseau dans la tête, poèmes choi­sis de René Guy Cadou, pré­face inédite de Philippe Del­erm, édi­tion établie par Jean-François Jacques et Alain Ger­main, Édi­tions Points, 2011.

Œuvre complète

  • Poésie, la vie entière, édi­tions Seghers, 1976, rééd.2001 : inté­gral­ité de l’œu­vre poé­tique de René Guy Cadou, avec une pré­face de Michel Manoll
  • Poésie la vie entière est disponible sur KOBO : https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/poesie-la-vie-entiere [archive]

Prose

  • Mon enfance est à tout le monde, Édi­tions Jean Munier.
  • La Mai­son d’été, son unique roman, a été pub­lié pour la pre­mière fois en 1955 par les Nou­velles édi­tions Debresse et réédité par la suite au Cas­tor Astral.
  • Tes­ta­ment d’Apol­li­naire, René Debresse Édi­teur, Paris, 1945)
  • Guil­laume Apol­li­naire ou l’ar­tilleur de Metz, Édi­tions Syl­vain Chif­foleau, Nantes, 1948)
    Il s’ag­it de deux essais sur la vie et l’œu­vre de Guil­laume Apollinaire.
  • Monts et Mer­veilles, Nou­velles fraîch­es, avant-pro­­pos de Philippe Del­erm. Édi­tions du Rocher, 1997. 
    Ce recueil con­tient cinq nou­velles inédites : Le Blé de mai, Liarn, A la pour­suite de la mer, La Prairie, Les Pas dans le ciel.

Radio

En 1949 et 1950, René Guy Cadou a égale­ment fait des émis­sions radio­phoniques sur dif­férents écrivains : Max Jacob, Saint-Pol-Roux, Guil­laume Apol­li­naire (1949), Tris­tan Cor­bière, Robert Desnos (1950). Sa dernière émis­sion, le , est con­sacrée à Nantes, cité d’Or­phée.

Poèmes choi­sis

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)

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