Chronique du veilleur (41) : Jean-Pierre Vidal

Par |2021-01-06T03:11:58+01:00 5 janvier 2021|Catégories : Essais & Chroniques, Jean-Pierre Vidal|

« Elans, inter­rup­tions », le titre de la cinquième par­tie du nou­veau livre de Jean-Pierre Vidal pour­rait être une bonne entrée pour par­ler de Pas­sage des embel­lies, œuvre d’une richesse sur­prenante, voire heureuse­ment décon­cer­tante. Il y a 7 par­ties dans ce regroupe­ment de pros­es médi­ta­tives et poétiques. 

« Chants bibliques » en est l’ultime, et ce n’est évidem­ment pas un hasard. La toute dernière phrase nous saisit par sa puis­sance et sa portée spir­ituelle profonde :

 

                 C’est le désor­dre de l’amour qui fait du monde du fige­ment ou de la man­d­u­ca­tion le lieu pur de la joie grave.

 

Jean-Pierre Vidal, Pas­sage des embel­lies suivi de Thanks, Arfuyen, 13 €.

Les ques­tions ne man­quent pas ici, comme dans la vie ordi­naire. Celles qui ont trait à l’amour, à l’autre, sont pri­mor­diales. Le silence leur répond sou­vent. Celui de Jean-Pierre Vidal résonne en nous, comme une vibra­tion de l’âme qui a déjà tout dit et que l’écriture saisit avec une sûreté remarquable.

                     Ne sachant pas si je suis vivant, tu peux faire en cet instant même l’hypothèse de ma mort, accom­plie ou prochaine, en tres­sail­lir peut-être dans le fau­teuil près de la fenêtre où tu lis le nou­veau livre de ***. Ain­si, ne con­nais­sant rien de sa vie, de ses jours, nous habitons cha­cun la mort de l’autre.

 

Le regard est par­fois lui-même en ques­tion. On com­prend que pour Jean-Pierre Vidal, com­pagnon de Marie Alloy, il soit insé­para­ble de l’acte de pein­dre. Regard mys­térieuse­ment creusé par le poète, qui assiste à cette trans­mu­ta­tion de l’objet devenu « part de l’esprit » :

 

                         On ne regarde rien. Ce sont les objets du monde qui nous « regar­dent », de toute éter­nité, leurs grands yeux invis­i­bles nous cherchent et nous obti­en­nent. Cela me regarde, m’oblige à regarder.

 

Jean-Pierre Vidal aime l’art, et donc le monde des formes. Il écrit : Seule la forme peut don­ner vie à la parole, et donc à l’existence. Ce qui échappe à la forme est per­du pour la vie. Il n’y a donc, dans la vie, que la forme. La forme est, à vrai dire, la vie. On ne saurait exprimer mieux cet acte de foi dans ce qui élève l’homme et lui fait sur­mon­ter le trag­ique de son destin.

Croire en la créa­tion artis­tique, qu’elle soit pic­turale ou lit­téraire, c’est croire en l’éternel. Ce petit morceau d’éternité que nous par­venons à cern­er, à ser­tir de mots et d’images, nous sauve à jamais. Pas­sage des embel­lies est un haut témoignage de ce que peut rêver et accom­plir l’artiste. Dans la pre­mière par­tie du livre, « L’acte éter­nel » est, à cet égard, une page majeure, où se révèle pleine­ment la qual­ité unique de pen­sée et d’écriture de Jean-Pierre Vidal :

 

                        Il y a dans une vie quelques actes éter­nels qui échap­pent à toute morale, à toute chronolo­gie.  Ce sont des gestes, des sit­u­a­tions muettes, par­fois des  paroles dont la justesse brise, pour un moment  hors du temps, l’infinie théorie des mensonges. 

 

Présentation de l’auteur

Jean-Pierre Vidal

Jean Pierre Vidal est un poète français qui a vécu à Lyon. Il a col­laboré à de nom­breuses revues : Ver­so, Aires, Faire part, Théodore Bal­moral, Chef-lieu, La Nou­velle Revue française, Sud, Recueil, Arpa, La Sape, Le Paresseux, Écri­t­ure… 

© Wikipedia, Jean Pierre Vidal, 2014.

Alen­tour de Philippe Jac­cot­tet, numéro spé­cial pré­paré par André Ughet­to et Jean Pierre Vidal, Sud, 19891

Philippe Jac­cot­tet Pages retrou­vées — Inédits — Entre­tiens — Dossier cri­tique — Bib­li­ogra­phie, Pay­ot Lau­sanne, 19892.

Feu d’épines, Le Temps qu’il fait, 19933.

La Fin de l’at­tente, Le Temps qu’il fait, 19954.

Du Corps à la ligne, avec des estam­pes de Marie Alloy, Le Silence qui roule, 20005.

Vie sans orig­ine, avec des estam­pes de Marie Alloy, Les Pas per­dus, 2003.

Thanks, avec des estam­pes de Marie Alloy, Le Silence qui roule, 20106.

Gravier du songe, avec des estam­pes de Marie Alloy, Le Silence qui roule, 2011.

Le Jardin aux trois secrets, avec des estam­pes de Marie Alloy, Le Silence qui roule, 2015.

Exer­ci­ce de l’adieu, Le Silence qui roule, 2018.

Pas­sage des embel­lies, image de Marie Alloy, Arfuyen, 2020.

Philippe Jac­cot­tet, Une trans­ac­tion secrète : lec­tures de poésie, Gal­li­mard, 1987

Philippe Jac­cot­tet, Écrits pour papi­er jour­nal : chroniques 1951–1970, textes réu­nis et présen­tés par Jean-Pierre Vidal, Gal­li­mard, 19947

Philippe Jacot­tet, Tout n’est pas dit : bil­lets pour La Béroche, 1956–1964, Cognac, le Temps qu’il fait, 19

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule).
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