Chronique du veilleur (42) : Jean-Marc Sourdillon

Par |2021-05-06T10:03:15+02:00 2 mai 2021|Catégories : Essais & Chroniques, Jean-Marc Sourdillon|

Le pre­mier livre de poèmes de Jean-Marc Sour­dil­lon, pré­facé par Philippe Jac­cot­tet, Les Tourterelles (édi­tions La Dame d’onze heures) avait obtenu en 2009 le prix du pre­mier recueil de poèmes. Il con­te­nait plus que des promess­es, il révélait un authen­tique poète, d’une sen­si­bil­ité et d’une maîtrise déjà très affirmées.

Ce six­ième ouvrage, L’unique réponse, mar­que sans nul doute un tour­nant de  matu­rité poé­tique. Vers et pros­es poé­tiques alter­nent, d’une égale beauté, ouvrant pour nous un univers intérieur fait de silences, d’élans pro­fonds, de nais­sances et d’imminences.

                        Tout poème est précédé d’un élan par­ti de telle­ment loin qu’on ne sait 
plus ni d’où ni de quand il vient,

mais qui a tra­ver­sé tant de pays et con­nu tant de vis­ages qu’il en garde l’empreinte 
en lui comme le par­fum des corps et l’éclat des espaces dans le vent qui les a frôlés.

 

Jean-Marc Sour­dil­lon, L’unique réponse,Gal­li­mard, 14 euros.

 

« La fragilité de tout » fascine Jean-Marc Sour­dil­lon, « le présent  ordi­naire / et tout le mys­tère der­rière » est pour lui un texte per­pétuelle­ment en écri­t­ure. Il s’applique à en saisir le lan­gage, à en traduire le plus essen­tiel. Car, dans le plus frag­ile, se tient l’intensité, le poignant, le radieux Ain­si, avant le chant du mer­le, il y a ce très par­ti­c­uli­er silence, que le poète doit dire :

                  Il y a tou­jours avant que le mer­le ne chante

un silence sur lequel il se pose, un silence qui fait socle

avant qu’il ne s’élance vers la voix à tra­vers laque­lle il s’expose.

 

Ce que le poète appelle « la déhis­cence » garde le secret de ce qui n’est pas encore de ce monde et qui recèle en lui un intense espoir de vie :

 

                        On en pressent la pal­pi­ta­tion sourde dans les soubre­sauts de notre 
cœur, présence simul­tanée du mort qu’on a aimé et de la poussée de naître en nous 
inex­plic­a­ble et bous­cu­lant tout, glisse­ment, déplace­ment dans la naissance 
inachevée,

chute, pro­gres­sion dans la lumière.

L’intensité est dispersée.

 

La réflex­ion sur la poésie accom­pa­gne ces chants de trans­parence. Le vers est « une passerelle » pour Jean-Marc Sour­dil­lon, et la poésie « une suite de lancers de passerelles ou de pieds d’appel. » Le poète est tou­jours en avant de lui-même, ten­du vers une rive qu’il n’aperçoit qu’à peine, engagé dans un voy­age qui devient sou­vent une explo­ration. « On se propulse dans l’espace de la vibra­tion. » C’est une nais­sance éper­due, elle nous fait naître nous-mêmes, à nous-mêmes.

 

                        On écrit, ça chante dans sa tête, mais on est déjà plus loin, là-bas dans 
l’espace en avant de soi où l’on sait que quelque chose ou quelqu’un nous attend. 
On ne sait pas quoi, on ne sait pas qui, mais on le pressent. Quelqu’un, quelque
chose de plus haut se penche sur soi. Ou, de plus bas, tout en bas, ouvre les bras.

 

Jean-Marc Sour­dil­lon choisit de s’arrêter sur « La semence ». Ce dernier poème me paraît con­tenir à lui seul toute la richesse de son livre, silence de cristal, lente mon­tée de l’aube, souf­fle nourrici­er d’une remar­quable poésie :

                       

Nuit si claire, si calme

 un sas s’est ouvert .

Nuit des soupirs, des semences.

Nuit de l’intact et de l’insoupçonnable.

 

C’est là qu’en secret se prépare

la fris­son­nante lumière

de Vénus à l’aube,

non pas son pas, sa venue

mais son souf­fle qui embue

précé­dant toute naissance

 

 

Présentation de l’auteur

Jean-Marc Sourdillon

Jean Marc Sour­dil­lon est né en 1961.  A pub­lié des livres poétiques :

  • Les Tourterelles (La Dame d’onze heures, pré­face de Philippe Jac­cot­tet, encres d’Is­abelle Ravi­o­lo, 2009).
  • Les Miens de per­son­ne (La Dame d’onze heures, pré­face de Jean-Pierre Lemaire, lavis de Gilles Sack­sick, 2010),
  • Dix sec­on­des tigre (L’Arrière-pays, 2011),
  • En vue de naître (L’Ar­rière-pays, 2017),
  • La vie dis­con­tin­ue (La part com­mune, 2017),
  • des essais et des nou­velles, Les voix de Véronique (Le Bateau Fan­tôme, 2017).

A traduit María Zam­bra­no et édité les Œuvres de Philippe Jac­cot­tet dans la Pléiade.

Jean-Marc Sourdillon

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule).
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