Chronique du veilleur (27) – Jean-Claude Martin, Que n’ai-je

Par |2018-01-07T01:40:49+01:00 20 janvier 2017|Catégories : Essais & Chroniques, Jean-Claude Martin|Mots-clés : |

« Il y a de la neige entre les maisons, de la brume entre les paroles », écrit Jean-Claude Mar­tin dans ce beau livre de poèmes en prose. Une brume, en effet, cir­cule entre les mots, les pages, les images. Elle est tein­tée des couleurs mélan­col­iques de l’automne et de l’hiver, émue d’accords musi­caux feu­trés, assour­dis. Beau­coup reste à devin­er dans les silences cernés de signes mod­estes, mesurés. Une atmo­sphère se dégage douce­ment et sûre­ment, accom­pa­g­née de renon­ce­ments, de capit­u­la­tions de l’esprit parfois.

Un frêle soleil d’automne. Loin­tain comme un amour per­du. Nous appelle dans sa fuite. Douceur à caress­er les joues frileuses, les prés brumeux. J’ai rajouté un pull pour t’oublier. A midi, le théâtre sera rempli.

Jean-Claude Martin, Que n’ai-je, Tarabuste éditeur, 13 euros

Jean-Claude Mar­tin, Que n’ai-je, Tara­buste édi­teur, 13 euros

Une poésie de l’extinction développe toutes sortes de charmes. Jean-Claude Mar­tin les con­naît bien pour les maîtris­er avec beau­coup d’art et de sen­si­bil­ité. On a l’impression qu’il suf­fit de quelques nota­tions reliant l’état du ciel à la vie intérieure pour que quelque chose de pré­cieuse­ment invis­i­ble rejoigne alors ce qui ne sera jamais tout à fait dit.

Le soleil va finir. Ce ciel qu’on crut trans­par­ent va tourn­er à l’ombre, à l’invisible. C’est la vie usée par les heures, les attentes. Trop d’encre main­tenant, et l’on perd la face et la douceur du lavis. Seul le bord du lac est tiède encore des soleils perdus…

Le poète nous dit l’espèce par­ti­c­ulière de bon­heur à « regarder s’enfuir les choses. » Cela peut se faire notam­ment « par la vit­re arrière d’une auto­mo­bile. »  Plaisir de voir des « vis­ages apparus et per­dus dans le même instant »… Il ne s’agit pas de regrets, mais d’une manière « de ne pas désir­er savoir où l’on pour­rait aller. » Jean-Claude Mar­tin nous invite ain­si à « pren­dre l’air », à goûter notam­ment ces moments où terre et ciel se touchent, dans la lumière incom­pa­ra­ble de la neige, à nous laiss­er hap­per par la magie d’une révéla­tion qu’aucun poème ne pour­ra exprimer, mais que quelques belles paroles peu­vent au moins sug­gér­er, les paroles d’un vrai poète :

Dis que la neige est tombée. Que seules les branch­es des arbres appa­rais­sent encore. Qu’il n’y a plus de lim­ite entre terre et ciel –plus d’horizon d’où pour­raient venir les oiseaux… Dis qu’il fait doux et froid –som­bre et clair. Que nous allons dormir –et oubli­er la peine et l’espérance.

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule).
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