Chronique du veilleur (23) – Michael Edwards, L’infiniment proche

Par |2018-01-07T11:22:13+01:00 2 mai 2016|Catégories : Essais & Chroniques, Michael Edwards|Mots-clés : |

Il y a chez Michael Edwards la volon­té tou­jours per­cep­ti­ble de ne pas s’égarer hors de son sujet, dans le détail ou le super­flu. Et ce sujet est d’abord le poète lui-même, « poète de l’impossible réel », qui le sur­prend sans cesse, dans les plus ordi­naires des cir­con­stances, dans la veille ou l’entrée dans le som­meil. Il s’interroge : « Qui par­le dans ma tête sans mots ? »  Une réponse par­fois lui parvient de loin, d’un univers qu’il a du mal à délimiter :

J’entends, dans un autre ailleurs, mon nom

Qui, reten­tis­sant sous cette voûte,
Me met, en un tour de main, debout.

Michael Edwards L’infiniment proche Editions de Corlevour/ Revue Nunc 19 euros

Michael Edwards, L’infiniment proche, Edi­tions de Corlevour/ Revue Nunc 19 euros

Il regarde, lui aus­si, vers le ciel « miroite­ment d’origine et d’avenir ou bien / fenêtre aveu­gle », sem­blable à tous ces gens dans les rues de Paris, par un après-midi de juin, face à « l’infiniment proche. » Qui est-il ? Com­bi­en de moi « bizarres » s’agitent-ils en lui ?

Mais il arrive que Michael Edwards parvi­enne à isol­er une sorte d’essence de l’homme, de ce qui con­stitue sa nature et sa con­di­tion. Dans le poème « Voir », les vers laconiques, la langue épurée, cer­nent une dimen­sion à la fois trag­ique et mystique :

l’homme est si peu
seul dans l’univers
son haleine ne chauffe
aucune lune
son sang ne coule
sur nulle étoile
la mer le suffoque
la terre l’ignore
marées d’angoisses
crachins de faiblesses

L’idéal à attein­dre serait « une ligne sim­ple, droite », pour dire la nudité même ou, moins encore, le plus insai­siss­able, à la lisière de l’absence :

Je serai le rêve de l’ombre, 
Une igno­rance au cœur de l’arbre.

Un immense fond de ténèbres, de puis­sants noc­turnes, nour­ris­sent cette poésie qui s’élève par­fois jusqu’à la vision :

La Terre, tel un grain semé
Dans le champ pro­fond de la nuit.

L’exigence si forte, si pres­sante de con­nais­sance de soi sem­ble alors abdi­quer, laiss­er place à une espèce de fas­ci­na­tion du vide. Le poète s’écrie :

On a per­du le souf­fle et on ne pense plus.
Faut-il ne plus être pour con­naître ce moi ?

Le livre se ter­mine cepen­dant par « Benedicite », un can­tique de louanges qui sem­ble clore tout un par­cours de ques­tions ou d’errances et dont la lumière éclate en de mag­nifiques images :

Sel et sol, bénis­sez le Seigneur,
Louez-le, exal­tez-le à jamais.

Dans le jardin d’hiver, les reines
Veil­lent sur l’étrange,
Sur les ombres bleues dans les plis
Du man­teau d’étoiles de la neige.                                                                          

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule).
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