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Chronique du veilleur (27) – Jean-Claude Martin, Que n’ai-je

« Il y a de la neige entre les maisons, de la brume entre les paroles », écrit Jean-Claude Martin dans ce beau livre de poèmes en prose. Une brume, en effet, circule entre les mots, les pages, les images. Elle est teintée des couleurs mélancoliques de l’automne et de l’hiver, émue d’accords musicaux feutrés, assourdis. Beaucoup reste à deviner dans les silences cernés de signes modestes, mesurés. Une atmosphère se dégage doucement et sûrement, accompagnée de renoncements, de capitulations de l’esprit parfois.

Un frêle soleil d’automne. Lointain comme un amour perdu. Nous appelle dans sa fuite. Douceur à caresser les joues frileuses, les prés brumeux. J’ai rajouté un pull pour t’oublier. A midi, le théâtre sera rempli.

Jean-Claude Martin, Que n’ai-je, Tarabuste éditeur, 13 euros

Jean-Claude Martin, Que n’ai-je, Tarabuste éditeur, 13 euros

Une poésie de l’extinction développe toutes sortes de charmes. Jean-Claude Martin les connaît bien pour les maîtriser avec beaucoup d’art et de sensibilité. On a l’impression qu’il suffit de quelques notations reliant l’état du ciel à la vie intérieure pour que quelque chose de précieusement invisible rejoigne alors ce qui ne sera jamais tout à fait dit.

Le soleil va finir. Ce ciel qu’on crut transparent va tourner à l’ombre, à l’invisible. C’est la vie usée par les heures, les attentes. Trop d’encre maintenant, et l’on perd la face et la douceur du lavis. Seul le bord du lac est tiède encore des soleils perdus…

Le poète nous dit l’espèce particulière de bonheur à « regarder s’enfuir les choses. » Cela peut se faire notamment « par la vitre arrière d’une automobile. »  Plaisir de voir des « visages apparus et perdus dans le même instant »… Il ne s’agit pas de regrets, mais d’une manière « de ne pas désirer savoir où l’on pourrait aller. » Jean-Claude Martin nous invite ainsi à « prendre l’air », à goûter notamment ces moments où terre et ciel se touchent, dans la lumière incomparable de la neige, à nous laisser happer par la magie d’une révélation qu’aucun poème ne pourra exprimer, mais que quelques belles paroles peuvent au moins suggérer, les paroles d’un vrai poète :

Dis que la neige est tombée. Que seules les branches des arbres apparaissent encore. Qu’il n’y a plus de limite entre terre et ciel –plus d’horizon d’où pourraient venir les oiseaux… Dis qu’il fait doux et froid –sombre et clair. Que nous allons dormir –et oublier la peine et l’espérance.

Chronique du veilleur

Retrouvez l'ensemble de la Chronique du veilleur, commencée en 2012 par Gérard Bocholier