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Chronique du veilleur (28) – Stéphane Bataillon, Où nos ombres s’épousent, Vivre l’absence

« Bientôt dix ans qu’elle est partie. Par pudeur ou pour sublimer sa lumière persistante, je ne l’ai jamais nommée dans les pages du livre. » Tout est presque dit dans ces phrases d’aujourd’hui, faisant suite à ce livre de 2010, livre de douleur et de silence, d’un lyrisme retenu, qui marqua l’entrée de Stéphane Bataillon en poésie. Le poète y parle de ce deuil cruel, de la perte de sa bien aimée, mais s’y interroge aussi sur l’indicible qu’il faut pourtant exprimer. Sa jeunesse se confronte déjà à toutes les grandes questions de l’écriture poétique :

       Conserver seulement
       ce qui est nécessaire

                      Ne garder que les mots
                      et puis les écouter.

Stéphane Bataillon, Où nos ombres s'épousent, éd. Bruno Doucey, nov. 2016, 112 p., 13 euros

Stéphane Bataillon, Où nos ombres s'épousent, éd. Bruno Doucey, nov. 2016, 112 p., 13 euros

« Une force vibrante », selon sa belle expression, porte toutes les pages de ce livre, les soutient comme un fardeau miraculeusement suspendu dans les airs. « Et puis il y a cette source, cette source de larmes chaudes qui ne s’arrête jamais malgré les embellies. » Ces larmes rejoignent les éléments, les sensations, « l’eau de la rivière », « l’herbe nouvelle », le sel qui « pique la peau », l’île et la forêt. Elles semblent les irriguer d’une sève étrange, qui les régénère et les purifie. Stéphane Bataillon relie le plus humble au plus grand, comme il tente de relier la mort et la vie.

Il ne reste de nous
que les mots les plus simples
ceux qu’on refuse de lire
sûr de les retrouver

Le parfum de la cendre
qui envahit l’auberge
annonce enfin la course
dans la grande forêt

L’espérance reste cachée, comme une eau pure sous la mousse. On la sent battre au cœur des poèmes qui, finalement, n’en forment plus qu’un, souvent à l’infinitif, mode d’une résolution à prendre, d’un sursaut à produire :

Laisser monter le chant
pour rester au plus proche
de notre découverte

Espérer qu’un matin
on saura le reprendre.

L’impersonnel permet aussi de prendre une certaine distance avec le tragique, il tend déjà à signifier un « nous » où tout humain éprouvé par la souffrance se retrouve et s’arme avec le poète pour continuer à vivre :

On rassemble les fils

éparpillés au sol
pour tresser une étoffe

On sent qu’elle peut tenir.

Cette « étoffe » du poème de Stéphane Bataillon est belle et réchauffe son lecteur qui se laisse envelopper par elle. Elle devient rempart au bord du vide, tissé de fragilité et de force. On n’a qu’envie de la conserver contre soi, à même le cœur.