Chronique du veilleur (61) : Thierry Metz

Par |2025-11-06T12:44:40+01:00 6 novembre 2025|Catégories : Essais & Chroniques, Thierry Metz|

Une dizaine d’an­nées sépare seule­ment la date de pub­li­ca­tion (1988) du pre­mier livre de Thier­ry Metz, Sur la table inven­tée, de son sui­cide, à 40 ans, en 1997. Durant cette décen­nie, Thier­ry Metz a vécu beau­coup de drames, celui de la mort acci­den­telle de son fils Vin­cent, âgé de 8 ans, en 1988, étant le plus ter­ri­ble de tous.

 

Sa soli­tude et ses souf­frances n’ont fait qu’aug­menter. Son écri­t­ure poé­tique les a suiv­ies, saisies, comme  un appren­tis­sage sans cesse repris du trag­ique de l’homme. En apprenant la maçon­ner­ie, le poète s’éprou­vait physique­ment et spir­ituelle­ment. Il nous dit :

         Je n’ai  pas été maçon pour rien et je n’y suis pas venu pour la seule néces­sité. J’ai vite appris que les murs du livre et de la mai­son sont per­cés d’ou­ver­tures. C’est ce qui per­met d’y revenir.

On voit sur les pages ces ouver­tures, des brèch­es qui sou­vent saig­nent comme des plaies. La langue poé­tique de Thier­ry Metz est dev­enue, au fil des man­u­scrits, plus aiguë, plus trouée de silences, comme si l’indi­ci­ble la criblait, la per­forait d’une lame implacable.

 

Thier­ry Metz, Let­tres à la Bien-aimée et autres poèmes, Poésie / Gal­li­mard, 2025, 10 € 30.

Ecrire    ayant vu mort    l’enfant
               n’est plus écrire.

                   Mais
                   j’ai vu    ce mot   inhumain
                  dit
                  avant

                   s’ouvrir
                   et disparaître.

                   Dehors.

Dans Let­tres à la Bien-aimée, le poète s’adresse à Françoise, son épouse, la mère de Vin­cent. Il la regarde s’oc­cu­per de ses deux autres fils. C’est la vie qui va, avec ses occu­pa­tions quo­ti­di­ennes, bien sim­ples et bien claires, des rit­uels domes­tiques, qu’il faut bien accom­plir. Il va quit­ter la mai­son, vivre un temps sans domi­cile fixe, s’é­tour­dir dans l’al­cool, séjourn­er dans des hôpi­taux psychiatriques.

                  Je n’é­coute plus de musique. Plus le temps. Plus envie. Le peu d’or que je recueille est la voix de celle qui fait le ménage dans les escaliers, dans les toi­lettes. Elle chan­tonne. Pour essay­er de sor­tir de tout ça, pour ne pas  y penser.
                  Je ne la con­nais pas.
                  Sauf qu’elle a une voix. Qu’on voit de loin.
                  Qu’on peut touch­er comme un mouchoir.

Que dire à celle qui porte ce même poids de douleur ? La poésie a‑t-elle encore un petit peu d’ef­fi­cience ? Thier­ry Metz par­le d’une « écri­t­ure à l’oeil crevé ». Il sem­ble livr­er avec elle et en elle un com­bat ultime, où il sait bien ce qui l’at­tend, prêt à anticiper la funeste échéance. C’est là ce qui rend cette œuvre poignante dans l’his­toire de notre  poésie con­tem­po­raine, quand le poète s’é­corche aux lim­ites d’un mur infran­chiss­able que le des­tin a jeté devant lui, et nous dit qu’il n’a d’autre choix que de s’y heurter sans fin :

                  J’ai vidé la page pour que tu puiss­es entrer.
                  Pour que tu t’habitues aux couleurs de chaque mot.
                  Assieds-toi près du cen­tre, à côté de ma main.
                 Demain je n’au­rai pas fini.

Présentation de l’auteur

Thierry Metz

Thier­ry Metz est né en 1956 à Paris. En 1977, il s’installe à Saint-Romain-Le-Noble et tra­vaille sur les chantiers. Le 20 mai 1988, Vin­cent, son sec­ond fils, est fauché par une voiture sur la nationale qui passe devant sa mai­son. Le même jour, il obtient le Prix Voron­ca pour son recueil Sur La Table inven­tée qui paraît aux édi­tions Jacques Bré­mond l’année suiv­ante. Un chantier au cen­tre d’A­gen lui inspire Le Jour­nal d’un manœu­vre (L’Arpenteur/Gallimard, 1990). Les Let­tres à la bien-aimée, où transparaît une ten­ta­tive impos­si­ble de deuil, parais­sent en 1995, tou­jours chez L’Arpenteur/Gallimard. En 1996, il s’in­stalle à Bor­deaux. En octo­bre et novem­bre, il fait un pre­mier séjour volon­taire à l’hôpi­tal psy­chi­a­trique de Cadil­lac, où il lutte con­tre l’al­cool et la dépres­sion. Un mois plus tard, en jan­vi­er 1997, il effectue un sec­ond séjour dans ce même hôpi­tal. L’Homme qui penche, écrit durant cette péri­ode, paraît aux édi­tions Opales/Pleine page au début de l’an­née 1997. Le 16 avril 1997, Thier­ry Metz met fin à ses jours. Source : édi­tions Unes.

Sur la table inven­tée, Édi­tions Jacques Bré­mond, 1988 (prix Ilar­ie Voron­ca 1988) ; nou­velle édi­tion avec des encres de Gaëlle Fleur Debeaux, Édi­tions Jacques Bré­mond, 2015 (tra­duc­tion ital­i­enne par Ric­car­do Cor­si, Sul­la tavola inven­ta­ta, Roma, Edi­zioni degli ani­mali, 2018)

Dol­men suivi de La Demeure phréa­tique, Cahiers Frois­sart, 1989 (prix Frois­sart) ; réédi­tion Jacques Bré­mond, 2001

Le Jour­nal d’un manœu­vre, Édi­tions Gal­li­mard, coll. « L’Ar­pen­teur », 1990 et 2016; (tra­duc­tion ital­i­enne, Diario di un manovale, a cura di Andrea Pon­so, Milano, Edi­zioni degli ani­mali, 2020)

Entre l’eau et la feuille, Édi­tions Arfuyen, 199112 ; réédi­tion Jacques Bré­mond, 2015

Let­tres à la bien-aimée, Édi­tions Gal­li­mard, coll. « L’Ar­pen­teur », 1995

Dans les branch­es, Édi­tions Opales, 1995 et 1999

Le Drap déplié, Édi­tions L’Ar­rière-Pays, 1995 et 2001

De l’un à l’autre, avec des toiles filées de Denis Cas­taing, Édi­tions Jacques Bré­mond, 1996

 L’Homme qui penche, Édi­tions Opales / Pleine Page, 1997 ; nou­velle édi­tion revue et aug­men­tée, Édi­tions Pleine Page, 200813 (tra­duc­tion ital­i­enne par Michel Rouan et Lori­ano Gon­fi­anti­ni, L’Uo­mo Che Pende, Pis­toia, Edi­zioni Via del Ven­to, 2001) ; réédi­tion avec une pré­face de Cédric Le Pen­ven, Édi­tions Unes, 2017

Terre, Édi­tions Opales / Pleine Page, 1997 et 2000

Dia­logue avec Suso, Édi­tions Opales / Pleine Page, 1999

 Sur un poème de Paul Celan, avec deux encres orig­i­nales de Jean-Gilles Badaire, Édi­tions Jacques Bré­mond, 1999

Tout ce pourquoi est de sel (inédit), avec des illus­tra­tions de Marc Feld, Édi­tions Pleine Page, 2008

Car­net d’Or­phée et autres poèmes, avec qua­tre encres et lavis de Jean-Claude Pirotte, pré­face de Isabelle Lévesque, Édi­tions Les Deux-Siciles, 2011 (tra­duc­tion ital­i­enne par Mar­co Rota, avec trois lino­gravures de Pier­mario Dori­gat­ti, Quader­no di Orfeo, Milano, Edi­zioni Quaderni di Orfeo [archive], 2012)

Tel que c’est écrit, Édi­tions L’Ar­rière-Pays, 2012

Poésies 1978–1997 (rassem­ble ses poèmes jamais parus en livre), pré­face de Thier­ry Cour­caud (« Dernière ren­con­tre avec Thier­ry Metz »), Édi­tions Pierre Mainard, 2017 (Pierre Mainard [archive])

Le Graineti­er (réc­it inédit)14, suivi d’un entre­tien avec Jean Cus­sat-Blanc (« Avec Kostas Axe­los et les Prob­lèmes de l’enjeu »), pré­face d’Isabelle Lévesque, Édi­tions Pierre Mainard, 2019 (Pierre Mainard [archive])

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

Thierry Metz : La matière des mots

J’aime bien les échafaudages ; en rêvant un peu, en se lais­sant aller, on peut s’y per­dre, s’ou­bli­er. Plus ils sont hauts, plus les instants de ver­tiges com­mu­niquent avec le présent, avec les […]

Thierry Metz : La matière des mots

J’aime bien les échafaudages ; en rêvant un peu, en se lais­sant aller, on peut s’y per­dre, s’ou­bli­er. Plus ils sont hauts, plus les instants de ver­tiges com­mu­niquent avec le présent, avec les […]

Chronique du veilleur (61) : Thierry Metz

Une dizaine d’an­nées sépare seule­ment la date de pub­li­ca­tion (1988) du pre­mier livre de Thier­ry Metz, Sur la table inven­tée, de son sui­cide, à 40 ans, en 1997. Durant cette décen­nie, Thier­ry Metz […]

image_pdfimage_print
mm

Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024), L’Ac­cueil du jour (Ad Solem, 2025), Semences de l’aube (Illador, 2025).

Sommaires

Aller en haut