Har­po, le harpiste des Marx Broth­ers, sort des replis de son large man­teau des choses improb­a­bles : gamelle, toutou, et même cuisse-mol­let de man­nequin. Autant d’objets aléa­toires sou­vent désignés par l’index bran­di – vers le piano ou sur la harpe —  du plus célèbre muet du ciné­ma améri­cain.  Non, cette Suite Apol­li­naire n’a rien à voir avec lui. Et pour­tant, cher­chons quand même la petite bête...

En con­sul­tant le présent opus­cule, l’éditeur Plaine Page offi­cie déjà à 83670 Bar­jols (et non Bar­jot,  c’est de l’humour si facile qu’il n’en est même pas !). Rien à voir avec Har­po, Madame la com­men­ta­trice, il y a erreur d’article ou d’opusculeBon, reprenons. L’auteur Jacques Demar­cq cir­cule apparem­ment au Séné­gal (dont il remer­cie au pas­sage ses amis logeurs). Là, il agré­mente la poésie de sculp­tures de volatiles africains et/ou la déploie en zigza­gs cal­ligram­més, tant et si bien que Guil­laume Apol­li­naire, qui pro­duisit le pre­mier « 1 tout petit oiseau », sem­ble avoir fait des petits, de page en page.

 

Jacques Demarcq, Suite Apollinaire, Ed. Plaine page, Calepins, 32 pages, 10€

Jacques Demar­cq, Suite Apol­li­naire, Ed. Plaine page, Calepins, 32 pages, 10€

Tou­jours rien à voir avec Har­po qui n’a jamais sor­ti de din­don ni de cal­ligramme de sa poche ! Con­tin­uons donc notre périple de lec­trice obses­sion­nelle. Le poète-tra­duc­teur J. Demar­cq est con­nu pour aduler les zozios dont il imite le chant ou la forme avec con­vic­tion.  Approcheri­ons-nous donc d’Harpo par la musique ou la faune? Qui sait ? Est-ce un cul-de-sac men­tal ? Les « fig­ures avi­aires » sculp­tées et/ou écrites pro­posées dans l’ouvrage provi­en­nent des eth­nies yaka,  senoufo, baga, bwa­ba, auquel s’ajoutent des ver­sions (eth­ni­cisées?!) de Picas­so (sa gui­tare), Delau­nay Madame et Mon­sieur (ses roues et sa tour Eif­fel), Calder (ses mobiles), Vial­lat (son hari­cot style cac­ahuète) et même Arp – enfin — ce qui m’autorise  déjà — ouf — à par­ler d’une démarche har­pol­li­naire, autrement dit qui n’a rien de linéaire !

En piochant dans les poches de ce recueil har­pol­li­nairien, on décou­vre les « idéo­grammes lyriques et col­orés», autant de poèmes graphiques réac­tivés ou réin­ven­tés par l’auteur avec une pré­ci­sion red­outable : chaque com­po­si­tion et source d’inspiration – sculp­ture, assem­blage et/ou poème — est détail­lée dans les « notes » avec sa dou­ble source d’inspiration (des let­tres et des formes). Pio­chons donc ici ou là selon une pioche far­felue et éventuellement…surréaliste.

Sur le plan de la typogra­phie ludique : tan­tôt le O d’un mot grossit au fil de la ligne et de la phrase ; tan­tôt le O  — encore lui — encer­cle le mot auquel il appar­tient (« P ussent » est entouré par un O qu’il con­vient de replac­er entre le P et le U si on veut suiv­re sérieuse­ment la lec­ture : « poussent ») ; tan­tôt le C capricieux  et flagorneur se dédou­ble, détriple ( !), déquadru­ple ( !)  et déquin­tu­ple (!) tou­jours sur la même ligne du poème; tan­tôt le corps (cad la taille) d’un même mot se met à ondoy­er, gon­flant et dégon­flant sur la même ligne (« sor­ci­er », « s’inquiète ») ;  tan­tôt le X ou le Z tracés avec une épée à la Zor­ro ont un corps géant « X, Z » défi­ant la rigueur typo; tan­tôt les let­tres d’un même mot dis­parais­sent sur la page (« silen­cieux ») comme un son qui s’éloigne ; tan­tôt… tantôt !!!!

Sur les jeux graphiques, les poèmes – inspirés surtout par Guil­laume – pren­nent la forme par­fois d’un vis­age ailé  bwa­ba (Burk­i­na) ; par­fois de queue d’un oiseau baga (Guinée). Par­fois la forme de mobiles de Calder, artiste ayant le grand priv­ilège de dis­pos­er d’un mobile « bis » cal­ligram­mant sa pro­pre tra­duc­tion, (the calder poem hangs by a thread…). Seules les deux dernières lignes ne sont pour­tant pas traduites, sans doute à cause de l’évocation de Joséphine Bak­er ! Par­fois la forme d’une tour Eif­fel à la Robert Delau­nay, cet « échas­sier haut bec en l’air de 300m »,  dont « Gui voulait faire/un appoème de cet/ oiseau qui n’a qu’une aile ». Par­fois… parfois. !!!!

Sur le plan oral,  les mots jouent sub­rep­tice­ment avec leurs sonorités par­fois sim­ple­ment déplacées : les « papas tri­otes », la « future gérée nation », le « man­ioc des mani­aques », l’oiseau-rire. Ils grig­no­tent par­fois leurs pro­pres syl­labes comme des souris (« sroud­jouri­ii »), quitte même à devenir « muet(s) » comme le « zinzin du muezzin ». Atten­tion, ce dernier mot a la chance d’être traduit-écrit en con­sonnes arabes – m, ou, z, n 1Mais je ne peux les repro­duire même si je les aie véri­fiées. – sans respecter toute­fois la cou­tume d’écrire de droite à gauche. Les mots voient  enfin « à la télé des mil­lions de vieilles pies VIP (lire vi-aye-pi) ou pigeons qui prient épris de paix au prix » !

Qui donc a écrit  ce recueil dans un monde où les « oiseaux por­tent des bobines de bois »? Har­po le bran­quig­nole ?  Ce « berg­er des nuages » qui s’écrie : « j’ai poli mes plâtres de frôle­ments d’ailes par-dessus la forêt » et appré­cie « le galop soudain des étoiles » ? Que fait-il ? « A l’oiseau du bénin tu demandais de te sculpter une pro­fonde stat­ue en rien comme est la poésie ». Que pense-t-il ? « Per­son­ne ne peut me prou­ver que je ne suis pas un aigle ». Per­son­ne ne prou­vera non plus que ce texte n’est pas un commentaire.

Bon, je m’en sorsHar­po est quand même sor­ti du cha­peau avant la fin de la notule. Au for­ceps ?  De fait,  quelle chance d’avoir ten­té d’harpollinariser ce cher Guil­laume et son bric à brac saugrenu. Autrement dit, de n’avoir pas appro­fon­di le  mot d’esprit qui me tit­il­lait le cervelet : trou­ver tout ce qui aurait pu être apomil­lon­naire 2dix­it famil­lion­naire dans Le mot d’esprit et ses rap­ports avec l’inconscient. dans cette Suite Apol­li­naire! Avec un tel mot-valise, je serai encore à l’ouvrage ! J’ai aus­si échap­pé à l’apolignehoraire ou à l’aponoraire ou… Nul n’ayant uni­verselle­ment rai­son (ni Guil­laume, ni Pablo, ni Robert, ni Sonia, ni Jean, ni Jacques,…) et tous ayant prob­a­ble­ment tort, je peux appos­er ma sig­na­ture sans hésitation.

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Jane Hervé

Jour­nal­iste aux Nou­velles Lit­téraires, auteure de La femme de lune (édi­tions Gal­li­mard), Née du chaos, et Le soleil ivre  (édi­tions du Guet­teur). Co-auteure de  La femme tatouée et de Neige d’amour avec le pein­tre Michel Jul­liard et co-auteure de pièces de théâtre : La légende de Guritha, femme viking et de Guritha, le retour avec Danièle Saint-Bois. janeherve@free.fr — voir aus­si : http://leguedelange.over-blog.com/

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