Les poèmes de Jean Fanchette, réu­nis sur cette « île » nom­mée Equinoxe ou située à l’équinoxe,  nous entraî­nent au fil de leur dérive. Le poète capte-t-il  la brûlure zénithale du soleil au-dessus de l’équateur ? Frôle-t-il ce moment par­ti­c­uli­er d’un jour qui dure autant que la nuit ? L’ordre poé­tique de son recueil est presque chronologique : d’Osmoses (1954) jusqu’à la Mémoire de la sax­ifrage (1991), en pas­sant par Archipel, Iden­tités pro­vi­soires, etc.

Jean Fanchette, L’île équinoxe, Poésie, Pré­face J.M.G. Le Clezio, 
Post­face Michel Deguy, 2016.

Chaque éva­sion du cœur et de l’âme, ,  con­voque ponctuelle­ment ses ami(e)s (de Lawrence Dur­rell à Danièle Saint-Bois) et s’inscrit en un lieu d’errance pré­cisé ou décrit (fleuve Con­go, Tan­zanie, Flan­dres, Grèce, Bel­gique, Paris, etc.). L’ensemble est dédié à son épouse Martine.

En chaque écrit se déposent les bribes de cette nos­tal­gie d’exil1Exil, Ex-îles, com­mentera Michel Deguyqui fut sienne. Un itinéraire sou­vent autom­nal dont l’exploration, loin de se figer sur ce qui est décou­vert, ouvre le monde en éven­tail. Réin­ven­tons-le à notre tour.

 « Arpen­teur du vide » tel qu’il se pressent être dans son dernier poème, le poète est porté par un « vis­age qu’habite le ver­tige ». Né du « silence d’eau » lors de son entrée en poésie, il est ensuite ryth­mé de « copeaux de silence » et situé  en une « savane de silence, immo­bile en plein vent », non loin du « silence ouvragé de la mer ». Un tel silence lui est une parole à décrypter avec nos incer­ti­tudes et par­tial­ités. Cet homme de l’île Mau­rice est cerné par une mer qui sug­gère toutes les imag­i­naires, un vent qui nour­rit tous les rêves et un exil qui hante tous ses instants poétiques.

La mer d’abord. Un « geste d’eau » y fait « naître, vivre et mourir ». Cette mer lui est une « liturgie chu­chotée » avec des « brisures du chant de mer anci­enne ».  « Som­meilleuse », elle mur­mure aus­si les souf­frances de ces hommes qui avaient « erré jusqu’au bout de la nuit, per­du jusqu’au sel de leurs larmes » (c’est à dire les esclaves ou les bag­nards de Venus de mer). Même le poème — mar­itime à sa façon —  finit par se bris­er quelque part « en den­telles d’écume ».

Le vent mul­ti­ple ensuite souf­fle partout dans ses textes « en plein vent ». Il « fouille » le chemin et « brouille » les plus « secrètes géo­gra­phies ». Par­fois un lieu : la chapelle de Roubi­gnac, un lieu, est « ven­teuse ». Par­fois des sons ; les voyelles du nom de sa fille – Frédérique – sont « mangées de vent ».

L’exil enfin et tou­jours, hante son esprit au point de le définir et de le plac­er partout en état d’extériorité à lui-même, d’être un « exil qui n’est pas dans l’exil » (in Exils). Cet entre-deux, qui n’est pour­tant pas un nulle part,  se résume en un « Je ne suis pas d’ici, je ne suis plus d’Ailleurs ». Telle est son « enfance d’exil morte sans sépul­ture » (in La liturgie d’écume). Dans son espace,  le « grand ciel mauve » est « attelé à l’exil », engen­drant ain­si un « ciel des exils » (in Hier la mer..). Néan­moins cet exil, par­mi mille exils, peut par­fois être « de neige » (in Mémoire).

Paul Gau­guin, Bord de mer, Martinique.

Fait de dépayse­ment et d’expatriation, il féconde aus­si son ouvrage et sa pen­sée : le poète « engerme son exil » (néol­o­gisme, in Riv­ière). Et soudain, Jean Fanchette recon­nait la vio­lence de sa pro­pre his­toire : « J’ai renié l’âme des îles ». 

Voila  qui ren­voie à notre exil intérieur,  tout autre, au fond d’un esprit et d’un cœur qui l’ignorent trop souvent.

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Jane Hervé

Jour­nal­iste aux Nou­velles Lit­téraires, auteure de La femme de lune (édi­tions Gal­li­mard), Née du chaos, et Le soleil ivre  (édi­tions du Guet­teur). Co-auteure de  La femme tatouée et de Neige d’amour avec le pein­tre Michel Jul­liard et co-auteure de pièces de théâtre : La légende de Guritha, femme viking et de Guritha, le retour avec Danièle Saint-Bois. janeherve@free.fr — voir aus­si : http://leguedelange.over-blog.com/

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