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Revue Festival Permanent des Mots, numéro 26, La Poésie Manifeste

La Poésie Manifeste

 

S’inscrivant dans une tradition qui brille autant par des écrits programmatiques que par des éclats spontanés, de La Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay aux manifestes dadaïstes, surréalistes, et autres, jusqu’au tout personnel Manifeste de la poésie vécue d’Alain Jouffroy auquel le titre du numéro 26 de la revue virtuelle des Éditions Tarmac, Festival Permanent des Mots, créée par Jean-Claude Goiri, « La Poésie Manifeste », semble se référer, moins par déférence, que pour réhabiliter le plaisir du texte comme prélude à une poétique incarnée tant dans la chair du poème que dans le vif de la vie, selon le vœu initial de l’aîné de vivre cette dernière comme un mode de relation à soi, aux autres, au monde, au cœur des existences : « Un manifeste écrit au temps de la pseudo-« fin des manifestes » pour transgresser l’esprit du temps, coïncider avec l’espace réel, celui où la poésie, avant de s’écrire, est un défi du corps à toutes les formes de manipulation de la pensée. Le contact direct avec l’extérieur absolu – le satori comme praxis du regard -, la poésie vécue comme être-au-monde. »

C’est tout le kaléidoscope de ces croisements de regards, de ces relations entre les mots et les choses, les choses et le monde, fort de la diversité des plumes invitées à déployer leur rapport littéraire au réel, en autant de réalités palpables de cette expression multiple que les signataires de ce Manifeste au Pluriel, dans la rencontre, l’échange et le partage, donnent à lire, réfléchir, sentir, sans chef de file et sans doxa préétablie, ce qui fait toute la richesse de cette proposition moins d’écrits théoriques, derrière le titre évocateur de l’ensemble, que dans les nuances singulières et à travers les portes sensorielles où c’est la poésie même qui ainsi se manifeste… Le sens de la formule aphoristique de Sandrine Davin en forme un des exemples les plus probants, illustrant comment en quelques mots se dessinent les racines de la parole entre ciel et terre : « Sous un ciel à l’agonie / La nuit trouée d’étoiles / Bâillonne mes pupilles / ... / Apprendre la langue de la terre / Et respirer le même silence / Là où la pierre prend corps / Là où les chairs rident le temps / ... / Entre ciel et terre / Les paroles s’enracinent »

Témoin des épreuves au fil du hasard, le poème Alea de Fabrice Farre déploie, quant à lui, en trois temps, ses paragraphes de prose méditative comme autant d’énigmes aléatoires, celle de l’appel à l’aide d’un rescapé : « 1 L’amour entre chez le rescapé sans boussole. Au sud, l’aiguille s’emballe, cherchant un nord revenu de vaines certitudes. […]

Festival Permanent des Mots n°26, https://fr.calameo.com/read/004626323279c2c0bf082

La fin, inévitable, s’émousse contre le récif droit de la vie. L’équilibre menacé révèle le tout premier matin autour de la main tendue. », celle également d’un visage témoin de l’ineffable du destin : « 2 Tu me peins le visage, il ne manque que les plumes tout autour. Sous ta main de glaise je prends conscience de moi, apercevant alors, dans le regard d’or du destin, le silex de mes os. », celle enfin de la vision d’un jardin où se fredonne pourtant un air presque frondeur : « 3 On ne voit tomber dans le jardin que le blanc animé. […] Pourtant l’air chante »

Véritable ostinato du langage par ailleurs, le ressassement obstiné de la parole en quête de véridicité du long texte de Carole Carcillo Mesrobian, paru en octobre 2021, aux éditions Unicité, nihIL, est partagé dans la revue selon des extraits choisis dont la présentation annonce toute la portée de l’indicible : « Il ne dit rien, car il n’y a rien, absolument rien à énoncer d’autre que l’abondance sonore d’un silence accompli dans l’oubli de la parole, nihIL. » Dès lors, l’anaphore locutrice de ce (nih)IL, qui n’est pas sans évoquer la « disparition élocutoire du poète » visée par la plume mallarméenne, se développe de phrases en phrases, comme le chant têtu d’un champ des possibles sans cesse labouré pour ne signifier rien, si ce n’est nihIL, autre signe manifeste, à travers ces diverses manifestations d’écriture en autant de trouées du dire, des potentialités de « La Poésie Manifeste », ce beau numéro 26 !