Adeline Miermont-Giustinati, Sumballein suivi de le tunnel,

Par |2024-03-06T16:40:20+01:00 1 mars 2024|Catégories : Adeline Miermont-Giustinati, Critiques|

Peut-être s’avère-t-il néces­saire, pour com­pren­dre toute la quête poé­tique, toute la démarche d’écriture dans laque­lle s’est lancée Ade­line Mier­mont-Giusti­nati, à tra­vers le partage de ce recueil, entre con­fi­dence, poème, essai et réc­it, de revenir à l’origine des mots, à leur éty­molo­gie, tout par­ti­c­ulière­ment celle du verbe de grec ancien qui donne son titre à l’ouvrage fon­da­teur et dont elle rap­pelle la déf­i­ni­tion antique dans un glos­saire des thèmes-clés de son œuvre pré­cieuse­ment glis­sé après une post­face révéla­trice ? « SUMBALLEIN : tran­scrip­tion française du grec ancien Σύμβα λλειν que l’on peut traduire par « jeter ensem­ble », « met­tre ensem­ble », « assem­bler », « réu­nir ». Dans l’Antiquité, deux per­son­nes qui pas­saient un con­trat cas­saient un morceau de poterie. Cha­cun gar­dait un bout. Quand les con­trac­tants se revoy­aient, ils lançaient leurs frag­ments de tessère respec­tifs (les sum­bo­la) afin de se recon­naître. Terme à l’origine du mot sym­bole. »

Tes­sons rassem­blés, frag­ments réu­nis, les « sym­bol­es » de son écri­t­ure don­nent de la chair aux mots et tra­cent le par­cours d’une vie dont la genèse des textes qui sem­blent s’écrire sous les yeux du lecteur, comme sous la dic­tée de son auteur, insuf­fle la vie, donne forme à l’être, pré­pare le sur­gisse­ment de l’existence prise, là encore, en son sens ini­tial d’ek-sis­tence, sor­tie de soi, nais­sance d’un monde sin­guli­er qui procède d’une nuit matricielle, celle-là même dont Pas­cal Quig­nard fait le réc­it de la présence mys­térieuse dans La Nuit sex­uelle et l’analyse de l’absence de son image secrète dont procède pour­tant le nou­veau-né dans Sur l’Image qui manque à nos jours : « Une image manque à la source. Per­son­ne d’entre nous n’a pu assis­ter à la scène sex­uelle dont il résulte. L’enfant qui en provient l’imagine sans finir. C’est ce que les psy­ch­an­a­lystes appel­lent Urszene. »

Témoignage de ré-écri­t­ure au féminin de ce chem­ine­ment d’existence, à tra­vers la fig­ure de la mère à la genèse, à la fois généra­trice et géni­trice, l’emploi sans doute non inno­cent d’une for­mule qui fait là encore écho à la con­cep­tion de cha­cun dans sa tra­ver­sée de sa vie, selon l’écrivain Pas­cal Quig­nard, comme un « dernier roy­aume » de son vivant, autrement dit depuis la nais­sance jusqu’à la mort, monde sou­verain mais voué à dis­paraître et dont les femmes, seules, les mères, plus par­ti­c­ulière­ment, ont le pou­voir d’être à la source, au com­mence­ment de la nuit d’amour fon­da­trice des deux fragments/amants à l’union/unisson à cette rela­tion pre­mière mère-embry­on-bébé-à-naître-nour­ris­son que l’auteur qual­i­fie, quant à elle, de « pre­mier roy­aume » : « le pre­mier roy­aume est un désert / un silence liq­uide / le pre­mier roy­aume est une nuit / le départ de la vie est un inter­mède / le pre­mier roy­aume n’est pas encore l’ex-istence / il est l’in-istence / le pre­mier roy­aume est un prélude / une pré­face / un préambule »

Ade­line Mier­mont-Giusti­nati, Sum­ballein suivi de le tun­nel, édi­tions Phloème, 2021, 15 €.

Prélude ludique, vari­a­tion du désir en explo­ration d’une forêt prim­i­tive que le corps féminin per­son­ni­fie avec toute la force des mythes : « je suis une forêt / je suis un monde secret et opaque / je suis le monde d’avant l’humanité / je suis la vie errante / réfugiée dans une nuit / sous une ramure / île dans une île dans une île / une et île font dans » : ce corps devient alors matrice dont la for­mule inau­gu­rale du recueil en fait la matière béante du pas­sage, des pas­sages, de ten­sion éro­tique en nais­sance sub­lime : « je deviens mon entaille » ; mais c’est d’une écri­t­ure au scalpel, sans fior­i­t­ure, au corps à corps juste­ment, dans son inten­sité physique comme épou­sant une poussée de la physis antique, la nature pre­mière dont l’auteur garde tant l’absolu mythologique de la parole orac­u­laire que le détail dérisoire de la con­tin­gence char­nelle, que se dis­tinguent les éclats, les poèmes divers, les dif­férentes trans­for­ma­tions d’un texte en méta­mor­phose, signe d’un voy­age pri­mor­dial où selon ce témoignage éblouis­sant : « l’horizon est dedans »…

Présentation de l’auteur

Adeline Miermont-Giustinati

  Née à Nan­cy en 1979, Ade­line Mier­­mont-Giusti­­nati est diplômée en Human­ités et en Créa­tion lit­téraire. Elle vit depuis cinq ans dans La Hague, près de Cher­bourg. Elle a exer­cé les métiers de rédac­trice et relec­trice dans la presse écrite et sur le web, pro­fesseure de français et de français langue étrangère, avant de se con­sacr­er entière­ment à l’écri­t­ure et la littérature.
       Autrice de plusieurs recueils de poésie et de textes pub­liés en revues, antholo­gies et sous forme de livres d’artiste, elle se dit égale­ment “passeuse d’écriture”, et met ses com­pé­tences d’écri­t­ure et lit­téraires, au ser­vice de dif­férents publics, assur­ant la relec­ture et le suivi de man­u­scrits et en pro­posant de l’ac­com­pa­g­ne­ment rédac­tion­nel, notam­ment pour des réc­its de vie.
      Elle a fondé la revue Cara­bosse, à sen­si­bil­ité poé­tique et fémin­iste, et l’a dirigée pen­dant deux ans. Enfin, elle a créé la Mai­son de poésie en Cotentin, bap­tisée La Pénin­sule, située dans le hangar d’ate­liers d’artistes La Cherche, à Cher­bourg, et qui met à l’hon­neur le mat­ri­moine et la créa­tion sonore. Elle y organ­ise, depuis deux ans, des événe­ments poé­tiques (lec­tures, ren­con­tres, per­for­mances, ate­liers d’écri­t­ure, scènes ouvertes, pro­jec­tions vidéos, pod­casts), et accueille égale­ment, depuis cette année, des auteurs en résidence.

© Crédits pho­tos Ade­line Miermont

Bibliographie

Recueils :

De Chair et de chimères (La Bruyère, 2007) qui a don­né lieu à une per­for­mance par trois comé­di­ennes à la Lucarne des écrivains (Paris);

Entre les côtes de Mehen (Sélénites², 2013), en col­lab­o­ra­tion avec l’artiste-plas­ti­ci­enne Éme­line Sour­get avec qui elle monte la mai­son d’édi­tion et par­ticipe à plusieurs expo­si­tions, salons et lec­tures publiques, en Bre­tagne et Normandie;

Incis­es (CMJN, 2016), livre d’artiste écrit en regard de gravures de Thier­ry Tuffigo,

Sum­ballein (Tar­mac, 2018, pour la pre­mière édition).

 

Anthologies/ recueils collectifs :

Tra­vers­er (édi­tions de l’Ai­grette-Mai­son de poésie de la Drôme, 2019),

Rage écar­late (édi­tions Folazil, 2020).

Revues :

FPM, Cabaret, Lichen, Les Impromp­tus, Méninge, Nuit de boue (gazette réal­isée en work­shop avec Charles Pen­nequin), Salade, Alo­ra (revue uni­ver­si­taire espag­nole), Pojar.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

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Rémy Soual

Rémy Soual, enseignant de let­tres clas­siques et écrivain, ayant con­tribué dans des revues lit­téraires comme Souf­fles, Le Cap­i­tal des Mots, Kahel, Mange Monde, La Main Mil­lé­naire, ayant col­laboré avec des artistes plas­ti­ciens et rédigé des chroniques d’art pour Olé Mag­a­zine, à suiv­re sur son blog d’écri­t­ure : La rive des mots, www.larivedesmots.com Paru­tions : L’esquisse du geste suivi de Linéa­ments, 2013. La nuit sou­veraine, 2014. Par­cours, ouvrage col­lec­tif à la croisée d’artistes plas­ti­ciens, co-édité par l’as­so­ci­a­tion « Les oiseaux de pas­sage », 2017.

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