Chronique du veilleur (18) – Jean-Claude Pirotte

Par |2018-01-07T00:05:57+01:00 1 février 2015|Catégories : Essais & Chroniques, Jean-Claude Pirotte|Mots-clés : |

Jean-Claude Pirotte n’en avait jamais fini avec son enfance. Enfance détestée ? Enfance où poésie et musique se pen­chaient mater­nelle­ment sur lui, à défaut d’une mère aimante et proche.

J’ai plus de sep­tante ans je rêve
comme un vieux gamin de sept ans,

a‑t-il con­fié en soupi­rant dans Gens sérieux s’abstenir. Ces soupirs, ces sou­venirs sans doute d’anciennes souf­frances, il les a mis en mots et en musique. Lui, « l’immature », de fugue en exil, de fuite en nos­tal­gie, est « revenu de tout / sans être allé nulle part » (Faubourg), s’accrochant à des com­plaintes qua­si­ment intem­porelles comme à des bouées de sauve­tage. Dans ses logis de pas­sage, il allait « ouvrir la porte du gre­nier » pour « laiss­er les fan­tômes descen­dre », fuyant « les grandes per­son­nes » qu’il trou­vait tou­jours assom­mantes, sans trop savoir quelle était la part du songe et celle de la réal­ité. Mais il était une com­pag­nie sur laque­lle il pou­vait compter à coup sûr :

l’enfant que je fus le savait
la mort était sa partenaire
non pas ter­ri­fi­ante elle avait
tou­jours plutôt la tête en l’air  (A St Léger suis réfugié)

Gens sérieux s’abstenir, Le Castor Astral, 112 pages, 13 euros

Gens sérieux s’abstenir, Le Cas­tor Astral, 112 pages, 13 euros
A Saint-Léger suis réfugié
, L’Arrière-Pays, 72 pages, 11 euros
Une île ici, Mer­cure de France, 208 pages, 17,50 euros

Cette famil­iar­ité avec la mort ne date pas de la mal­adie cru­elle qui l’a emporté. Elle est tout aus­si anci­enne que le sen­ti­ment de la durée et du temps sans pitié que le poète éprou­ve depuis l’enfance :

faire allégeance au temps
est tout ce qui importe  (Une île ici)

Pas de révolte, pas d’aventure extra­or­di­naire, mais des rêver­ies, des flâner­ies, et l’écriture des poèmes. « Chaque nuit j’écris sous la lampe et l’ombre va et vient lente­ment autour de la table… » (Faubourg) Cette ombre qui rôde ne porte pas de masque mon­strueux, elle suit bien fidèle­ment les allées et venues de la plume sur le papi­er comme les errances et les exils d’une vie « à l’envers », « très fan­toma­le en somme » (La val­lée de mis­ère). Et les poèmes ne cherchent pas l’évasion ; « l’anodin, le banal, la déroute quo­ti­di­enne, voilà l’essentiel » (Un Voy­age en automne). Ain­si, la métrique si sou­vent régulière, les rimes même, sont une forme de résis­tance « au vide obscène des poèmes »,  à la dérive qui men­ace de tout emporter. L’écriture cepen­dant ne peut cacher tout à fait l’hésitation, l’ennui, le doute incur­ables, avec cette clau­di­ca­tion sourde ou voilée entre gai­eté et tristesse, bon­heur et mal­heur, dont le poète fait par­fois même un sujet de poème :

ce n’est pas que je sois gai
ce n’est pas que je sois triste
c’est que je suis rien du tout
si pos­si­ble moins encore  (Faubourg)

La musique seule devrait rester le témoin de la sem­piter­nelle ques­tion : « Ai-je vécu ? », aucun poème ne pou­vant en dire plus, aucun poème ne « guéris­sant rien ».  « En  vérité seule compte la musique, elle est le style même, et sa lumière », dit-il dans Un Voy­age en automne. Musique d’une « élégie grise et rose » ou « prière sans mots », « chant à peine mod­ulé » qui vient douce­ment vis­iter l’âme à l’improviste.

Il y a deux cents ans
que je rimaille ainsi

plaisante-t-il dans Ajoie, sans se faire d’illusion (« per­son­ne ne m’entend ») et en per­sévérant mal­gré tout, « con­tre l’évidence et le monde. »

Jean-Claude Pirotte a main­tenant fini de « décéder à petit feu. » Il a rejoint « l’enfance absolue » qui le han­tait. Il demeur­era tou­jours pour nous l’envoûtant réc­on­cil­i­a­teur de l’éphémère et de l’éternel.

 

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule).
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