Chronique du veilleur (22) – Béatrice Douvre

Par |2018-01-07T00:40:05+01:00 20 février 2016|Catégories : Béatrice Douvre, Essais & Chroniques|Mots-clés : |

La réédi­tion de l’œuvre poé­tique inté­grale de Béa­trice Dou­vre  est une chance pour les lecteurs qui, en ces temps d’imposture, pour­raient douter de la pos­si­bil­ité d’une écriture.

Elle est et restera en effet « pas­sante du péril », met­tant le poids de toute son âme et de toutes ses forces humaines dans la bal­ance des nuées et des ombres. Elle n’écrit que dans un dan­ger que le lecteur ressent à chaque parole, à chaque élan de poème, dan­ger au vis­age incon­nu et alti­er, tou­jours aux lisières d’un ciel d’orages et d’éclairs. On croit la voir revenir d’une course vers les cimes, hale­tante, mar­quée de brûlures, tou­jours en proie à une soif d’absolu que rien n’a pu étanch­er. En cer­tains aveux à la réso­nance rim­bal­di­enne, elle nous confie :

J’ai con­stru­it des ver­tiges inter­minable­ment, des feuil­lages, j’entrevoyais des mys­tiques, des anges boisés, des vit­raux assiégés de saintes.

Béatrice Douvre, euvre poétique, peintures et dessins, Editions Voix d'encre

Béa­trice Dou­vre, œuvre poé­tique, pein­tures et dessins, Édi­tions Voix d’encre

Tour à tour tri­om­phante et vain­cue, elle procède à d’étranges rites où la pas­sion, la fer­veur, la fas­ci­na­tion de la beauté dévelop­pent leurs charmes mag­iques et religieux, qu’il faut hélas quit­ter pour revenir à cette terre de soif et d’enfance perdue.

 Per­due
Les mains cher­chant l’extase sous une herbe
Se  main­te­naient plus belles que le matin où toi
Tu te cher­chais encore et c’était les murailles
Qui enser­raient ton nom, ta preuve, qui te chassaient

« Adieu enfances » s’écrie le poète, « un vent d’herbes / incon­nu brûle / toute une enfance. »  Mais son chant brisé, nos­tal­gique, ren­ferme une pureté d’ange qui nous boule­verse, une musique qui nous atteint au plus secret.

On dres­sa des tréteaux
Devant le haut des neiges
Des rôles féeriques

(…)Puis l’enfance prit fin
Sous cette arche foraine
Les cos­tumes pâlirent

O les rythmes d’hier
Par­fois on se souvient
En tournoy­ant

Puis on s’accable

Com­ment définir cette musique, sinon en reprenant l’expression de « poésie elfique » que Philippe Jac­cot­tet emploie avec bon­heur dans sa pré­face ? Une poésie qui vibre par « inflex­ions de voix », qui fait enten­dre sans cal­cul ni con­struc­tion savante une sorte de chant d’avant, d’un temps orig­inel, que l’imparfait vient très sou­vent bercer.

Béa­trice Dou­vre n’avait sa vraie demeure qu’en dehors de nous. Sa parole nous appellera tou­jours, irré­sistible­ment, à la suiv­re dans ce monde des « anges fous » qu’elle a si sin­gulière­ment évoqué :

Et c’est parole pure, ce sont d’enfants qui partent
Et c’est parole pure comme un rire

Et s’ils vont aux gravats
Comme par trébuche­ment de verre c’est rire
Qui se brise, ce sont d’enfants qui hâtent
Un peu leurs pas, effrayés d’espaces courts

Par­mi des osse­ments de fleurs sur des sentes mortelles
On les dirait comme des braises
D’oiseaux de brume sans race beaux et rouges

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule).
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