Chronique du veilleur (28) – Stéphane Bataillon, Où nos ombres s’épousent, Vivre l’absence

Par |2019-11-18T14:49:40+01:00 28 mars 2017|Catégories : Essais & Chroniques, Stéphane Bataillon|Mots-clés : |

« Bien­tôt dix ans qu’elle est par­tie. Par pudeur ou pour sub­limer sa lumière per­sis­tante, je ne l’ai jamais nom­mée dans les pages du livre. » Tout est presque dit dans ces phras­es d’aujourd’hui, faisant suite à ce livre de 2010, livre de douleur et de silence, d’un lyrisme retenu, qui mar­qua l’entrée de Stéphane Batail­lon en poésie. Le poète y par­le de ce deuil cru­el, de la perte de sa bien aimée, mais s’y inter­roge aus­si sur l’indicible qu’il faut pour­tant exprimer. Sa jeunesse se con­fronte déjà à toutes les grandes ques­tions de l’écriture poétique :

       Con­serv­er seulement
       ce qui est nécessaire

                      Ne garder que les mots
                      et puis les écouter.

Stéphane Bataillon, Où nos ombres s'épousent, éd. Bruno Doucey, nov. 2016, 112 p., 13 euros

Stéphane Batail­lon, Où nos ombres s’épousent, éd. Bruno Doucey, nov. 2016, 112 p., 13 euros

« Une force vibrante », selon sa belle expres­sion, porte toutes les pages de ce livre, les sou­tient comme un fardeau mirac­uleuse­ment sus­pendu dans les airs. « Et puis il y a cette source, cette source de larmes chaudes qui ne s’arrête jamais mal­gré les embel­lies. » Ces larmes rejoignent les élé­ments, les sen­sa­tions, « l’eau de la riv­ière », « l’herbe nou­velle », le sel qui « pique la peau », l’île et la forêt. Elles sem­blent les irriguer d’une sève étrange, qui les régénère et les puri­fie. Stéphane Batail­lon relie le plus hum­ble au plus grand, comme il tente de reli­er la mort et la vie.

Il ne reste de nous
que les mots les plus simples
ceux qu’on refuse de lire
sûr de les retrouver

Le par­fum de la cendre
qui envahit l’auberge
annonce enfin la course
dans la grande forêt

L’espérance reste cachée, comme une eau pure sous la mousse. On la sent bat­tre au cœur des poèmes qui, finale­ment, n’en for­ment plus qu’un, sou­vent à l’infinitif, mode d’une réso­lu­tion à pren­dre, d’un sur­saut à produire :

Laiss­er mon­ter le chant
pour rester au plus proche
de notre découverte

Espér­er qu’un matin
on saura le reprendre.

L’impersonnel per­met aus­si de pren­dre une cer­taine dis­tance avec le trag­ique, il tend déjà à sig­ni­fi­er un « nous » où tout humain éprou­vé par la souf­france se retrou­ve et s’arme avec le poète pour con­tin­uer à vivre :

On rassem­ble les fils

éparpil­lés au sol
pour tress­er une étoffe

On sent qu’elle peut tenir.

Cette « étoffe » du poème de Stéphane Batail­lon est belle et réchauffe son lecteur qui se laisse envelop­per par elle. Elle devient rem­part au bord du vide, tis­sé de fragilité et de force. On n’a qu’envie de la con­serv­er con­tre soi, à même le cœur.

image_pdfimage_print
mm

Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule).
Aller en haut