Chronique du veilleur (26) – Michel Monnereau, Je suis passé parmi vous

Par |2018-01-07T01:32:09+01:00 21 novembre 2016|Catégories : Essais & Chroniques, Michel Monnereau|Mots-clés : |

Plus que les thèmes, les mots, les images, c’est d’abord la musique qui fait recon­naître immé­di­ate­ment le vrai poète, cette musique secrète qui court de page en page comme un mur­mure, une voix intérieure très sin­gulière. Celle de Michel Mon­nereau nous appa­raît et nous touche par­ti­c­ulière­ment dans son dernier livre, Je suis passé par­mi vous, dont le titre dit déjà la mod­estie et la nos­tal­gie qui  l’imprègnent.

Adulte par inadvertance,
j’aurai vécu au bord de vivre,
là où on ne dérange personne.

Michel Monnereau, Je suis passé parmi vous La Table Ronde, 14 euros

Michel Mon­nereau, Je suis passé par­mi vous, La Table Ronde, 14 euros

On pense au « calme orphe­lin » que chan­tait Ver­laine et on n’est pas éton­né de lire à la fin d’un poème de ce livre : « et je pen­sais à Ver­laine sans savoir pourquoi. » La vie qui passe si vite, les douleurs des petits jours, « l’eau grise du ciel », tout ce qui fait l’univers poé­tique et spir­ituel de Michel Mon­nereau nous par­le à voix basse de

ce peu de nous que nous aurons laissé
comme on aban­donne les écorchures de l’enfance
à d’autres destins.

Il nous en par­le avec les réal­ités et les mots d’aujourd’hui et de tou­jours, « dans le ver­tige d’exister encore », sans « tir­er de phras­es en direc­tion / de la postérité. » Le présent qui est le sien, dans la ville, sur les bor­ds de Seine, pris­on­nier du « filet des horaires », s’écrit déjà au passé. Mais ce passé resplen­dit des couleurs mor­dorées du poème « et le silence débor­de », tout frémis­sant des har­monies qui vibrent au long des pages.

« Que savons-nous de vivre ? », dit le titre d’un poème en prose, par­mi les plus beaux et les plus émou­vants du livre. La réponse est à la fois sim­ple et secrète :

O mes morts, vous marchez près de moi dans la ville en silen­cieuse assem­blée et per­son­ne ne nous voit pass­er sur les longs trot­toirs qui mènent vers la nuit.

Vos ombres tra­versent les vivants que nous sommes encore et à peine si nous touche la pointe du soupçon.

Je vous sais avec moi et cela donne la force d’enjamber les jours.

Michel Mon­nereau est ain­si le poète d’un lyrisme rare, qui me sem­ble bien néces­saire dans le monde poé­tique d’aujourd’hui. Lyrisme retenu et maîtrisé à la fois par une belle rigueur d’écriture et une pudeur à con­tre-courant de tous les tapages et de toutes les facil­ités actuels. Peu de poètes en ce début de siè­cle savent mieux chanter la

Rouille de l’âme , à l’heure crain­tive du crépuscule-
la fièvre du matin dev­enue cen­dre que l’on foule.

Mais Je suis passé par­mi vous  sait aus­si se tenir « du côté / où la vie se ment si bien à elle-même », l’amour, les amours en attes­tent. Et alors, « jusqu’au soir on est éternel. »

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule).
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