Chronique du veilleur (30) – Pierre Dhainaut, Un art des passages

Par |2019-08-04T13:27:02+02:00 2 septembre 2017|Catégories : Essais & Chroniques, Pierre Dhainaut|Mots-clés : |

Pierre Dhain­aut s’est tou­jours tenu sur un seuil. De là, il regarde vers le ciel, le grand large, l’infini. « Nulle part notre lieu, mais un poème en est la porte. »  Un art des pas­sages, qui rassem­ble arti­cles de cri­tique parus en revues et poèmes, nous dit, d’une voix forte et généreuse, la con­fi­ance que la poésie instau­re entre l’écrivain et son lecteur, l’air pur qu’il lui offre de respir­er : « C’est pour respir­er moins mal que, très jeune, j’ai eu recours au poème. »  L’idée cen­trale de sa pen­sée est que « les poèmes sont des avancées, ils n’ont de valeur que s’ils nous inci­tent, auteurs et lecteurs, à pour­suiv­re. » Pierre Dhain­aut sus­cite et accom­pa­gne la plus belle des aven­tures, celle du poème en allé, tou­jours en train de naître :

Aurait-il atteint le bord, un poème
per­siste à chercher la syllabe
qui le fera reten­tir, irradier :
il s’apprête à rejoindre
ce lieu où les mou­ettes sont plus blanches,
où il pour­ra par­mi tant d’autres
exal­ter la parole,
par­faire une naissance…

Pierre Dhainaut, Un art des passages, L'herbe qui tremble

Pierre Dhain­aut, Un art des pas­sages, L’herbe qui trem­ble, 19 euros.

C’est ain­si qu’il n’y a jamais de chute dans un poème, car rien ne retombe, rien ne se ferme. Les poèmes, nous dit Pierre Dhain­aut, sont « ascen­sion­nels », « ils nous redressent, nous regar­dons par les fenêtres. » Quel sera  leur des­tin ? Qui peut savoir ? Le poète n’en est que le trans­met­teur, celui qui délivre ces mes­sages, en par­tie secrets, que d’autres auront à trans­met­tre à leur tour, dans le bon­heur partagé d’une con­tem­pla­tion de beauté. L’œuvre n’est donc pas très dif­férente de la vie même, elle est appelée à avancer, à vibr­er, à suiv­re une route d’air et de souffle.

La suite inti­t­ulée, comme ce livre, « un art des pas­sages » sem­ble, à la fin du vol­ume, inscrire une manière de tes­ta­ment au soir d’une exis­tence tout entière vouée à la poésie, « dans la lumière inachevée » :

Tant que s’éclairent, d’accord,
un poème, un visage,
la mort n’a rien à dire.

Ne trans­mets qu’une esquisse,
laisse au poème
le soin d’aller plus loin.

Comme un par­fum une âme,
d’un poème à l’autre
notre haleine est libre.

Les admi­ra­tions esthé­tiques et lit­téraires de Pierre Dhain­aut sont mul­ti­ples et parais­sent toutes se com­pléter, en allant dans une même direc­tion, celle de la beauté et de l’absolu. Je ne cit­erai que cette phrase d’un arti­cle con­sacré au tableau d’Alfred Manessier, Blés après l’averse, con­tem­plé dans le Musée d’art con­tem­po­rain de Dunkerque, la ville où habite Pierre Dhainaut :

La beauté n’est pas ce refuge où nous nous arrê­te­ri­ons pour savour­er nos traces, apais­er nos peurs, nous retranch­er du monde, elle est ce qui, ne s’accommodant d’aucune trace, sur­monte la peur, mobilise le meilleur de nous-mêmes, en per­ma­nence aux lim­ites de nous-mêmes. 

Le meilleur du grand poète Pierre Dhain­aut se trou­ve, n’en dou­tons pas, dans Un art des pas­sages, et nous lui en sommes très reconnaissants.

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule).
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