Regard sur la poésie Native American : Denise Lajimodiere – l’impact des pensionnats pour enfants Indiens

Par |2023-09-07T11:03:47+02:00 5 septembre 2023|Catégories : Denise Lajimodiere, Essais & Chroniques|

Béa­trice Machet et Recours au poème remer­cient Denise Laji­modiere pour son autori­sa­tion à traduire et repro­duire les poèmes.

À l’occasion de la nom­i­na­tion de Denise Laji­modiere au rang de « poet lau­re­ate » de l’état du Dako­ta du nord, la pre­mière Indi­enne à être nom­mée à ce poste dans cet état, et ce pour deux ans, per­me­t­tez-moi de vous présen­ter cette citoyenne de la nation Anishi­naabe, et plus pré­cisé­ment mem­bre de la com­mu­nauté Chippe­wa de Tur­tle Mountain. 

Elle a été enseignante pen­dant 44 ans, elle est désor­mais à la retraite, son dernier poste était celui de pro­fesseur d’encadrement péd­a­gogique à l’université d’état du Dako­ta du nord. Autrice de qua­tre livres de poésie, elle est aus­si con­nue pour avoir écrit un livre uni­ver­si­taire très remar­qué en 2019, à savoir String­ing Rosaries, (enfil­er des chapelets) qui par­le des pen­sion­nats pour enfants Indiens.

Elle a remis à l’honneur le « Birch Bark bit­ing art », une activ­ité tra­di­tion­nelle de sa cul­ture totale­ment tombée en désué­tude. Il s’agit de sélec­tion­ner de minces pièces flex­i­bles d’écorce de bouleau. 

Le livre de Denise Laji­modiere, String­ing Rosaries, appro­fon­dit la ques­tion de la dépor­ta­tion des Indi­ens d’Amérique.

On utilise les canines soit pour percer la pièce d’écorce et en faire une den­telle ou bien sim­ple­ment pour faire pres­sion et ren­dre l’écorce qua­si trans­par­ente. Si la pièce est pliée elle peut servir à for­mer des dessins symétriques, ces dessins ont une valeur sym­bol­ique ou spir­ituelle pro­pre à la cul­ture Anishi­naabe.  Pour illus­tr­er ces pro­pos voici un poème de Denise Laji­modiere qui explique cette pratique.

BIRCH BARK BITING

I study the spring peeled
bark, gath­ered when leaves
unfolded.
Thun­der­birds, wings spread
wide, gaze back at me.
I peel the amber bark
into thin lay­ers, careful
not to tear claw marks.
I place the fold­ed bark in my
mouth, bit­ing down with eye
teeth, closed eyes see designs,
I unflod a flower, turtle,
or drag­on­fly, hold
it to the light, feath­ery bite
marks glow through
trans­par­ent wings. 

MORDRE L’ÉCORCE DE BOULEAU

J’examine l’écorce de printemps
pelée, récoltée quand les feuilles
se déplient.
Des Oiseaux-Ton­nerres, ailes largement
déployées, me fix­ent à leur tour.
Je pèle l’écorce ambrée
en de fines couch­es, atten­tive 
à ne pas laiss­er des traces de serres.
Je place l’écorce pliée dans ma 
bouche, je mords dedans avec mes 
canines, les yeux fer­més voient les motifs,
je déplie une fleur, une tortue,
ou une libel­lule, je la présente
à la lumière, des mar­ques de morsures
comme plumes luisent au travers
des ailes trans­par­entes. 

Denise Laji­modiere par­ticipe aux Pow-wows en tant que « jin­gle-dress dancer », c’est-à-dire qu’elle porte une robe où se trou­vent des clo­chettes qui son­nent à chaque mou­ve­ment. Elle se relaxe en pra­ti­quant l’aquarelle. Elle vit sur la réserve, au bord d’un lac, dans les « Tur­tle Moun­tains », un plateau cul­mi­nant à 600m au-dessus du niveau de la mer situé à la fois dans le Dako­ta du Nord, le Min­neso­ta, et le Man­i­to­ba au Canada).

Elle dit volon­tiers que sa nation, sa com­mu­nauté, sa cul­ture, sont les sources de son inspi­ra­tion, en tant qu’artiste comme en tant que citoyenne. Sa nom­i­na­tion est une béné­dic­tion qui a un impact à dou­ble effet. Pre­mière­ment de représen­ta­tion : les jeunes Indi­ens et Indi­ennes sur les réserves dans des sit­u­a­tions dif­fi­ciles peu­vent rêver d’une car­rière comme celle vécue par Denise Laji­modiere, cela peut leur inspir­er le désir de faire des études, de se pro­jeter dans un rôle au ser­vice de leur com­mu­nauté, de leur his­toire, de leur cul­ture. Cela leur mon­tre que les autochtones peu­vent accéder et mérit­er les hon­neurs en dehors de leur nation Indi­enne. D’où plus de con­fi­ance, avec le sen­ti­ment d’avoir une légitim­ité et une valeur en tant qu’Indien, d’où une estime de soi ren­for­cée, cela donne un espoir, car le cer­cle vicieux de l’injustice sociale peut être rompu, ils peu­vent se met­tre à rêver d’un futur meilleur.

Cette nom­i­na­tion per­met aus­si à tous les habi­tants du Dako­ta du nord d’avoir l’opportunité de révis­er leurs stéréo­types vis-à-vis des pop­u­la­tions Indi­ennes, de con­naître depuis le point de vue Indi­en tout un pan de l’histoire, toute une façon de penser et de vivre. Cette poten­tial­ité de con­tact pour faire reculer l’ignorance, l’indifférence voir l’hostilité vis-à-vis des Indi­ens ne peut être que béné­fique. Denise Laji­modiere lit de la poésie depuis ses dix ans et a com­mencé à pren­dre des cours d’écriture pen­dant ses années de Lycée. Elle dit dans un entre­tien qu’à l’époque (1964) aucun auteur amérin­di­en ne s’était encore fait con­naître, elle n’avait pas de mod­èle à suiv­re et elle pen­sait que les Indi­ens n’écrivaient pas, ne pou­vaient pas devenir écrivains. Ce n’est qu’en 1984 qu’elle décou­vre un livre, Love Medecine (de Louise Erdrich, elle aus­si Anishi­naabe) et aus­sitôt elle cherche à par­ticiper aux ate­liers d’écriture que Louise Erdrich et sa sœur Heid  con­dui­saient. C’est ain­si que lui est con­fir­mée sa capac­ité à écrire de la poésie et que soutenue par le regard de ses deux écrivaines autochtones, elle a com­mencé à oser pub­li­er sa poésie, oser se penser poète.  

Pen­dant des années, Denise Laji­modiere a fait des recherch­es sur les pen­sion­nats pour enfants Indi­ens, ces étab­lisse­ments où l’on envoy­ait de force les jeunes des réserves et où, en guise d’éducation, beau­coup n’ont reçu que mau­vais traite­ments, abus de toutes sortes, bien que sou­vent ces étab­lisse­ments aient été dirigés par des prêtres, les lais­sant trau­ma­tisés, inca­pables de s’insérer dans la société dom­i­nante et inca­pables de se réin­sér­er dans leur milieu trib­al puisque coupés de leur cul­ture et de leur langue dès le plus jeune âge. 

Les réper­cus­sions psy­chologiques de cette poli­tique des pen­sion­nats se fait encore sen­tir aujourd’hui, alors qu’éclatent les scan­dales liés à ces pra­tiques au Cana­da comme aux États-Unis. On peut sans crainte dire que du 18ième siè­cle jusqu’aux années 1960, ce réseau de pen­sion­nats pour enfants Indi­ens insti­tu­tion­nal­i­sait le kid­nap­ping légal, l’abus et l’assimilation cul­turelle for­cée des jeunes amérin­di­ens en Amérique du nord et voici un témoignage de la ter­reur qu’on subis­sait dans ces pen­sion­nats, puisque Denise s’est basée sur ces témoignages et entre­tiens avec les vic­times de ces pen­sion­nats pour écrire ses poèmes.

Redact­ed

I was detailed to the post office.
A kid came in and I hand­ed him
a let­ter from home.

The priest hollered that the letter
need­ed to be read first and redacted,
then he took his fist and bust­ed me in
I came to on the floor, alone.

Cen­suré

J’ai été détaché à la poste.
Un gosse est entré et je lui ai remis
une let­tre venant de chez lui.

Le prêtre a brail­lé que la lettre
devait être d’abord lue et censurée,
puis il m’a fait explos­er avec son poing
je suis tombé au sol, seul. 

Dans un recueil paru en 2016 inti­t­ulé Bit­ter Tears, « larmes amères », Denise Laji­mod­ière écrit : Sap seeps down a fir tree’s trunk like bit­ter tears.… I brace against the tree and weep for the chil­dren, for the par­ents left behind, for my father who lived, for those who did­n’t,”  (La sève s’écoule du tronc d’un sapin comme des larmes amères  Je me serre con­tre l’arbre et je pleure pour les enfants, pour les par­ents restés, pour mon père qui a survécu, pour ceux qui n’ont pas vécu).

Denise Laji­modiere a égale­ment fait des recherch­es sur le lead­er­ship des  amérin­di­ennes et sur la vio­lence aux­quelles les femmes se trou­vent con­fron­tées. Elle se fait la voix, jamais lar­moy­ante, de divers­es femmes, jeunes-filles et petites filles amérin­di­ennes et ce faisant nous ouvre les portes d’un monde où courage et dig­nité sont des qual­ités absol­u­ment req­ui­s­es pour sup­port­er les ten­sions entre autochtones et blancs. Voici un poème qui se trou­ve dans le recueil DRAGONFLY DANCE (danse de la libel­lule) paru en 2010 aux press­es uni­ver­si­taires du Michigan.

 

Out Step­pin’

I ask my mom where she’s going.
Out step­pin’ she says, a black patent
leather purse draped over her arm.
She out­lines her lips in red
with­out a mir­ror, drops the case
into her bag, and clos­es the tortoiseshell
latch with a snap that tells him
let’s go.

I wrap my arms around a leg
And beg her not to leave
Us, my sis­ter and I wail
And slap the door as it slams shut.
Our broth­er grabs us by our braids
And drags us down the hall,
Ties the mam­ma cat up in a paper
Bag and throws her down the stairs,
Over and over we scream. He rips the head
Off our favorite doll, then pins
Me down first, lays heaving
On top, brown, stink­ing hand
Over my mouth. Lat­er he strangles
A kit­ten in front of us and says he’ll kill
the rest if we tell.
In the morn­ing tiny, pink, plas­tic babies
In our shoes, a race car in his.

DE SORTIE

Je demande à ma mère où elle va.
De sor­tie dit-elle, un sac à main
ver­nis noir cou­vrant son bras.
Sans miroir elle souligne ses lèvres
de rouge, lâche l’étui
dans son sac, et fait cla­quer le fermoir
en écaille de tortue qui signifie
allons‑y.

De mes bras j’entoure une jambe
et la sup­plie de ne pas nous
aban­don­ner, ma sœur et moi pleurnichons
et je frappe la porte alors qu’elle se ferme en claquant.
Notre frère nous attrape par nos tresses
et nous traîne dans le couloir,
il lig­ote la maman chat dans un sac
en papi­er et la jette en bas de l’escalier,
nous hur­lons encore et encore. Il arrache la tête
de notre poupée préférée, puis il m’épingle
en pre­mier, me pose sa main
brune col­lante sur la bouche. Plus tard il étrangle
un cha­ton devant nous et dit qu’il
tuera les autres si nous le dénonçons.

Le matin, des petits bébés en plas­tique  rose
dans nos chaussures,
une voiture de course dans les siennes.

Dans un poème inti­t­ulé “The Neck­lace,” (le col­lier) la nar­ra­trice mon­tre com­ment sa mère avait réparé son col­lier préféré, un ouvrage per­lé comme on les fait dans cer­taines cul­tures amérin­di­ennes, “her arthrit­ic fin­gers patient­ly / thread­ing beads / on the long thin nee­dle, weav­ing / night after night.” (ses doigts arthri­tiques patiem­ment / enfi­laient des per­les / sur la longue aigu­ille, ils tis­saient / nuit après nuit.)

Quand le col­lier est enfin réparé, la petite fille le met à son cou et part pour l’école, là :

At recess a White boy                                                       À la récréa­tion un garçon blanc
ran by, yanked                                                                   
cou­rut vers moi, l’arracha
it off my neck and threw it.                                             
de mon cou et le jeta.
I watched as it ascend­ed                                                 
Je le regar­dais s’élever
high above the black­top,                                                 
au-dessus du bitume, 
the beads glit­tered, scat­ter­ing their light, 
                 les per­les étince­laient, dif­fu­saient leur lumière,
a rain­bow against gray skies.                     
                 un arc-en-ciel con­tre le ciel gris.

Le style de Denise Laji­modiere est dépouil­lé, direct, il peut aus­si être cru. Les mots des poèmes se fraient un chemin dans nos imag­i­na­tions et nous per­me­t­tent, un tant soit peu, de faire l’expérience d’être amérin­di­en, de mieux com­pren­dre, en pro­fondeur, ce que vivre en étant amérin­di­en sig­ni­fie, ce que cela implique en terme de racisme, de con­traste cul­turel, et cette con­nais­sance est néces­saire à partager. Car pour les amérin­di­ens la vie n’est pas aisée sur la réserve, elle n’est pas facile en dehors non plus, pour­tant et comme beau­coup de ses pairs, Denise Laji­modiere ne tombe pas dans le piège de la vic­tim­i­sa­tion. Elle fait œuvre de mémoire, et des souf­frances passées elle entend faire sur­gir des chants de guéri­son. Voici un poème pub­lié en 2021 sur le site de  l’académie des poètes améri­cains, dans la rubrique poem-a-day. 

Tawk­way­menah­nah

I walk around the small tribal
wel­fare cab­in Kookum
had lived in, searching
for her grind­ing stones.

On hot August days
we would sit for hours grinding
chokecher­ries, pits and all.
She would hum or sing
soft­ly in Cree, put the mash
into small pat­ties on cook­ie sheets,
cov­er them with screens
to keep the birds out,
set them on the cabin’s low roof
to dry in the hot North Dako­ta sun.

In the dead of win­ter, she would soak
the dried pat­ties overnight,
then fry them in bacon grease,
add flour and sugar,
the small shack fill­ing with a tangy
sweet scent, and summer
flood­ed my every pore.

I take my grand­kids berry picking,
they com­plain of heat, mos­qui­toes, ticks,
twigs catch­ing their braids.
I wear my apron, make a pouch
to pick the low hang­ing berries
with one hand and toss them in
like Kookum did.

Kneel­ing before the flat rock,
braids tied back,
small­er rock clasped in hand,
I pound the fresh berries
pits and all.
Grand­kids want to try,
and soon the rock is singing
my grandmother’s songs.

Tawk­way­menah­nah

Je fais le tour de la petite 
cabane trib­ale où Kookum*
a vécu, en marchant je cherche
ses pier­res de meulage.

En août les jours chauds
nous restions assis­es pen­dant des heures
à moudre des ceris­es à grappe, les noy­aux avec.
Elle fre­donnait ou chantait
douce­ment en Cree, de la pâte fai­sait des petites galettes 
qu’elle dépo­sait sur des plaques à biscuits,
les cou­vrait de claies
pour tenir les oiseaux éloignés,
les plaçait à séch­er au chaud soleil  du Dako­ta du nord
sur le toit peu élevé de la cabane.

À la fin de l’hiver, elle lais­sait trem­per les galettes
séchées toute la nuit,
puis les fai­sait frire dans la graisse de bacon,
ajoutait farine et sucre,
la petite cahute s’emplissait d’une douce
odeur acidulée, alors l’été
inondait tous mes pores.

J’emmène mes petits-enfants cueil­lir des baies,
ils se plaig­nent de la chaleur, des mous­tiques, des tiques,
des branchettes accrochent leurs tresses.
J’ai mon tabli­er sur moi, j’en fais une poche, 
d’une main je ramasse les baies basses
et je les jette dedans
comme Kookum le faisait. 

Age­nouil­lée devant la pierre plate,
tress­es attachées dans le dos,
une pierre plus petite en main,
je martèle les baies fraiches
et les noy­aux avec.
Les petits-enfants veu­lent essayer,
et bien­tôt la pierre chante
les chants de ma grand-mère. 

*kookum sig­ni­fie grand-mère en langue Cree. (N.d.T.)

 

Les auteurs amérin­di­ens font sou­vent preuve d’un humour mor­dant, qu’on pour­rait par­fois qual­i­fi­er de « noir », et Denise Laji­modiere ne fait pas excep­tion. Elle retrace des épisodes de l’histoire famil­iale, celle qui avec d’autres con­stituent l’histoire d’une com­mu­nauté, d’un peu­ple, et qui s’est trou­vée effacée de l’Histoire, celle que racon­te les « vain­queurs ». Voici un court poème, inclus dans le recueil Drag­on­fly Dance, qui hum­ble­ment témoigne mais qui fait mouche en lais­sant un sourire aux lèvres : 

 

BAG BALM

All hail the char­treuse can of lanolin
Good for all tits whether attached to
The four legged or the two.
Good for itch­es, bad for the cavalry

Who killed all my grandmother’s cows
chick­ens and pigs on their way
to find Lit­tle Shell, they nev­er found
the chipped chi­na hidden

in the well or the berry money,
wrapped in plas­tic, safein square Bag Balm cans
buried under the birch wood pile.

Bag Balm*

Louée soit la boîte verdâtre de lanoline
bonne pour tous les tétons qu’ils soient attachés
aux quadrupèdes ou aux bipèdes.
Bonne pour les démangeaisons, mau­vaise pour la cavalerie

qui a tué toutes les vach­es de ma grand-mère
poulets et cochons, en route pour
Lit­tle Shell**,  ils n’ont jamais trouvé
la porce­laine chi­noise ébréchée cachée

dans le puits ni l’argent des baies,
envelop­pé dans du plas­tique, en sécurité
dans les boîtes car­rées Bag Balm
enter­rées sous la pile de bois de bouleau.

*Bag Balm est la mar­que déposée d’un pro­duit hydratant pour la peau, mains et corps, pour les peaux sèch­es. (N .d.T.) 

** Lit­tle Shell est le nom d’une tribu Chippe­wa ayant une exis­tence légale dans l’état du Mon­tana mais qui n’est pas recon­nue comme telle au niveau fédéral, à qui donc on n’a pas octroyé de ter­res. Cette com­mu­nauté n’a donc pas de réserve allouée et se trou­ve dis­per­sée dans tout l’état du Mon­tana et les états voisins, jusqu’au Cana­da. Forte d’une pop­u­la­tion de 6500 per­son­nes,  elle con­tin­ue de lut­ter pour faire val­oir ses droits auprès du gou­verne­ment et du bureau aux affaires Indi­ennes. Lit­tle Shell est aus­si le nom du chef de cette com­mu­nauté, qui il y a 125 ans , récla­ma plus de 400 hectares de terre pour sa bande de Chippe­was. (N .d.T.)

Très attachée à trans­met­tre l’histoire de son peu­ple, sa cul­ture et ses tra­di­tions, Denise Laji­modiere se fait, au long de ses écrits, le relais des valeurs et des principes amérin­di­ens dont la notion de passé, présent et futur n’est pas le plus facile à saisir pour les occi­den­taux. La con­nex­ion entre les généra­tions est essen­tielle, est vitale, est désirée et cultivée : 

WE CARRY THE LAST CENTURY 

My father’s moth­er died
in the flu pan­dem­ic of 1918.
I know lit­tle about her,
as a child she survived
Indi­an wars, treaties, starvation,
forced to live on a newly
formed reservation.

Now, a hun­dred years later,
I tell my grandchildren
my grand­moth­er died
in the flu epidemic.
I won­der if I will survive
this new pan­dem­ic.

I think of Kokum,
tewn­ty-three years old
with two chil­dren under four.
Did she wear a mask ?
I wear one made
of drag­on­fly print,
the drag­on­fly a protector
dur­ing wars, a symbol
of rebirth, hope, renewal.

Was she afraid
as death closed in ?
Did she suf­fer, lungs filling,
unable to breathe ?

Will my grand­chil­dren say
My grand­moth­er died during
the 2020 Covid pandemic ?

I wear my mask
and breathe.

NOUS EMPORTONS LE SIÈCLE DERNIER

La mère de mon père mourut
pen­dant l’épidémie de grippe en 1918.
Je sais peu de choses d’elle,
enfant elle a survécu
aux guer­res indi­ennes, aux traités, à la famine,
for­cée de vivre sur une réserve
nou­velle­ment constituée.

Main­tenant, une cen­taine d’années plus tard,
je dis à mes petits-enfants
ma grand-mère est morte
pen­dant l’épidémie de grippe.
Je me demande si je vais survivre
à cette nou­velle pandémie.

Je pense à Kookum,
vingt-trois ans
et deux enfants en bas âge.
Por­tait-elle un masque ?
J’en porte un
tail­lé dans un imprimé libellule,
la libel­lule protège
durant les guer­res, un symbole
de renais­sance, d’espoir, de recommencement.

Était-elle effrayée
alors que la mort l’enserrait?
Souf­frait-elle, poumons remplis,
inca­pable de respirer ?

Mes petits-enfants diront-ils
ma grand-mère est morte pendant
la pandémie 2020 de covid ?

Je porte mon masque
et je respire.

 

Pour trans­met­tre, pour expli­quer, pour enseign­er, Denise Laji­mod­ière n’hésite pas à s’adresser aux enfants, j’en veux pour preuve son livre, inti­t­ulé Josie Dances, qui racon­te l’histoire d’une petite fille qui veut danser au prochain pow-wow, et qui pour cela, doit aus­si bien pré­par­er sa tenue que s’entraîner à exé­cuter les pas et les dans­es. Il faut aus­si décou­vrir quel serait son nom spir­ituel et c’est pré­cisé­ment le nom que rêve l’une de ses grands-mères. Entourée de son envi­ron­nement famil­ial Ojib­wa, la petite fille soutenue et encour­agée, Josie com­prend en quoi il est impor­tant d’honorer ses ancêtres, eux à qui l’on doit de pou­voir encore danser, eux par qui passent le lien et la force d’une cul­ture de généra­tions passées en généra­tions à venir.

 

Le qua­trième recueil de poésie écrit par Denise Laji­modiere et paru en 2020 aux press­es uni­ver­si­taires du Dako­ta du nord, con­stitue une cri­tique de la cul­ture colo­niale, de la société con­stru­ite par les colons en Amérique. Le titre est venu d’une obser­va­tion d’une stat­ue représen­tant un guer­ri­er Indi­en à cheval, faite de matériels et d’outils soudés ensem­ble, trou­vés dans les fer­mes. Il souligne com­bi­en les stéréo­types sont tenaces et com­bi­en ils enfer­ment les amérin­di­ens dans des images loin de leur être réel, loin de leur iden­tité réelle, et com­bi­en cela leur nuit, eux qui ont presque à s’excuser de n’être pas comme les blancs les rêvent, eux à qui l’existence est de ce fait encore et tou­jours niée, reléguée dans les marges et les déchets pro­duits par la société dom­i­nante. La cri­tique bien qu’ouvertement exprimée, est sub­tile, ancrée dans la philoso­phie et le savoir tra­di­tion­nel des Indi­ens Chippe­wa (encore nom­més Ojib­wa, tous appar­tenant à la grande nation Anishi­naabe). 

Grâce à tous ses livres, grâce à son impli­ca­tion et son sens de l’éducation, grâce à son nou­veau rôle de « poet Lau­re­ate », gageons que la parole  de Denise Laji­modiere, elle qui incar­ne si bien les valeurs amérin­di­ennes, elle qui tient telle­ment bien son rôle de femme amérin­di­enne, sera enten­due au-delà des lim­ites de sa réserve jusqu’à nos oreilles occi­den­tales, afin que la trans­mis­sion se pour­suive et gagne les esprits, afin que les beautés de ces cul­tures amérin­di­ennes inspirent nos pen­sées et nos com­porte­ments.   

 

Présentation de l’auteur

Denise Lajimodiere

Denise Laji­modiere est une citoyenne inscrite à la Tur­tle Moun­tain Band of Chippe­wa, à Bel­court, dans le Dako­ta du Nord. Elle a été impliquée dans l’é­d­u­ca­tion pen­dant quar­ante-qua­tre ans en tant qu’en­seignante de pri­maire, direc­trice d’é­cole et pro­fesseur. Elle a obtenu sa licence, sa maîtrise et son doc­tor­at à l’u­ni­ver­sité du Dako­ta du Nord. Le Dr Laji­modiere est pro­fesseur agrégé retraité de l’é­cole d’é­d­u­ca­tion, pro­gramme de lead­er­ship en édu­ca­tion, Uni­ver­sité d’É­tat du Dako­ta du Nord, Fargo.

Denise est l’une des fon­da­tri­ces de la Nation­al Native Amer­i­can Board­ing School Heal­ing Coali­tion (N‑NABS-HC). Elle est poète danseuse tra­di­tion­nelle de Jin­gle Dress, une artiste Ojib­we de Birch Bark Bit­ing, et vit dans un cot­tage con­fort­able au bord d’un lac sur la réserve indi­enne de Tur­tle Mountain.

Bib­li­ogra­phie

Drag­on­fly Dance ; Thun­der­bird ; Bit­ter Tears ; His Feath­ers Were Chains ; auteur de livres pour enfants, Josie Dances, et auteur de livres uni­ver­si­taires, String­ing Rosaries : The His­to­ry, The Unfor­giv­able, The Heal­ing of North­ern Plains Board­ing School Survivors.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

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Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, tra­duc­trice des auteurs Indi­ens d’Amérique du nord. Per­forme, donne des réc­i­tals poé­tiques en col­lab­o­ra­tion avec des danseurs, com­pos­i­teurs et musi­ciens. Pub­liée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Uni­ty, 2015) Pour les tra­duc­tions : L’Attente(cartographie Chero­kee), ASM Press (Trick­ster Clan, antholo­gie, 24 poètes Indi­ens)… Elle est mem­bre du col­lec­tif de poètes sonores et per­for­mat­ifs Ecrits — Stu­dio. Par ailleurs elle réalise et ani­me chaque deux­ième mer­cre­di du mois à par­tir de 19h une émis­sion de 55 min­utes con­sacrée à la poésie con­tem­po­raine sur les ondes de radio Ago­ra à Grasse. En 2019, elle pub­lie Tirage(s) de Tête(s) aux édi­tions Les lieux dits, Plough­ing a Self of One’s Own, paru en 2021 aux édi­tions Danc­ing Girl Press, (Chica­go), et TOURNER, petit pré­cis de rota­tion paru chez Tar­mac en octo­bre 2022. 
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