Regard sur la poésie Native American : Kenzie Allen, « Celle-Qui-Va-Seule-en-Jouant-de-la-Musique », ou la prise de responsabilité.

Par |2023-03-17T18:55:08+01:00 2 mars 2023|Catégories : Essais & Chroniques, Kenzie Allen|

(Les poèmes sont repro­duits grâce à l’aimable autori­sa­tion de l’auteure, qu’elle en soit remerciée).

 

« Je vois la poésie, et l’écriture, comme une respon­s­abil­ité. La respon­s­abil­ité envers ce que vous pro­duisez dans le monde et envers les gens du monde. » Ain­si s’exprime Ken­zie Allen, toute jeune artiste aux mul­ti­ples tal­ents, mem­bre de la nation Onei­da (Onei­da du Wis­con­sin, elle appar­tient au clan de la Tortue), donc mem­bre de la grande con­fédéra­tion Hau­denosaunee (gens de la longue-mai­son) con­nue comme la con­fédéra­tion Iro­quoise (for­mée, en plus de la nation Onei­da, des nations Seneca, Cayu­ga, Mohawk, Onon­ga­da, et Tus­caro­ra). Elle partage son temps entre Toron­to où elle enseigne, la Norvège où elle a vécu plus jeune, et la réserve Onei­da à Green Bay dans le Wis­con­sin. Elle s’est faite remar­quée en rem­por­tant le prix de la décou­verte (92NY dis­cov­ery prize), puis le prix James Welch qui récom­pense un poète Indi­en, le lit­toral Press Poet­ry Prize, et enfin le 49th Par­al­lel Award de poésie. Elle a con­cen­tré ses recherch­es uni­ver­si­taires sur la poésie visuelle et doc­u­men­taire, la car­togra­phie lit­téraire, et enfin la mise en œuvre de la sou­veraineté des nations Indi­ennes par le biais d’un tra­vail créatif.

Son dernier pro­jet de poésie incor­pore l’histoire et les his­toires intergénéra­tionnelles liées aux mou­ve­ments migra­toires dias­poriques et aux déplace­ments for­cés, incor­pore les tra­di­tions des Indi­ens Hau­denosaunees et des extraits d’archives comme ceux du pen­sion­nat pour Indi­ens de Carlisle. Elle aime user de procédés mul­ti­modaux. Elle a obtenu une maîtrise d’écriture créa­tive, un doc­tor­at d’anglais, et une licence d’anthropologie. Elle est aus­si pho­tographe à ses heures.

Son idée de la poésie doc­u­men­taire est liée à son ambi­tion de poète, quelqu’un‑e qui doit jouer les rôles d’interlocuteur cul­turel. Il-elle doit être un‑e inter­prète débordé‑e par son imag­i­na­tion, et doit s’engager, il-elle est un‑e militant‑e. Ken­zie dit trou­ver de la joie dans le fait d’être une descen­dante des Indi­ens Onei­das, elle dit trou­ver la poésie dans la com­mu­nauté. Elle dit que la poésie et la musique con­stituent sa force. Sa grand-mère était une chanteuse d’opéra, et son nom Onei­da sig­ni­fie Celle-Qui-Va-Seule-en-Jouant-de-la-Musique.

La musique, la musi­cal­ité, sont ce qui relie et se réfère au lan­gage quel que soit le medi­um util­isé. Elle affirme aus­si que la poésie vit dans une expéri­ence de com­mu­nauté, que le pou­voir qu’elle acquiert se fait par l’intermédiaire des con­nex­ions créées dans une com­mu­nauté, que les lec­tures de poésie sont des incar­na­tions du souf­fle et des rythmes du poème, qui la lais­sent médusée et qui ont un fort impact sur elle. Elle dit aus­si que la poésie est un autre moyen de com­pren­dre, un autre out­il de com­préhen­sion, que dans l’espace d’un respir la poésie vous fait tra­vers­er dif­férents paysages, qu’elle est le con­traire de la com­par­ti­men­ta­tion : « What I love about poet­ry is the whole­ness it affords » (ce que j’aime à pro­pos de la poésie, c’est la com­plé­tude qu’elle offre. »

Le pre­mier titre du poème qui va suiv­re était : Plus d’Indien calme, que des éclairs. Pub­lié dans le mag­a­zine the Paris Review,  le titre a été mod­i­fié en :

 

Calmes comme des éclairs

Et reçue de toi je l’ai con­servée comme une mise à mort,
mon nom, mon héritage, ma rancœur
et le petit trou der­rière l’épaule

où je peux être blessée. La longue-maison
en allumettes que j’ai tail­lée, les ormeaux
la rem­plis­sant attachés avec des cheveux, des tass­es Utes

à café peintes et des tortues en fer un feu de paille
d’identité, un œil en amande surveillant
entre les bib­lio­thèques blanches

et les pho­togra­phies de villes, vergers,
tombeaux, une vieille planche à repasser
aban­don­née dans la rue devant notre ancien logement,

des bou­gies que j’ai allumées à Lis­bonne pour toutes les femmes
que j’avais aimées. Des ani­maux qui ne sont plus
avec nous. Des ani­maux qui ne sont plus

à nous. Une telle éten­due de paysage dont je ne
peux pas m’occuper, farouche comme un vis­age d’enfant,
émi­et­té sous la sécheresse,

bor­dé de sel. J’ai con­servé le nénuphar,
com­ment les médecines étaient données
au Clan de l’Ours, la Don­neuse de nom,

com­ment ses paroles m’avaient
ren­due plus som­bre. La bague en turquoise
et com­ment les esprits sont satisfaits

que l’on donne cela qui avait été
telle­ment admiré, la sweetgrass*
dans mon tiroir à chaus­settes, l’exact volume

d’air que mes poumons et mon ventre
peu­vent con­tenir alors que j’essaie d’en respirer
et d’en avaler sa douceur. Chaque per­le, chaque boucle

de chaque col­lier trésor—
j’ai gardé les piquants de porc-épic
dans ma gorge, je laisse l’eau me noyer

chaque nuit dans mon canoé
fond-de riv­ière, je suis funambule
depuis  mon arrivée sur terre,

depuis qu’ils ont fait mon­ter le sol
et fab­riqué une île ceux qui n’ont pas
péri dans le plon­geon. Depuis que l’île a rampé

jusqu’à devenir con­ti­nent, j’ai été
coquille et mémoire, cal­en­dri­er et foyer.

 

Sweet­grass : Hie­rochloe odor­a­ta, aus­si con­nue sous les noms de foin d’odeur, avoine odor­ante, hiérochloé odor­ant ou herbe aux bisons, est une plante herbacée vivace de la famille des Poacées, orig­i­naire de l’hémis­phère Nord

 

Qui­et as Thunderbolts 

And I kept it from you like a kill,
my name, my lega­cy, my shoulder
chip and the small hol­low beneath

where I can be wound­ed. The Long­house
I whit­tled to match­sticks, abalone
fill­ing up with hair ties, Ute painted

cof­fee mugs and iron tur­tles a pan-flash
of iden­ti­ty, an almond eye watching
from between the white bookcases

and pho­tographs of cities, orchards,
graves.
A lone­ly iron­ing board
left to the street out­side our old place,

can­dles I lit in Lis­bon for all the women
I have loved. Ani­mals who are no longer
with us.
Ani­mals who are no longer

ours. So much land­scape I can’t
tend to, wide as a child’s face
and crum­bled in drought,

rimmed in salt. I kept the Water
Lily, how Bear Clan was given
the med­i­cines, Namegiver,

how she made me darker
with her words.
The turquoise ring
and how it pleas­es the Spirits

to give that which has been
so admired.
The sweet­grass
in my sock draw­er, the exact volume

of air I can fit in my lungs and belly
as I try to swal­low and breathe
its sweet­ness.
Every bead, every

loop of every trea­sure necklace—
I kept por­cu­pine quills
in my throat, I let the water drown me

every night in my river-bottom
canoe.
I’ve been sleepwalking
since I got to this earth,

since they brought up the soil
and made an island, those who did not perish
in the dive.
Since the island crawled

into a con­ti­nent, I’ve been
shell and mem­o­ry, cal­en­dar and hearth.

 

Ce poème mon­tre com­bi­en l’identité Indi­enne prend de plus en plus de place dans la con­science de Ken­zie. La fin du poème célèbre cet héritage Indi­en en faisant allu­sion au mythe de la créa­tion, en mon­trant la fierté ressen­tie mais aus­si les épreuves que subis­sent les Indi­ens encore aujourd’hui. Ken­zie dit que sa famille a subi les con­séquences de la poli­tique d’assimilation mais elle n’a jamais renon­cé à sa part d’héritage Indi­en, et elle a été trans­mise aux enfants. 

The 92nd Street Y, New York., lec­ture par Ken­zie Allen.

Ken­zie se rap­pelle que durant son enfance, elle se trou­vait assail­lie par les stéréo­types négat­ifs plaqués sur les Indi­ens, et clamer son iden­tité Indi­enne était un acte de courage. D’où ce “I kept it from you like a kill” (cette iden­tité con­servée comme une mise à mort). Ce poème est une façon de dire stop, arrê­tons les clichés, ces­sons de pré­ten­dre savoir ce que c’est d’être Indi­en, façon de témoign­er et d’affirmer que l’indianité n’est pas une valeur figée, qu’il n’y a pas une indi­an­ité unique. Et que quel que soit l’endroit sur terre où elle voy­age, Ken­zie emporte la sweet­grass afin d’avoir tou­jours avec elle l’odeur de la réserve Onei­da dans l’état du Wis­con­sin, car où qu’elle soit elle est Onei­da. Le titre quant à lui encour­age les Indi­ens à être fiers et à assumer leur héritage, leur iden­tité Indi­enne. Elle les encour­age à ne pas ressem­bler au cliché de l’Indien imper­turbable au vis­age fer­mé, ils doivent désor­mais envoy­er des éclairs, ils doivent rayonner.

Un poème pub­lié récem­ment (sep­tem­bre 2022) dans le pres­tigieux mag­a­zine POETRY, inti­t­ulé End of the Trail-Fin de la piste, évoque l’auteure et sa mère dans la mai­son de la grand-mère après son décès. La réflex­ion sur ce qui dure, ce qui cesse ou ce qui s’évanouit, la réflex­ion sur la pos­si­bil­ité de cha­cun de pren­dre le relais sous l’œil des anciens afin que l’histoire à la fois com­mence et se per­pétue, mènent à la com­préhen­sion et au con­sen­te­ment de l’auteure : elle assume l’héritage, avec ent­hou­si­asme et con­vic­tion, elle prend les rênes désormais.

Fin de la piste

Sim­ple repro­duc­tion, vous pour­riez la transporter,
Vous pour­riez la porter dans vos bras ;

Suff­isam­ment petite—                     mais je tombe en ruine,
                                                              je m’érode, à ses pieds.

 

J’ai gran­di sur ce sol, dans la mai­son de ma grand-mère.
Sur chaque sur­face une stat­ue. Sur chaque mur

des chefs entur­ban­nés, des femmes avec des bébés sur le dos
recueil­lant de l’eau,

des hommes à cheval qui mon­trent le chemin
dans une neige épaisse. Comme si notre mai­son était un musée,

comme si le musée te voy­ait enfin
             dans tous les sens,

et pourquoi pas—collecter aus­si les Rus­sels, Millers et Wyeths.
Ce que cha­cun de nous savait de nous

dans ce qui restait.

Je demande qui a récupéré les Rem­ing­tons, les copies,

quand elle est morte.

Juste un autre Indien
affalé sur son cheval.

comme si je pouvais

                                              dans plus que la mémoire

détenir l’objet en l’air,
une urne, tremblante,

 une pho­togra­phie que vous ne pou­vez pas vrai­ment faire sortir
 

comme cette Bible qui a reposé à côté d’elle
de très nom­breuses années, a survécu à une guerre nouvelle ;

a survécu aux bombes ;
mais les bombes ont apporté l’inondation,

et main­tenant le livre des mar­tyrs est taché ;
ne par­le qu’au tra­vers des marges

sur les bor­ds. Tout le monde fai­sait ça
à l’époque—me dit-on,

tu tiens l’objet en l’air. Vous questionnez.
Aucune his­toire ne sort.

En ces années de tranquillité,
rien que les archives ;

pas de pho­tos d’enfance, pas de langage
cam­ou­flé dans le coin de la page—

il reprend seule­ment son souffle,
il leur sur­vivra tous,

il est, après tout,
fait de pierre.

Fin ou infini ?
J’voudrais pou­voir vous l’dire—

Cette sil­hou­ette particulière,
un bronze verdis­sant au fil des ans—

 

la plaque est si petite.
Aucune expli­ca­tion ne convient.

Pas de sol plus ferme
sculp­té dans les coins.

 

Dans le grand fau­teuil en cuir qui était son trône,
elle mon­trait du doigt chaque cadre penché, dis-moi :

 L’Indien en Sa Solitude
est de travers

Le Dernier des bisons,
Dernier des Mohicans

Tous ces derniers
dureront plus que nous deux.

N’oublie jamais,
même si tu le pou­vais, 

qui tu es.
Leurs yeux surveillent

depuis les murs, depuis les tombes.
Ce n’est pas la fin.

Par­fois les his­toires t’attendent
pour commencer.

À qui cela appar­tient-il à présent,

demandé-je à ma mère, qui sait le chemin
que chaque poinçon de bijouterie a suivi,

le Wedg­wood, Franko­ma*, toutes les petites statues,
mais elle ne sait pas où c’est parti,

les rênes déli­cat en cuiv­re que je peux encore sentir
se courber sous mes mains,

les pis­to­lets parfaitement
forgés, la tor­sion des vertèbres

du cheval, les sabots
qui labourent

en un mou­ve­ment brillant


pareil au métal qui pour­rait bien bondir
de la plinthe.

Charles Mar­i­on Rus­sell est l’un des plus grands pein­tres de l’ouest améri­cain avec quelque chose comme 2 000 tableaux représen­tant les cow-boys, les Amérin­di­ens et les paysages du Far West de la fin du XIXᵉ siècle.
Jacob Miller (1810 ‑1874) est con­nu pour ces tableaux représen­tant des trappeurs et des Indi­ens d’Amérique engagés dans le com­merce des fourrures.
Andrew Wyeth est un célèbre artiste améri­cain spé­cial­isé dans les pein­tures réal­istes de per­son­nes et de paysages
Fred­er­ic Sack­rid­er Rem­ing­ton (1861–1909) fut un pein­tre améri­cain, dessi­na­teur et sculp­teur qui représen­ta l’ouest américain.
Wedg­wood : fab­rique de poterie et de faïence
Franko­ma : poterie

 

End of the Trail    

Mere repro­duc­tion, you could car­ry it with you,
you could car­ry it in your arms;

small enough—                                            but I crumble,
                                                                  erode, at its feet.

 

I grew up on this ground, in my grandmother’s house.
On every sur­face, a stat­ue. Every wall

with cloth-tur­baned chief­tains, women gath­er­ing water
with babies on their backs,

men on hors­es who point the way
deep in snow. Like our home was the museum,

                                           as though the muse­um saw you
                                                 every which way, at last,

and why not—collect the Rus­sells, Millers, Wyeths*, too.
What any of us knew of us

in the what was left.

I ask who got the Rem­ing­tons, the replicas,

when she passed.

Just anoth­er Indian
slumped on his horse.

 

As though I could

                                              in more than memory

hold the object aloft,
an urn, trembling,

a pho­to­graph you can’t quite make out
 

like that Bible which has lain beside it
so many years, sur­vived a new­er war;

sur­vived the bombs;
but the bombs brought on the flood,

and now the book of mar­tyrs is water-stained;
speak­ing only through the edges’

mar­gin­a­lia. Every­one did that
in those days
—I’m told,

you hold the object aloft. You ask.
No sto­ries issue forth.

In those years of quiet,
noth­ing but the archives;

no child­hood pho­tographs, no language
tucked in the cor­ner of the page—

he is only catch­ing his breath,
he’ll live past them all,

he is, after all,
made of stone.

End or enduring?
Wish I could tell you—

—this par­tic­u­lar silhouette,
a bronze green­ing over years—

the plac­ard is so small.
No expla­na­tion fits.

No firmer ground
sculpt­ed in the corners.

In the great leather arm­chair that was her throne,
she’d point out every tilt­ed frame, tell me:

The Indi­an in His Solitude
lies crooked.

The Last of the Buffalo,
Last of the Mohicans,

all that last
out­last­ing us both.

Nev­er forget,
even if you could,

who you are.
Their eyes still watch

from the walls, from the graves.
This is no end.

Some­times the sto­ries wait for you
to begin.

To whom does it belong now,

I ask my moth­er, who knows the path
every stitch of jew­el­ry has taken,

the Wedg­wood, Franko­ma, all the lit­tle statues,
but she doesn’t know where it’s gone,

the del­i­cate cop­per reins I can still feel
bend beneath my hands,

the per­fect­ly wrought
pis­tols, horse spines

twist­ing, hooves
churning

in bril­liant motion
                                                                                          like the met­al might fair leap
                                                                                                     from the plinth.

 

Dans le poème suiv­ant, pub­lié par la revue Apogée, Ken­zie dénonce avec une ironie mor­dante, la façon dont les sci­en­tifiques véhicu­lent et trans­met­tent les stéréo­types à tra­vers les siè­cles. Leurs con­clu­sions inévitable­ment ser­vent la doxa en vigueur et pla­cent tou­jours l’occident du côté des civil­i­sa­tions avancées ; ou encore plaident pour la théorie du pas­sage en Amérique par le détroit de Behring par des pop­u­la­tions asi­a­tiques afin d’expliquer l’origine des pop­u­la­tions Indi­ennes, faisant de ces dernières des groupes colonisa­teurs comme n’importe quels autres, min­imisant ain­si l’illégalité de l’invasion européenne.

Bonk! Per­for­mance Art Series presents: poet, Ken­zie Allen. Feb­ru­ary 25, 2017, Racine, Wisconsin.

 

Déter­mi­na­tion d’affinité raciale

Une arrête nasale gal­bée, un max­il­laire arrondi
et cette pres­sion d’une inci­sive dentelée,

celle-ci est asi­a­tique (selon toute prob­a­bil­ité). Nous ne pou­vons en être certains
quand seul un os reste, mais comparez

la longueur ulnaire, la sail­lie mandibu­laire, ces signes
de l’origine. Mon­goloïde, cau­casien, mor­phes alter­nat­ifs des orbites
leur douce incli­nai­son pour que baignées de soleil, elles soient couvertes,

à la façon dont Draw Girls Around The World* expliquait
le réal­isme eth­nique. Faites-lui des lèvres larges et pleines
don­nez-lui de belles hanch­es et des épaules étroites
définis­sez son mus­cle donc. Ils ne dis­ent pas
qu’il démarre du squelette, en frag­ments de fragments
ou que les 0,02 gramme pour­raient être une erreur de l’utilisateur
ou pour­raient sig­ni­fi­er que vos ancêtres vous ont envoyé en aval de la rivière
dans un panier. Il n’est en rien fait men­tion de la variabilité
et com­ment à chaque fois que vous regardez son crâne

il change, com­ment vous ne pou­vez pas vous-même vous enlever la peau
et pos­er des ques­tions à votre corps.

Draw Girls Around The World : Dessin­er les filles du monde entier (serait un manuel imaginaire)

Deter­mi­na­tion of Racial Affinity

A shape­ly nasal spline, round­ed maxilla
and that flick of a scal­loped incisor,

this one is Asian (in all like­li­hood). We can’t be certain
when only bone remains, but compare

ulnar length, mandibu­lar jut, these caveats
of ori­gin.
Mon­goloid, Cau­ca­soid, alter­nate morphs
for sun-soak, over­cast, sweet tilt of the sockets

the way Draw Girls Around The World explained
eth­nic real­ism. Make her lips large and full,
give her beau­ti­ful hips and tiny shoulders

define her mus­cle thus. They don’t say
it starts in the skele­ton, in frag­ments of fragments
and the .002 gram that could be user error

or could mean your ances­tors sent you down the river
in a bas­ket, noth­ing men­tions variability
and how every time you look at that skull of hers

it changes, how you can’t pull off your own skin
and ask your body questions.

 

Si les poèmes de Ken­zie Allen ont un car­ac­tère mil­i­tant et doc­u­men­taire ain­si qu’elle le réclame, elle porte cepen­dant une véri­ta­ble atten­tion à la nature et elle s’est retrou­vée à sur­veiller une forêt en Ore­gon l’été dernier(état dévasté par les incendies en 2022). Cette respon­s­abil­ité plus la beauté des paysages, l’observation des oiseaux, des four­mis, etc.,  lui donne le sen­ti­ment de vivre une vie pleine de sens. Dans un des poèmes qui lui ont valu de rem­porter le prix  de la décou­verte, elle par­le d’un daim, dont le nom en Onei­da sug­gère l’idée de paix, il est vu comme « le pais­i­ble ». Il regarde son reflet dans les lacs, il craint les loups capa­bles de « dévor­er le monde », et se demande ce que c’est que la paix, ou même ce qu’elle a pu être. On sent que par un proces­sus d’identification l’auteure se voit en daim, elle ne veut pas se promen­er seule en forêt, elle a con­science d’être une proie pos­si­ble pour les chas­seurs ou pré­da­teurs de tous ordres. Un autre poème récom­pen­sé est un lipogramme, c’est-à-dire un poème d’où sont exclues cer­taines let­tres. Dans ce poème, Ken­zie s’en tient aux seules treize let­tres que la langue anglaise et la langue Onei­da parta­gent. Le titre du poème est : Même le mot Onei­da ne peut s’écrire en langue Onei­da, ce qui est un for­mi­da­ble sym­bole de la façon dont les cul­tures Indi­ennes ont été effacées par la coloni­sa­tion et les poli­tiques d’assimilation.

Ken­zie a par­ticipé au pre­mier vol­ume d’une antholo­gie dont le titre est Embod­ied (Incar­nées). Il s’agit d’un livre de poésie traitée par la bande dess­inée, à car­ac­tère fémin­iste. Cette antholo­gie présente des visions du corps aus­si bien mys­tiques que douloureuses, joyeuses ou exta­tiques ou ancrées… Il s’agit d’une col­lab­o­ra­tion entre artistes de ban­des dess­inées et de poètes femmes représen­tantes de gen­res dif­férents allant de la cis au trans en pas­sant par non-binaire.

On l’a com­pris, cette jeune-femme fera son chemin sur des routes pluridis­ci­plinaires qui lui per­me­t­tront et de mon­tr­er ses divers tal­ents, et de coller au rôle de poète tel qu’elle le com­prend, en assumant et son iden­tité Onei­da et sa respon­s­abil­ité de citoyenne appar­tenant à deux nations. Ain­si que l’auteure Sioux Oglala Layli Long Sol­dier l’a exprimé dans son livre Where­as (traduit en français sous le titre Atten­du que aux édi­tions Isabelle Sauvage), c’est investie de cette dou­ble citoyen­neté qu’elle doit écrire, se faire des amis, manger, tra­vailler, écouter, observ­er et qu’elle doit con­stam­ment vivre.

Présentation de l’auteur

Kenzie Allen

Ken­zie Allen est pro­fesseure adjointe d’anglais à l’U­ni­ver­sité York, spé­cial­isée dans la créa­tion lit­téraire et les lit­téra­tures indigènes. Ses recherch­es por­tent sur la poé­tique doc­u­men­taire et visuelle, la car­togra­phie lit­téraire et la mise en œuvre de la sou­veraineté autochtone par le biais d’œu­vres créa­tives. Elle est une descen­dante de pre­mière généra­tion de la nation Onei­da du Wis­con­sin. Ken­zie a reçu le prix de poésie 92NY Dis­cov­ery / Joan Leiman Jacob­son, le prix James Welch pour les poètes indigènes de Poet­ry North­west, le prix 49th Par­al­lel en poésie de Belling­ham Review et le prix de poésie de Lit­toral Press. Son man­u­scrit, Cloud Mis­sives, a été nom­mé final­iste de la Nation­al Poet­ry Series 2022. Ses poèmes sont pub­liés dans Poet­ry mag­a­zine, The Iowa Review, Nar­ra­tive mag­a­zine, Black War­rior Review, Boston Review, Best New Poets et d’autres publications.

Ken­zie a obtenu son doc­tor­at en anglais et en écri­t­ure créa­tive à l’u­ni­ver­sité du Wis­­con­sin-Mil­wau­­kee, où elle était bour­sière du R1-Advanced Oppor­tu­ni­ty Pro­gram, récip­i­endaire du Chan­cel­lor’s Award, et TA en Amer­i­can Indi­an Stud­ies. Elle a obtenu une maîtrise en poésie du Helen Zell Writ­ers’ Pro­gram de l’u­ni­ver­sité du Michi­gan et une licence en anthro­polo­gie de l’u­ni­ver­sité Wash­ing­ton de Saint-Louis. Elle est rédac­trice en chef d’An­thro­poid et fon­da­trice d’Api­ary Lit. Née dans l’ouest du Texas, elle partage aujour­d’hui son temps entre Toron­to (Ontario), Trond­heim (Norvège) et la réserve Onei­da de Green Bay (Wis­con­sin).

Aupar­a­vant, Ken­zie a con­tribué à des star­tups tech­nologiques en tant que con­cep­trice web, pro­duit et ui/ux. Elle est mem­bre de la High Plains Soci­ety for Applied Anthro­pol­o­gy, de la Native Amer­i­can and Indige­nous Stud­ies Asso­ci­a­tion (NAISA), du Cen­ter for Indige­nous Knowl­edges and Lan­guages de l’U­ni­ver­sité York, et elle est archiviste et guet­teur de feu bénév­ole pour la Sand Moun­tain Society.

© Crédits pho­tos Pho­to cour­tesy of the poet.

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Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, tra­duc­trice des auteurs Indi­ens d’Amérique du nord. Per­forme, donne des réc­i­tals poé­tiques en col­lab­o­ra­tion avec des danseurs, com­pos­i­teurs et musi­ciens. Pub­liée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Uni­ty, 2015) Pour les tra­duc­tions : L’Attente(cartographie Chero­kee), ASM Press (Trick­ster Clan, antholo­gie, 24 poètes Indi­ens)… Elle est mem­bre du col­lec­tif de poètes sonores et per­for­mat­ifs Ecrits — Stu­dio. Par ailleurs elle réalise et ani­me chaque deux­ième mer­cre­di du mois à par­tir de 19h une émis­sion de 55 min­utes con­sacrée à la poésie con­tem­po­raine sur les ondes de radio Ago­ra à Grasse. En 2019, elle pub­lie Tirage(s) de Tête(s) aux édi­tions Les lieux dits, Plough­ing a Self of One’s Own, paru en 2021 aux édi­tions Danc­ing Girl Press, (Chica­go), et TOURNER, petit pré­cis de rota­tion paru chez Tar­mac en octo­bre 2022. 
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