NILA NORTHSUN :  faire quelque chose à partir de rien   

 

   Le mois de novem­bre aux Etats-Unis est dit mois de l’héritage des Indi­ens d’Amérique du nord (Thanks­giv­ing oblige). Il s’agit de porter l’attention et de faire recon­naître par les Améri­cains, l’importance de leurs cul­tures, l’importance de leur con­tri­bu­tion à la for­ma­tion de ce pays. Je vais pren­dre ce pré­texte pour vous présen­ter Nila North­Sun, poète, pho­tographe, artiste éclec­tique, mil­i­tante Shoshone vivant dans le Neva­da. His­to­ri­enne trib­ale, ayant tra­vail­lé dans l’aide sociale, elle est l’un des poètes Native Amer­i­can les plus lus. Ses poèmes réal­istes, décrivant la vie sur et en dehors de la réserve, ont trou­vé un large pub­lic de lecteurs. Née en 1951 dans l’état du Neva­da, sa mère est Shoshone. Son père Chippe­wa est le mil­i­tant Adam For­tu­nate Eagle, qui était présent pen­dant l’occupation de l’île d’Alcatraz : lieu où la con­science Panin­di­enne s’est éveil­lée, où les Indi­ens de toutes les tribus ont com­pris l’importance de lut­ter pour faire respecter leurs droits. Elle a gran­di dans la région de San Fran­cis­co, est diplômée de l’université de Mis­soula (Mon­tana), et a tou­jours fait les allers retours entre réserve Shoshone où vivait sa famille, et les zones urbaines où elle a tra­vail­lé.  Ini­tiée par son père aux dans­es tra­di­tion­nelles, elle est spé­cial­iste de la buck­skin dance, et a été élue « miss princesse Indi­enne ». Elle a dan­sé et est inter­v­enue auprès des détenus Indi­ens à la prison de St-Quentin. Elle dit avoir été influ­encée par Charles Bukows­ki et Diane Wakos­ki, bien qu’ayant étudié avec Richard Hugo et William Kittredge.
     « Je suis une femme heureuse, même si mes poèmes parais­sent se focalis­er sur des sujets dép­ri­mants. Mais le macabre m’intrigue, et détourn­er les choses nor­males pour les faire refléter autre chose m’intéresse beau­coup plus que d’écrire : le soleil est au zénith, la vie est douce tralalalère ! Mieux vaut en faire un soleil bouil­lant qui perce le jour de telle sorte que mon corps soit baigné de sueur !» Auteur de cinq livres, dont trois rela­tent l’histoire locale de sa réserve et de ses ancêtres, je ne m’attarderai que sur ses deux recueils, Love at Gun­point et Diet Pep­si & Nacho Cheese, qui sont écrits avec une élé­gance mor­dante, et qui trans­met­tent une émo­tion authen­tique. Elle évoque les défis qu’il y a à être une Indi­enne d’aujourd’hui, à assumer cette iden­tité revendiquée, bien qu’Américaine aus­si. Ses poèmes sont une col­lec­tion de con­fes­sions sur les moments extrêmes de sa vie : de l’excitation du pre­mier bais­er à la tristesse de ren­tr­er dans une mai­son vide. Drôles ou bru­taux, ses poèmes expri­ment les joies et les peines dont sont faites nos vies. Sher­man Alex­ie avoue que Nila est l’un de ses poètes préférés. 
 

Falling down to bed

 

i used to look at with disgust
these indi­ans lay­ing around
on the dirt & grass
passed out drunk
their bod­ies littering
the pow wow grounds
or city parks
i’d look at their crum­pled bodies
lay­ing in the noon sun
still sleep­ing where
they fell
but one time
i went to the 49
after the pow wow
& got shit faced drunk
then got sleepy
& fell in the dirt park­ing lot
it seemed nice
the ground was clean in the darkness
the stars were vibrant above
the night air was cozy
‘get up get up’ they said
‘no no leave me here
i want to sleep here’
luck­i­ly they shoved me into
the car
or i would have been
the drunk some­body looked at
with disgust
at least now
when i see them
i understand.

Tomber sur un lit

 

Je les regar­dais tou­jours avec dégoût
ces Indi­ens allongés
dans la crasse et sur l’herbe
au-delà de l’état d’ivresse
leurs corps souillant
le sol du pow wow

ou celui des parkings
je regar­dais leurs corps fripés
éten­dus sous le soleil à midi
dor­mant encore
où ils étaient tombés
mais une fois
je me rendis au 49
après le pow wow
et je me beur­rais la gueule
ensuite j’eus envie de dormir
et je tombais sur le sol sale du parking
cela m’apparaissait bien
pro­pre dans l’obscurité
les étoiles étaient vibrantes au-dessus
l’air noc­turne confortable
« lèv’toi lèv’toi » dirent-ils
non non lais­sez-moi ici
je veux dormir ici »
heureuse­ment ils me tirèrent
me hissèrent dans la voiture
sinon j’aurais été
la soulo­graphe dévisagée
avec dégoût
au moins maintenant
quand je les vois
je comprends.
 

     Le quo­ti­di­en évo­qué dans ses pre­miers poèmes, ain­si que les témoignages des enseigne­ments que lui prodiguaient ses grands-par­ents, ont fait de Nila une auteure pop­u­laire. La prosodie peut paraître étrange et repose sur les enjambe­ments. La néces­sité est véhiculée grâce à une musique interne faite d’assonances et de rimes jouant sur les con­sonnes. Elle s’est emparée de sujets ordi­naires et a adop­té une tech­nique d’écriture orig­i­nale. Non pas avant-gardiste, mais tout comme ses opin­ions poli­tiques, son style lit­téraire est fait de pop­ulisme et de pro­gres­sisme. Son recueil Diet Pep­si & Nacho Cheese dif­fusé large­ment en 1977 fait que le nom de Nila North­Sun est devenu fam­i­li­er même aux oreilles des Améri­cains non-Indi­ens. Par la suite Nila a tra­vail­lé dans un cen­tre d’hébergement d’urgence pour les enfants et ado­les­cents Indi­ens. A cette occa­sion elle a par­cou­ru chaque jour plus de 150 kilo­mètres, allant même jusque dans l’état de Wash­ing­ton (au nord du Neva­da). Cela lui val­ut de tra­vers­er les éten­dues désolées ou grandios­es et de méditer, « à 90 à l’heure et sur l’autoroute il n’est pas pra­tique de grif­fon­ner quelques vers sur des dos d’enveloppes ou sur des servi­ettes en papi­er ! Mais si le rythme des pub­li­ca­tions dimin­u­ait, le livre Step­ping Stones voy­ait mal­gré tout le jour.

     Les thèmes abor­dés par Nila ne sont pas unique­ment le glauque et le dés­espérant ressen­ti pour les réserves. Elle a beau­coup écrit sur les paysages du Neva­da, avec un dou­ble élan, à la fois de fas­ci­na­tion et de répul­sion. La beauté à couper le souf­fle de la nature est con­tre­bal­ancée par une men­tal­ité de mau­vais west­ern. Dans le désert on retrou­ve les vieux clichés : cow­boys et aven­turi­ers, tueurs à gage, ain­si que la fille de la réserve aux pris­es avec le polici­er trib­al. Nila n’est pas une poète de la nature, pour­tant elle se préoc­cupe de l’environnement et sait bien que ce qu’on appelle paysage est le reflet d’une dynamique où naturel et con­stru­it s’opposent, où la logique con­sumériste cap­i­tal­iste men­ace l’équilibre et inter­dit le renou­velle­ment des ressources. Le développe­ment durable n’est pas d’actualité dans un décor inhos­pi­tal­ier fait de déserts tra­ver­sés par les réseaux d’autoroutes, lesquels empêchent les trou­peaux de mou­tons et leurs berg­ers d’aller à leur guise de zones vertes en zones vertes. La terre du Neva­da est sat­urée de déchets nucléaires, et Nila porte une atten­tion accrue à la baisse de qual­ité de l’environnement. L’état est devenu un vaste dépôt d’ordures affirme-t-elle. Le ter­ri­toire est aban­don­né aux essais mil­i­taires et aux bases secrètes, les normes stan­dards qui s’appliquent aux autres régions sont ignorées dans le Neva­da et de ce fait la san­té des civils se trou­ve menacée.

 

99 choses à faire avant de mourir

 

Le mag­a­zine cos­mo est sor­ti avec dedans une liste
De 99 choses à faire avant de mourir et j’ai en ai fait 47
ou du moins ma ver­sion de ces 47
du genre faire l’amour en forêt à même le sol
pass­er une journée entière au lit à lire un bon livre
dormir à la belle étoile
appren­dre à ne pas dire oui quand on veut dire non
mais les autres choses
étaient réservées aux riches
et nous savons avec certitude
que nous ne devons pas être riche avant de mourir
des choses comme
plonger d’un yacht dans la mer Egée
acheter un bil­let d’avion pour faire le tour du monde
aller à Mona­co assis­ter au grand prix
aller à rio pen­dant le carnaval
sur que nous aime­ri­ons cela mais
pas de maza-ska*
l’argent l’argent
alors qu’est-ce que va faire le pau­vre indien?
Faites-nous une liste qui soit plus
cul­turelle­ment appropriée
donc ma liste com­prend ceci
aller boire au 49 à la foire de crow
appen­dre les 20 manières de pré­par­er du porc en boite
tomber amoureux d’un blanc
tomber amoureux d’un indien
manger du ta-nee-ga* avec un sioux
appren­dre à faire du bon pain frit
être fig­u­rant dans un film indien
appren­dre à par­ler ton lan­gage tribal
don­ner à ta grand-mère une rose et un bou­quet de sweet grass
regarder une danse du cerf miwok
assis­ter à une dance kachi­na hopi
exé­cuter la danse de la chou­ette avec un yakama
se blot­tir au lit avec un bon roman indien
et mieux encore
se blot­tir au lit avec un bon romanci­er indien
mon­ter à cru et sauter par-dessus un petit ruisseau
faire l’amour dans un tipi
compter un coup con­tre l’ennemi
se baign­er ne pas nag­er dans un lac ou une rivière
laver vos cheveux aus­si et ne pas oubli­er les aisselles
arrêter de boire de l’alcool
racon­ter des his­toires de skin­walk­er auprès du feu de camp
être sur le point de mourir et appréci­er la vie ensuite 
aider quelqu’un qui l’a eue plus dif­fi­cile que vous
don­ner des con­serves à une banque locale de nourriture
spon­soris­er un enfant pour Noël
pari­er au jeu de crosse
par­ticiper à une manifestation
appren­dre un chant à chanter lors d’un rit­uel de sweat
recycler
jardiner
dire quelque chose de gen­til à votre partenaire
dire quelque chose de gen­til à vos enfants
fendre du bois pour votre grand-père
alors voilà
une liste plus raisonnable
à ce rythme
je suis prête à mourir n’importe quand
pas grand-chose qui ne soit pas achevé
bien que cosmo
soit plutôt une affaire parisienne
faire la fête sur la musique dis­co vêtue de cuir rouge et sirotant du champagne
pour­rait trou­ver une place sur ma liste

*maza-ska sig­ni­fie argent (le métal) en langue Lako­ta et par exten­sion l’argent dans son sec­ond sens également.
*ta-nee-ga sig­ni­fie tripes en langue Lako­ta  (N.d.T)

 

99 things to do before you die

 

cos­mo mag came out with a list
of 99 things to do before you die i had done 47 of them
or at least my ver­sion of them
like make love on the for­est floor
spend a day in bed read­ing a good book
sleep under the stars
learn not to say yes when you mean no
but the oth­er things
were things only rich peo­ple could do
and we cer­tain­ly know
you don’t have to be rich before you die
things like
dive off a yacht in the aegean
buy a round-the-world air ticket
go to man­a­co for the grand prix
go to rio dur­ing carnival
sure would love to but
no maza-ska
mon­ey honey
so what’s a poor indi­an to do?
come up with a list that’s more
cul­tur­al­ly relevant
so my list includes
go 49ing at crow fair
learn of 20 ways to pre­pare com­mod­i­ty canned pork
fall in love with a white person
fall in love with an indian
eat ta-nee-ga with a sioux
learn to make good fry bread
be an extra in an indi­an movie
learn to speak your language
give your gram­ma a rose and a bun­dle of sweet grass
watch a miwok deer dance
attend a hopi kachi­na dance
owl dance with a yakama
curl up in bed with a good indi­an novel
bet­ter yet
curl up in bed with a good indi­an novelist
ride bare­back and leap over a small creek
make love in a tipi
count coup on an enemy
bathe not swim in a lake or river
wash your hair too and don’t for­get your pits
stop drink­ing alcohol
tell skin­walk­er sto­ries by campfire
almost die then appre­ci­ate your life
help some­body who has it worse than you
donate canned goods to a local food bank
spon­sor a child for christmas
bet on a stick game
par­tic­i­pate in a protest
learn a song to sing in a sweat
recycle
grow a garden
say some­thing nice every­day to your mate
say some­thing nice every­day to your children
chop wood for your grandpa
so there
a more attain­able list
at this rate
i’m ready to die anytime
not much left undone
though cosmo’s
have an affair in paris while
dis­co­ing in red leather and sip­ping champagne
could find a place on my list

    

Ici Nila se moque des obses­sions des citadins qui à tout pro­pos font des listes et se com­plaisent à éprou­ver le poids soit du devoir, soit de la cul­pa­bil­ité. Dans ce poème deux polar­ités, ce que Nila sem­ble vouloir et ce qu’elle veut vouloir ; dans l’entre un espace incon­fort­able et sa rup­ture, sa blessure cul­turelle inguériss­able, une zone trou­ble où se croisent les choses comme elles sont et les choses comme on voudrait qu’elles soient.

     Nila s’est trou­vée asso­ciée à la soit dis­ant «sec­onde vague de renais­sance Indi­enne » des années 1970–80, et qui com­prend des célébrités telles Louise Erdrich, Joy Har­jo, Leslie Mar­mon Silko ; Nor­man Scott Moma­day et  James Welch représen­tant la pre­mière vague. Nila a pour­tant exprimé des doutes quant à la valid­ité de telles analy­ses, tant lui sem­blent minces les liens qui unis­sent ces auteurs de tra­di­tions trib­ales dif­férentes. Mais il y a bien eu un for­mi­da­ble élan et on a pu assis­ter à une vague de pub­li­ca­tions indi­ennes à cette péri­ode. Qu’est-ce qui fait que les noms d’Erdrich et d’Harjo ont immé­di­ate­ment été retenus et qu’il a fal­lu dix ans à Nila North­Sun pour assur­er sa vis­i­bil­ité dans ce paysage lit­téraire Indi­en ? Sans doute Erdrich et Har­jo cor­re­spon­dent mieux à ce qu’attend un vaste pub­lic fait de gens de toutes orig­ines eth­niques et de tous les milieux. Néan­moins, les poèmes de Nila sont à présent étudiés en Alle­magne au niveau uni­ver­si­taire. La recon­nais­sance de Nila par ses pairs est arrivée à son apogée en 1992 quand Joseph Bruchac (Abena­ki, poète et édi­teur) a rassem­blé les auteurs indi­ens à l’occasion de la célébra­tion de l’anniversaire des 500 ans de la « décou­verte du nou­veau monde » par Christophe Colomb. 400 par­tic­i­pants se sont retrou­vés à l’université d’Oklahoma à Nor­man. Sher­man Alex­ie, alors âgé de seule­ment 26 ans, mais déjà con­sid­éré comme une étoile mon­tante, a con­fessé être un fan de Nila, et lui a pro­posé de repren­dre tous ses écrits éparpil­lés çà et là afin de les rassem­bler dans un livre, endos­sant  la respon­s­abil­ité  de son édi­tion. Ain­si est né chez West End Press A Snake in Her Mouth: des poèmes écrits depuis 1974 jusqu’à 1997, et qui a reçu un accueil très favor­able de la cri­tique.  Ses derniers poèmes sont drôles même si vio­lents. Elle utilise des verts courts pour véhiculer des his­toires de honte, douloureuses, des his­toires d’agonies et des moments de joie qui rachètent.

     Par­mi les dif­fi­cultés que Nila recon­naît ren­con­tr­er dans sa vie, il y a la dou­ble con­science de celle qui Indi­enne a été élevée dans des écoles de blancs, et cela con­duit  à lui faire à la fois aimer et détester le Neva­da. Fal­lon est l’endroit où elle a des liens et des racines famil­iales fortes, mais c’est aus­si un endroit aride tant géo­graphique­ment que cul­turelle­ment. Il y a un con­flit qui fait jouer eth­nic­ité et class­es sociales et qui aliène, tout en stim­u­lant une dynamique de la réserve basée sur la ten­sion entre maîtres- colons  et colonisés-dépos­sédés. Comme cer­tains de ses col­lègues écrivains Indi­ens, Nila est scep­tique quant au tra­di­tion­al­isme prôné dans les réserves par les anciens. Mais elle est encore plus scep­tique quant à l’assimilation et l’intégration des indi­ens dans la société Améri­caine. Elle con­tin­ue donc comme tant d’autres à respecter les tra­di­tion­nal­istes et leurs façons de préserv­er les cul­tures, lan­gages et céré­monies, tout en vivant sa vie pro­fes­sion­nelle selon les voies occidentales.
Elle a écrit un poème  inti­t­ulé “mov­ing camp too far,” soit quelque chose comme démé­nag­er trop loin et que Paula Gunn Allen (poète Lagu­na Pueblo) a com­men­té. C’est un poème pleu­rant et chan­tant, rela­tant l’extinction des peu­ples et des cul­tures indi­ennes, où Nila se reproche de n’avoir pas réus­si à se con­necter avec les anciens et les tra­di­tions de son peu­ple, d’avoir embrassé la folie pour les mar­ques, se con­for­mant au sys­tème de con­som­ma­tion effrénée. Certes elle ne peut revenir à la chas­se et à la cueil­lette qui fai­saient le quo­ti­di­en de ses ancêtres. De plus elle déplore que les événe­ments comme les pow-wows, les dans­es et les célébra­tions dans la réserve ail­lent de pair avec gaspillage de ver­res en plas­tique, mon­tage et démon­tage de mobil homes, con­som­ma­tion de ham­burg­ers et de rock’n’roll. Elle voudrait éviter de pren­dre part à ce sys­tème de con­som­ma­tion, pour­tant elle par­ticipe à ses réu­nions trib­ales.  Ci-dessous un extrait de ce poème:

 

I can’t speak of
    many moons
    mov­ing camp on travois
i can’t tell of
    the last great battle
    count­ing coup or
    tak­ing scalps
i don’t know what it
    was to hunt buffalo
    or do the ghost dance
but
i can see an eagle
    almost extinct
    on slurpee plas­tic cups
i can trav­el to powwows
    in campers & winnebagos
i can eat buf­fa­lo meat
    at the tourist burg­er stand
i can dance to indi­an music
    rock-n-roll hey-a-hey‑o
i can
    & unfortunately
    i do

  

   L’éthique tra­di­tion­nelle de s’épargner de la peine crée une con­tra­dic­tion en encour­ageant la con­som­ma­tion de nour­ri­t­ure nuis­i­ble pour la san­té, faite de pro­duits précuits, pré-embal­lés, surgelés. La vie sim­ple et le régime ali­men­taire basé sur les pro­duits de la chas­se et de la cueil­lette s’opposaient à une économie agri­cole ; l’équivalent actuel de la cueil­lette se résume à entass­er des pro­duits déjà prêts à l’emploi dans un con­géla­teur. Et cela mène sans sur­prise à la perte des recettes tra­di­tion­nelles comme aux mal­adies de la mal bouffe.

     Pour con­clure, la poésie de Nila fait rarement le por­trait anodin de la vie urbaine ou péri-urbaine, avec les maisons con­fort­a­bles et leurs trois garages, les enfants jouant avec ceux des voisins. Ses espaces domes­tiques sont plutôt les cab­ines de camions pous­siéreux, des motels crasseux. Sa préoc­cu­pa­tion se porte sur la vio­lence, ses corol­laires comme l’usage de drogues ;  elle cherche à aller plus loin que l’expression de la moral­ité des class­es moyennes, elle espère trou­ver la lumière au-delà des meurtres, des over­dos­es, des sui­cides, elle nous invite à faire l’expérience de la lente asphyx­ie que son peu­ple endure, sans jamais impos­er de juge­ment, ni don­ner de leçon. Aujourd’hui elle tra­vaille sans relâche pour sa tribu, s’occupe de ses petits-enfants, pour­suit son chemin artis­tique et human­iste et plus que jamais obéit à sa devise : “mak­ing some­thing out of nothing.“faire quelque chose à par­tir de rien.

 

 

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Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, tra­duc­trice des auteurs Indi­ens d’Amérique du nord. Per­forme, donne des réc­i­tals poé­tiques en col­lab­o­ra­tion avec des danseurs, com­pos­i­teurs et musi­ciens. Pub­liée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Uni­ty, 2015) Pour les tra­duc­tions : L’Attente(cartographie Chero­kee), ASM Press (Trick­ster Clan, antholo­gie, 24 poètes Indi­ens)… Elle est mem­bre du col­lec­tif de poètes sonores et per­for­mat­ifs Ecrits — Stu­dio. Par ailleurs elle réalise et ani­me chaque deux­ième mer­cre­di du mois à par­tir de 19h une émis­sion de 55 min­utes con­sacrée à la poésie con­tem­po­raine sur les ondes de radio Ago­ra à Grasse. En 2019, elle pub­lie Tirage(s) de Tête(s) aux édi­tions Les lieux dits, Plough­ing a Self of One’s Own, paru en 2021 aux édi­tions Danc­ing Girl Press, (Chica­go), et TOURNER, petit pré­cis de rota­tion paru chez Tar­mac en octo­bre 2022.