Simon Ortiz (Pueblo Acoma),
figure clé de la poésie Native American

     Après la renom­mée acquise de Nor­man Scott Moma­day dans les années 1970, et avant l’ascension de Sher­man Alex­ie dans les années 2000, Simon Ortiz dans les années 1980–2000 fut un des poètes Indi­ens le plus en vue aux Etats-Unis. Mod­èle pour cer­tains jeunes auteurs, il est un par­fait héri­ti­er de ses ancêtres et revendique puis­er aux tra­di­tions orales de son peu­ple pour écrire. Il incar­ne dans sa poésie la manière dont les Indi­ens d’Amérique du nord con­sid­èrent la planète comme un organ­isme qui nour­rit et fait naître toutes les formes vivantes. Ces peu­ples se sont vus imposés les valeurs de la cul­ture dom­i­nante occi­den­tale qui met en avant le dual­isme, qui sépare les hommes des femmes, qui plaide la ségré­ga­tion blanc­s/non-blancs … Les Indi­ens d’Amérique ont subi un géno­cide, un proces­sus d’acculturation vio­lent. Afin de lut­ter con­tre le phénomène « d’invisibilité » comme il l’écrit, Simon Ortiz prend à cœur de présen­ter les réc­its et l’histoire depuis les témoignages Indi­ens, depuis ses valeurs trib­ales afin de con­tr­er les men­songes et les dénis de la  société dom­i­nante. L’aspect sociopoli­tique de son tra­vail ne fait aucun doute. Il écrit :

And so you tell stories.
You tell sto­ries about your People’s birth and their growing.
You tell sto­ries about your children’s birth and their growing.
You tell sto­ries of their strug­gles. You tell that kind of his­to­ry, and you pray and be humble.
With strength, it will con­tin­ue that way. That is the only way. That is the only way
.”

« Alors vous racon­tez des histoires.
Vous racon­tez des his­toires à pro­pos de la nais­sance et de la crois­sance de votre peuple.
Vous racon­tez des his­toires à pro­pos de la nais­sance et de la crois­sance de vos enfants.
Des his­toires de leurs luttes. Vous racon­tez ce genre d’histoire, vous priez et êtes humble.
Avec force, c’est comme cela que ça con­tin­uera. C’est la seule manière. C’est le seul chemin. »

     Cham­pi­on de la survie, héri­ti­er et passeur des tra­di­tions de son peu­ple, Simon Ortiz dans cha­cun de ses livres est un mod­èle de fidél­ité, à sa cul­ture  comme à l’innovation. Son tra­vail suit la trame du « sto­ry­telling ». C’est-à-dire une trame nar­ra­tive impor­tante qui se mêle aux mythes et réc­its de la créa­tion tout en dénonçant les injus­tices envi­ron­nemen­tales et les scan­dales tels que la con­fis­ca­tion de ter­ri­toires Indi­ens pour ouvrir des mines d’uranium qui pol­lu­ent la réserve. Sont aus­si évo­qués et dénon­cés le géno­cide, le racisme, les oppres­sions sociales et sex­istes. Son mes­sage est d’encourager les Indi­ens à pren­dre en main leurs des­tinées. Il faut bien recon­naître que les com­mu­nautés Indi­ennes ont été les pre­mières à souf­frir dan­gereuse­ment de la perte de l’équilibre de l’écosystème. Les prob­lèmes écologiques causés par la cul­ture Euro-améri­caine indus­trielle ont provo­qué une crise cul­turelle dans les com­mu­nautés Indi­ennes con­finées sur les réserves. Mais au-delà de la terre et des élé­ments, Simon Ortiz veut attir­er l’attention sur le for­mi­da­ble proces­sus de survie et de main­tien des cul­tures Indi­ennes, proces­sus  qui allié à la poésie, peut faire pren­dre con­science aux lecteurs de la rela­tion de partage à ressen­tir, à vivre avec chaque chose et avec tout. Cette dimen­sion de partage est fon­da­men­tale, elle est au cœur de la survie même. La rela­tion au tout est fon­da­men­tale pour que l’homme sache sa pos­si­bil­ité de par­tic­i­pa­tion dans l’univers, sache et sa place, et sa mesure.

     Simon Ortiz est Pueblo Aco­ma, il est né en mai 1941 à Albu­querque dans l’état du Nou­veau-Mex­ique de par­ents dits de « sang pur » qui tous deux apparte­naient au clan de l’aigle et qui avaient à cœur de trans­met­tre les valeurs et la cul­ture de leurs ancêtres. Comme de nom­breux enfants Indi­ens de cette époque, le jeune Simon, après l’école pri­maire, fut envoyé dans un pen­sion­nat pour Indi­ens dont la mis­sion était d’assimiler et de faire en sorte que ces jeunes Indi­ens oublient, méprisent  leurs orig­ines et adoptent les valeurs occi­den­tales. Il avoue avoir été très trou­blé par ces années au pen­sion­nat et avoir trou­vé refuge dans les livres. C’est dans cet univers qu’il com­mença à se con­fi­er par écrit, à met­tre noir sur blanc des his­toires, bien que ne con­sid­érant pas encore l’écriture comme une chose sérieuse. Souf­frant de sa sit­u­a­tion de pen­sion­naire, Simon Ortiz se fit trans­fér­er dans un autre étab­lisse­ment pour acquérir une for­ma­tion manuelle et de com­merce. Il entra dans la vie active en se faisant employ­er dans une usine nucléaire appar­tenant à la tris­te­ment célèbre firme Kerr-McGee (qui inten­ta mais perdit, après 8 ans de bataille juridique, son procès con­tre la réserve Nava­jo, en 1985). Il économisa de l’argent puis entra à l’université pour étudi­er la chimie. Après sa licence il s’engagea dans l’armée (alors mobil­isée au Viet­nam) pour une péri­ode de trois ans et en 1966 il réin­té­gra l’université. C’est alors, au sein de l’université du nou­veau Mex­ique qu’il prit con­science de l’émergence d’une lit­téra­ture « Native Amer­i­can ». Il déci­da alors de se con­sacr­er à l’écriture et gagna l’université de l’Iowa célèbre pour ses pro­grammes d’écriture créa­tive. C’est en 1969 que sa car­rière de poète fut offi­cielle­ment lancée. Il se joignit alors aux nou­velles voix qui signeront la « renais­sance » Indi­enne. Act­if, il réus­sit à mon­tr­er com­bi­en cette énergie puisée au cœur des cul­tures indi­ennes pou­vait révo­lu­tion­ner la lit­téra­ture, et com­ment les auteurs Indi­ens pou­vaient se mon­tr­er pio­nniers en matière d’écriture poé­tique. Pour pleine­ment com­pren­dre ce dont par­le Simon Ortiz, il faut s’imaginer les vil­lages Aco­ma Pueblo. Ils sont con­stru­its au som­met d’une mesa, forme de plateau juchée de falais­es sur chaque côté … le vil­lage flotte en quelque sorte et est longtemps resté acces­si­ble unique­ment par des escaliers tail­lés dans la falaise. Cette com­mu­nauté Indi­enne a, pen­dant des siè­cles, con­tin­uelle­ment habité ce lieu (au con­traire d’autres tribus occu­pant selon leurs mou­ve­ments migra­toires, divers ter­ri­toires du con­ti­nent nord-Améri­cain). Le lan­gage par­lé est le Keres, que maîtrise Simon Ortiz. Ces vil­la­geois à l’origine, cul­ti­vaient la terre, fai­saient du com­merce avec les Aztèques et les Mayas, puis avec les peu­ples d’Amérique du nord quand les con­quis­ta­dors envahirent le sud. Le catholi­cisme fut « inté­gré » aux pra­tiques religieuses locales, pour d’une part don­ner le change aux autorités colonisatri­ces, mais aus­si parce que cette reli­gion venue de l’Europe était con­sid­érée comme déjà inclue dans les principes plus vastes des reli­gions Indi­ennes. Et les mis­sion­naires fort adroite­ment insti­tu­aient des jours de fêtes qui coïn­cidaient avec des fêtes Pueb­los pen­dant lesquelles des ban­quets étaient tenus.

     L’un des poèmes con­nus de Simon Ortiz, inti­t­ulé Mak­ing Quilt­work, met en scène com­ment l’activité de récupéra­tion des tis­sus, puis de cou­ture, évite aux habits et étoffes usagées de se retrou­ver inté­grale­ment à la poubelle. Ortiz établit ain­si une analo­gie avec les vies humaines qui elles aus­si peu­vent être rassem­blées en une cou­ver­ture d’existence humaine. Les cou­ver­tures sont les métaphores des vies Indi­ennes. Il dit : “Folks here live by the pret­ty quilts they make, more than make actu­al­ly, more than pret­ty.” Les gens vivent auprès des jolies cou­ver­tures qu’ils fab­riquent, plus que fab­riquées en fait, plus que jolies.” L’idée étant que chaque jour est ajouté un morceau, un car­ré au patch­work de leur exis­tence. Et l’image s’étend ensuite quand Ortiz explique ce que les cou­ver­tures sont pour les cul­tures Indi­ennes : “Indi­an peo­ple who have been scat­tered, sun­dered into odds and bits, deter­mined to remake whole cloth.”  « Les peu­ples Indi­ens qui ont été éparpil­lés, décimés et dis­séminés en des endroits  improb­a­bles, sont déter­minés à refaire l’habit tout entier. » Mal­gré les temps amers et dif­fi­ciles les pop­u­la­tions Indi­ennes redressent la tête, ne sont plus vic­times, veu­lent recon­stru­ire ce qu’elles avaient per­du et cherchent à préserv­er leurs cul­tures. Ortiz mon­tre toute la force et l’optimisme des Indi­ens qui mal­gré les épreuves subies dans le passé, con­ser­vent une force de survie telle, que pour finir ils tri­om­pheront des tragédies, ce qui se fera par l’intermédiaire de l’art car ces peu­ples ont une tra­di­tion iné­galée de créa­tiv­ité exer­cée au quo­ti­di­en. A la fin du poème le nar­ra­teur demande au lecteur de regarder ces habits mul­ti­col­ores, ce qui est une façon d’attirer l’attention sur la beauté des dif­férentes cul­tures Indi­ennes dont l’auteur est un mem­bre act­if, par­tic­i­pant à la fab­ri­ca­tion de cette grande cou­ver­ture humaine.

Un autre poème est con­stru­it comme un entre­tien entre l’auteur lui-même et une femme dont on ne sait pas le nom. Le poème souligne la force des stéréo­types qui con­tin­u­ent d’être véhiculés à pro­pos des Indi­ens d’Amérique. Le poème s’intitule A New Sto­ry (une nou­velle histoire).

A New Story

Sev­er­al years ago,
I was a patient at the VA hospital
in Ft, Lyons, Colorado.
I got a mes­sage to call this woman,
so I called her up.
She said to me,
“I’m look­ing for an Indian.
Are you an Indian?”
“Yes,” I said.
“Oh good,” she said,
“I’ll explain why I’m looking
for an Indian.”
And she explained.
“Every year, we put on a parade
in town, a Fron­tier Day Parade.
It’s excit­ing and important,
and we have a lot of participation.”
“Yes,” I said.
“Well,” she said, “Our theme
is Frontier,
and we try to do it well.
In the past, we used to make up
paper mache
Indi­ans, but that was years ago.”
“Yes,” I said.
“And then more recently,
we had some people
who dressed up as Indians
to make it more authentic,
you under­stand, real people.”
“Yes,” I said.
“Well,” she said,
“that did­n’t seem right,
but we had a problem.
There was a lack of Indians.”
“Yes,” I said.
“This year, we want­ed to do it right.
We have looked hard and high
for Indi­ans but there did­n’t seem
to be any in this part of Colorado.”
“Yes,” I said.
“We want to make it real, you understand,
put a real Indi­an on a float,
not just a paper mache dummy
or an Anglo dressed as an Indian
but a real Indi­an with feath­ers and paint.
Maybe even a med­i­cine man.”
“Yes,” I said.
“And then we learned the VA hospital
had an Indi­an here.
We were so happy,”
she said, happily.
“Yes,” I said.
“there are sev­er­al of us here.”
“Oh good,” she said.
Well, last Spring
I got anoth­er message
at the col­lege where I worked.
I called the woman.
She was so happy
that I returned her call.
Then she explained
that Sir Fran­cis Drake,
the Eng­lish pirate
(she did­n’t say that, I did)
was going to land on the coast
of Cal­i­for­nia in June, again.
And then she said
she was look­ing for Indians …
“No,” I said.

 

 

Il y a quelques années
j’étais soigné à l’hôpital  pour les vétérans de l’armée
à Ft, Lyons, Colorado.
J’ai reçu un mes­sage me dis­ant d’appeler cette femme,
Ce que j’ai fait.
Elle me dit :
« Je cherche un Indien.
Etes-vous Indien ? »
“Oui” répondis-je.
« Oh très bien” dit-elle,
« je vous explique pourquoi je cherche
un Indien. »
Et elle expliqua.
« Chaque année, nous faisons défil­er la parade
en ville, la parade du jour de la frontière.
C’est pas­sion­nant et c’est important,
cela demande une grosse part de participation. »
« Oui » dis-je.
« Voilà, » dit-elle, « notre thème
est la frontière,
et nous essayons de faire ça bien.
Dans le passé, nous fabriquions
des Indi­ens de papier-mâché,
mais il y a des années de cela. »
« Oui » dis-je.
« Et plus récemment,
nous avions des gens
habil­lés comme des Indiens
pour faire plus authentique,
vous voyez, des vraies personnes. »
« Oui » dis-je.
“Bon” dit-elle,
“cela ne sem­blait pas correct,
mais nous avions un problème :
Nous man­quions d’Indiens. »
« Oui » dis-je.
« Cette année nous voulions faire bien les choses.
Nous avons cher­ché de fond en comble
mais il ne sem­ble pas y avoir d’Indiens
dans le Colorado. »
« Oui » dis-je.
“Nous voulons que ce soit réel, vous comprenez,
nous voulons met­tre un vrai Indi­en sur le char,
pas un man­nequin de papi­er mâché
ou un blanc déguisé en Indien,
mais un Indi­en réel avec des plumes et des peintures.
Peut-être même un homme-médecine. »
« Oui » dis-je.
« Ensuite nous avons appris qu’à l’hôpital des vétérans
se trou­vait un Indien.
Nous en étions heureux, »
dit-elle d’un ton réjoui.
« Oui » dis-je,
« nous sommes plusieurs ici. »
« Oh par­fait, » dit-elle.
Bien, le print­emps dernier
J’ai reçu un autre message
à l’université où j’enseignais.
J’appelais donc la femme.
Elle était si heureuse
que je donne suite à son appel.
Alors elle expliqua
que Sir Fran­cis Drake,
le pirate Anglais
(elle ne le pré­cisa pas, c’est moi qui le fit)
allait de nou­veau débar­quer sur la côte
Cal­i­forni­enne en juin.
Puis elle dit
qu’elle cher­chait des Indiens …
“Non”, dis-je.

 

Le poème souligne l’ignorance qu’ont les Anglo-améri­cains de la diver­sité des dif­férentes cul­tures, des dif­férents peu­ples Indi­ens. Dans l’inconscient col­lec­tif seuls les Indi­ens des Plaines exis­tent et représen­tent le tout des pop­u­la­tions indigènes. Le manque d’Indien évo­qué est le résul­tat du géno­cide et des traite­ments atro­ces subis par les Indi­ens au long de l’histoire de la colonisation.
Quant au pirate Fran­cis Drake, il est resté célèbre pour avoir « exploré » l’Amérique après avoir fait un tour du monde. Il fut accueil­li par des tribus locales qui le nour­rirent et lui fournirent les stocks néces­saires pour con­tin­uer son périple. Il a été rap­porté que ces Indi­ens le con­sid­éraient comme une divinité, qu’ils l’avaient même couron­né, qu’ils lui vouaient une forme de culte puisque ces gens n’avaient jamais vu d’Européens aupar­a­vant. C’était donc insul­tant de deman­der à des Indi­ens con­tem­po­rains de répéter cet épisode où ils se seraient trou­vés en posi­tion humiliante, en train de vouer un culte à un Européen. Bien enten­du Simon Ortiz refusa de cau­tion­ner et de par­ticiper à un tel mémo­r­i­al. Il répond non, et c’est le pre­mier non après une série de oui répliqués à la femme. Il est sym­bol­ique et mar­que l’attitude que les Indi­ens désor­mais adoptent, ils veu­lent garder leur dig­nité et ne se soumet­tront plus aux mas­ca­rades et fan­taisies qui salis­sent leur image, qui dénient l’histoire dra­ma­tique qu’ont vécue leurs ancêtres, (comme par exem­ple l’avait fait le Wild West Show de Buf­fa­lo Bill.)

     Simon Ortiz exprime sou­vent le mou­ve­ment de con­science et la vie humaine comme un voy­age. Le lan­gage serait “un mode de vie qui est chemin, un sen­tier, une piste que je suis pour rester con­scient autant que pos­si­ble de ce qui m’entoure et de la part que je suis et assume dans la vie”. Le lan­gage et donc l’écriture inscrivent un pas­sage de con­nais­sance et de con­nais­sance de soi. Il per­met à quelqu’un de trou­ver une route à suiv­re depuis l’individuel et l’intérieur vers l’extérieur et vice et ver­sa. Deux exem­ples ci-dessous :

 

Blind Curse

You could dri­ve blind
for those two seconds
and they would be forever.
I think that as a diesel truck
pass­es us eight miles east of Mission.
Churn­ing through the storm, heedless
of the hill slid­ing away.
There isn’t much use to curse but I do.
Words fly away, tum­bling invisibly
toward the unseen point where
the prairie and sky meet.
The road is like that in those seconds,
noth­ing but the blind white side
of creation.

                   You’re there somewhere,
a tiny strug­gling cell.
You just might be significant
but you might not be anything.
For­ev­er is a space of split time
from which to recov­er after the mass passes.
My curse flies out there somewhere,
and then I send my prayer into the wake
of the diesel truck head­ed for Sioux Falls
one hun­dred and eighty miles through the storm.

 

 

     Juron aveugle

Vous pour­riez con­duire aveuglé
pen­dant ces deux secondes
et elles seraient éternelles.
Je pense cela pen­dant qu’un camion diesel
nous dou­ble douze kilo­mètres à l’est de Mission.
Bal­lot­té par la tem­pête, inconscient
du glisse­ment de la colline.
Il n’y a pas grande util­ité à jur­er mais je le fais.
Les paroles volent au loin, trébuchant
invis­i­bles en direc­tion du point occulte où
prairie et ciel se rencontrent.
La route ressem­ble à ça pen­dant ces secondes,
rien d’autre que le côté blanc aveugle
de la création.

                        Vous êtes là, quelque part,
une minus­cule cel­lule qui lutte.
Vous pour­riez être seule­ment significatif
mais vous ne pour­riez pas être n’importe quoi.
Tou­jours est un est espace de temps éclaté
à par­tir duquel récupér­er après que la masse soit passée.
Mon juron s’envole là-bas quelque part,
et puis j’envoie ma prière dans le sillage
du camion diesel se dirigeant vers Sioux Falls
deux cent qua­tre-vingt-dix kilo­mètres dans la tempête.

 

 

Cul­ture and the Universe

Two nights ago
in the canyon darkness,
only the half-moon and stars,
only mere men.
Prayer, faith, love,
existence.
                       We are measured
by vast­ness beyond ourselves.
Dark is light.
Stone is rising.

I don’t know
if humankind understands
cul­ture: the act
of being human
is not easy knowledge.

With paint­ed wood­en sticks
and feath­ers, we journey
into the canyon toward stone,
a mas­sive presence
in midwinter.

We stop.
                       Lean into me.
                       The universe
sings in qui­et meditation.

We are wordless:
                       I am in you.

With­out know­ing why
cul­ture needs our knowledge,
we are one self in the canyon.
                                                                    And the stone wall
I lean upon spins me
word­less and silent
to the reach of stars
and to the heav­ens within.

It’s not humankind after all
nor is it culture
that lim­its us.
It is the vastness
we do not enter.
It is the stars
we do not let own us.

 

        Cul­ture et l’univers

Il y a deux nuits
dans l’obscurité du canyon,
seule­ment une demi-lune et des étoiles,
sim­ple­ment des hommes.
Prière, foi, amour,
existence.
                 Nous sommes mesurés
à l’aune de la vasti­tude au-delà de nous.
Le noir est la lumière.
La pierre s’élève.

Je ne sais pas
si le genre humain comprend
la cul­ture : l’acte
d’être humain
n’est pas un savoir aisé.

A l’aide de bâtons peints
et de plumes, nous voyageons
dans le canyon vers la pierre,
une présence massive
au milieu de l’hiver.

Nous nous arrêtons.
                                Penche toi sur moi.
                                chante l’univers
pais­i­ble­ment dans sa méditation.

Nous restons muets :
                                  Je suis en vous.

Sans savoir pourquoi
la cul­ture a besoin de notre connaissance,
nous faisons un dans le canyon.
                                                             Et la paroi rocheuse
sur laque­lle je me tiens me fait tournoyer
silen­cieux et muet
pour attein­dre les étoiles
et les cieux qui vont avec.

Ce n’est pas le genre humain après tout
pas plus que la culture
qui nous limitent.
C’est la vastitude
que nous ne pénétrons pas.
Ces sont les étoiles
que nous ne lais­sons pas nous posséder.

     
Sources: After and Before the Light­ning (Uni­ver­si­ty of Ari­zona Press, 1994) et Out There Some­where (Uni­ver­si­ty of Ari­zona Press, 2002)

     En guise de con­clu­sion dire qu’en 1981, From Sand Creek: Ris­ing In This Heart Which Is Our Amer­i­ca, est un recueil remar­qué qui reçut le prix push­cart de poésie ; il nar­rait  le mas­sacre des Cheyennes et Ara­pa­hos per­pétré à Sand Creek le 29 novem­bre 1864. Mais les poèmes de Simon Ortiz ne sont pas unique­ment cen­trés sur les trau­ma­tismes subis par les peu­ples Indi­ens non plus que sur la cul­ture Aco­ma Pueblo, ils par­lent avant tout de la con­di­tion humaine, ils obser­vent, décrivent et nous instru­isent en nous don­nant la preuve que chaque vie peut être une œuvre d’art. Simon Ortiz ne se com­plait pas dans la nar­ra­tion des atroc­ités com­mis­es, il regarde lucide­ment l’histoire et nous éclaire en nous mon­trant que les Euro-Améri­cains furent eux aus­si les vic­times de la coloni­sa­tion : vic­times de leurs pro­pres ambi­tions, vic­times de leurs aveu­gle­ments, leur igno­rance, leurs con­di­tion­nements. Et si les « blancs » recon­nais­saient cela, ce serait peut-être le pre­mier pas vers la guéri­son, le pre­mier pas vers l’apaisement des trau­ma­tismes car cela offrirait une base com­mune, à savoir une juste appré­ci­a­tion des respon­s­abil­ités à partager désor­mais pour le futur de l’humanité et de la planète. Ce que nous mon­tre Simon Ortiz, c’est la force de la cul­ture des Indi­ens d’Amérique du nord qui demande à l’humain d’aimer, de respecter, d’être respon­s­able de soi mais aus­si des autres afin d’être trans­mise et de per­me­t­tre non seule­ment la survie mais une vie en har­monie. Sa poésie témoigne de cette ambi­tion et au-delà, le mes­sage qu’il fait pass­er dans ses poèmes est que l’état Améri­cain, s’il veut lui aus­si sur­vivre, doit recon­naître la réal­ité des Indi­ens, la réal­ité de l’histoire de ce con­ti­nent Indi­en. Le rôle des auteurs Indi­ens serait donc d’aider l’Amérique à aller au-delà des stéréo­types et des manip­u­la­tions enreg­istrées par les poli­tiques, par les écrits occi­den­taux et Euro-Améri­cains, afin que la survie de la planète soit envis­age­able. C’est en pas­sant par la recon­nais­sance des effets néfastes et destruc­teurs de l’exploitation colo­niale et par­ti­c­ulière­ment  sur les pop­u­la­tions et cul­tures Indi­ennes, c’est en lut­tant con­tre cette men­tal­ité de pré­da­teur, que les Etats-Unis pour­ront con­stru­ire une société plus juste et un envi­ron­nement sain.

Pour aller plus loin : Vent sacré. Une antholo­gie de la poésie fémi­nine amérin­di­enne pub­liée il y a peu sous la direc­tion de Béa­trice Machet.

 

 

image_pdfimage_print
mm

Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, tra­duc­trice des auteurs Indi­ens d’Amérique du nord. Per­forme, donne des réc­i­tals poé­tiques en col­lab­o­ra­tion avec des danseurs, com­pos­i­teurs et musi­ciens. Pub­liée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Uni­ty, 2015) Pour les tra­duc­tions : L’Attente(cartographie Chero­kee), ASM Press (Trick­ster Clan, antholo­gie, 24 poètes Indi­ens)… Elle est mem­bre du col­lec­tif de poètes sonores et per­for­mat­ifs Ecrits — Stu­dio. Par ailleurs elle réalise et ani­me chaque deux­ième mer­cre­di du mois à par­tir de 19h une émis­sion de 55 min­utes con­sacrée à la poésie con­tem­po­raine sur les ondes de radio Ago­ra à Grasse. En 2019, elle pub­lie Tirage(s) de Tête(s) aux édi­tions Les lieux dits, Plough­ing a Self of One’s Own, paru en 2021 aux édi­tions Danc­ing Girl Press, (Chica­go), et TOURNER, petit pré­cis de rota­tion paru chez Tar­mac en octo­bre 2022.