Le post-mod­erne

Ger­ald Vizenor est l’auteur de plus de trente livres. Il abor­de tous les gen­res depuis la poésie, la nou­velle, le jour­nal­isme, en pas­sant par le roman, l’essai et les ouvrages de théorie cri­tique. Il est recon­nu par ses pairs pour être l’un des auteurs phares, et l’un des uni­ver­si­taires les plus remar­qués par­mi les écrivains dits « Native Amer­i­can ». Il est traduit en plusieurs langues, il a reçu des prix lit­téraires dont le Amer­i­can Book Award et le Fic­tion Col­lec­tive Award pour son roman Griev­er : an Amer­i­can Mon­key King in Chi­na. L’empreinte que G.Vizenor a d’ores et déjà lais­sée, dans les domaines cri­tique et créatif, est indélé­bile. Il mar­que un tour­nant dans la façon dont les lecteurs peu­vent approcher les œuvres des auteurs « indi­ens » (ou Native American).

Pour le présen­ter, d’abord dire qu’il est Anishi­naabe, (Ojib­wa ou Chippe­wa comme les blancs ont nom­mé ces pop­u­la­tions du nord des USA, proches des grands lacs et au-delà jusqu’au Cana­da). Il a été élevé sur la réserve de White Earth dans le Min­neso­ta, son père a des ancêtres français, ce qui fait de lui un métis. Il vient d’une tra­di­tion de « sto­ry­tellers », les con­teurs. Descen­dant du clan de la grue, il appar­tient au clan des ora­teurs de sa tribu. Les réc­its, his­toires, paroles et mots, sont les fon­da­tions de son être et de sa car­rière. « On ne peut com­pren­dre le monde sans racon­ter d’histoires » affirme-t-il, « il n’y a pas d’autre cen­tre au monde que le récit ».

Pré­cis­er aus­si que racon­ter une his­toire pour un Native Amer­i­can, ce n’est pas seule­ment racon­ter ce que dis­ent ou font les per­son­nages à ceux qui écoutent, mais il s’agit d’inclure les audi­teurs-spec­ta­teurs à l’histoire, de telle sorte que racon­ter crée l’événement, cela arrive vrai­ment, l’histoire devient, est expéri­ence vécue et partagée par l’auditoire. Cette expéri­ence n’est pas repro­ductible dans un écrit, encore moins en anglais, tant le con­texte, ou encore les langues amérin­di­ennes une fois traduites, per­dent de ce qui fait leur saveur, leur dimen­sion cos­mique. Pour­tant Ger­ald Vizenor a pour but d’offrir les pos­si­bil­ités au texte de devenir vivant. 

Une pre­mière remar­que : G.Vizenor veut que tous nous refu­sions le terme générique d’Indien, d’autant que les vrais Indi­ens vivent en Inde. Cet adjec­tif util­isé abu­sive­ment a créé une fig­ure et une caté­gorie de gens qui tout sim­ple­ment n’existent pas, c’est un sim­u­lacre qui efface la réal­ité des peu­ples indigènes du con­ti­nent Améri­cain. Tout le tra­vail de Ger­ald Vizenor con­siste à créer un nou­veau vocab­u­laire, en util­isant des néol­o­gismes s’il le faut, afin de nous per­me­t­tre une nou­velle approche des études et de la lit­téra­ture amérin­di­ennes. Dans les tra­di­tions orales, le mot, la parole, ont un pou­voir mag­ique, ils ont une puis­sance, ils sont vibrants d’énergie (il utilise les mots life et juice pour par­ler des mots). Et les tra­di­tions amérin­di­ennes don­nent aux mots un pou­voir indépen­dant, supérieur à celui des dieux. Et cela s’inscrit au présent, ce n’est pas un pou­voir enfoui dans les temps mythiques qui se serait évanoui avec eux.

En fait Vizenor enrage. Con­tre ce qu’il ressent comme sta­tique, monologique, dans la façon occi­den­tale d’utiliser les mots. Il déclare the « word wars », un com­bat con­tre les « dead voic­es », il fait en sorte que les mots imprimés ne con­stituent pas seule­ment l’ombre d’une parole vivante. Il cri­tique les représen­ta­tions néo­colo­niales, il exam­ine les procédés avec lesquels les cul­tures amérin­di­ennes ont été anni­hilées dans l’esprit des Améri­cains, et ce, par le biais de la lit­téra­ture. Il  veut libér­er les iden­tités amérin­di­ennes de l’emprise lit­téraire colo­niale. Il veut min­er à l’intérieur de la langue anglaise les straté­gies d’enfermement per­mis­es par les struc­tures lit­téraires et lin­guis­tiques ; il veut les rem­plac­er par des straté­gies de débor­de­ment et de libéra­tion, et ce en créant une ten­sion entre le monde des tra­di­tions orales et la réal­ité du monde écrit, entre l’anglais et les langues amérin­di­ennes. Il écrit : «  L’Anglais a été la langue linéaire des décou­vertes colo­niales, des cru­autés raciales, … la langue imposée dans les pen­sion­nats…. Une langue de para­dox­es car au dix-neu­vième siè­cle elle a pour­tant véhiculé la vision de Vovo­ka, une reli­gion du renou­veau, vision dif­fusée de tribu en tribu, langue anglaise por­tant en elle les fan­tômes de la Ghost Dance*. » Langue capa­ble de cou­ver en son sein la créa­tiv­ité et la sur­vivance. Ces ombres et le lan­gage des poètes amérin­di­ens pour­raient bien se révéler être la nou­velle Ghost Dance, dan­sée sur la scène de la lit­téra­ture, une lit­téra­ture de l’ombre qui ani­me et ravive la sur­vivance trib­ale. C’est-à-dire qui per­me­tte d’atteindre les dif­férents niveaux de la réal­ité : le spir­ituel, le vision­naire, et le mythique, qui don­nent accès à des expéri­ences pleines de la réal­ité, à des vérités plus larges de l’expérience humaine. Que les lecteurs n’aient pas seule­ment des his­toires amérin­di­ennes valant comme notices nécrologiques ou autres éloges funèbres, à se met­tre sous les yeux.

Le pre­mier roman de Ger­ald Vizenor Dark­ness in Saint Louis Bear­heart est une ten­ta­tive de cern­er le phénomène élusif du post-mod­ernisme. Les thèmes soulevés dans le roman sont la men­ace de dis­pari­tion de la vie tra­di­tion­nelle indi­enne, la raré­fac­tion des ressources en Amérique, la vio­lence au quo­ti­di­en, l’obscurantisme ram­pant et le peu de cas fait des intel­lectuels ou des universitaires.

Après le prix Pulitzer accordé à Nor­man Scott Moma­day pour son livre House Made of Dawn, deux autres romans furent pub­liés que l’on pour­rait dire appartenir égale­ment à la veine mod­erniste : Win­ter in the Blood de James Welch et Cer­e­mo­ny de Leslie Silko, les deux se référant au mythe du ter­rain vague. À la fin des années 70, cette phase mod­erniste du roman « indi­en » inspi­ra à Ger­ald Vizenor une réponse post-moderne.
Bear­heart est un “frame tale”, un réc­it gigogne, où plusieurs his­toires se dévelop­pent dans l’histoire. Saint Louis Bear­heart, un fonc­tion­naire au bureau des affaires indi­ennes, spé­cial­iste des ques­tions d’héritage, offi­cielle­ment grat­te papi­er donc, est secrète­ment en train d’écrire un livre inti­t­ulé Cedar­fair Cir­cus : Grave Reports from the Cul­tur­al Word Wars (rap­ports de tombes, tirés des guer­res cul­turelles des mots). Quand les mem­bres du mou­ve­ment des Indi­ens d’Amérique (AIM) occu­pent le bureau des affaires indi­ennes, Bear­heart  séduit une jeune Indi­enne rad­i­cale et lui donne son man­u­scrit à lire. Il s’agit de l’histoire d’un groupe d’Indiens pèlerins qui chem­i­nent du Min­neso­ta vers le Nou­veau Mex­ique afin d’échapper au chaos sur­venu après la chute de la civil­i­sa­tion améri­caine, quand le pét­role s’est tari. Au pre­mier cou­ple ini­tial (Proude et Rosi­na)  s’ajoute un équipage de  “trick­sters and con­trar­i­on clowns,”  des trisksters et des clowns-con­traires, des per­son­nes « miroirs » qui  se com­por­tent à l’inverse de la majorité mais qui incar­nent la pos­si­bil­ité de vivre et de penser autrement. Cette bande dépe­nail­lée, sur son chemin lutte et livre bataille con­tre de hideux enne­mis : Sir Cecil Sta­ples, le monar­que de l’essence sans plomb qui oblige les auto­mo­bilistes à jouer leur vie à la roulette dans l’espoir de gag­n­er 5 gal­lons d’essence; les fas­cistes du restau­rant de la sor­cière à Pon­ca City, Okla­homa ; plus les célèbres chas­seurs et éleveurs de chevaux d’Orion, Okla­homa. Ceux-là tuent les gens ayant des croy­ances et qui les pensent être les seules vraies valeurs morales. Après une série de morts vio­lentes, la bande réduite de pèlerins arrive aux portes de Pueblo Boni­to au Nou­veau Mex­ique où Proude et son bras droit Ini­wa Biwide passent au tra­vers d’une fenêtre-vision et entrent dans le qua­trième monde. La femme de Proude, Rosi­na, qui l’a trompé avec un pèlerin, Big­foot Saint Plumero, nous est mon­trée en train d’observer avec regret les traces d’ours dans la neige, traces que Proude et Ini­wa ont lais­sées alors qu’ils entraient dans le qua­trième monde. (Ce qui est une façon de revis­iter les mythes de la créa­tion Pueb­los et Nava­jos, du pre­mier monde sous-ter­rain au qua­trième par une ascen­sion au tra­vers de trous). Ce bref résumé est suff­isant pour que cha­cun puisse com­pren­dre que Bear­heart est bien un roman post-mod­erne. Il com­bine humour et sang ver­sé, il illus­tre que « le mal­heur des uns fait le bon­heur des autres ». Pour ten­ter de lever l’ambiguïté autour du mot,  Jean-Fran­cois Lyotard affirme que le post-mod­erne n’est pas une péri­ode mais bien plus une impul­sion, un élan, l’intervalle d’expérimentation qui arrive entre deux péri­odes pen­dant lesquelles un seul mod­èle esthé­tique domine. Dans Bear­heart, les événe­ments loufo­ques se suc­cè­dent et le point cul­mi­nant est atteint lorsque Proude quitte le (notre) troisième monde pour nav­iguer dans le qua­trième. Vizenor suit alors les mod­èles de Gabriel Gar­cia Mar­quez en se ser­vant du réal­isme mag­ique, ce que les auteurs indi­ens con­tem­po­rains utilisent abon­dam­ment : Leslie Silko, Louise Erdrich, Scott Moma­day pour ne citer qu’eux. Mais à la dif­férence des auteurs cités, Vizenor se situe dans le camp post-mod­erne. Parce qu’il a une approche humoris­tique de la vio­lence, parce que son roman se libère de la vraisem­blance et ce grâce à son héritage Chippe­wa. En fréquen­tant la réserve de White Earth, en séjour­nant chez sa grand-mère, Ger­ald Vizenor a enten­du les réc­its tra­di­tion­nels. La plu­part de ceux-ci con­cer­nent le Trick­ster Man­abozho, ils sont fausse­ment comiques, sou­vent san­guinaires, pétris d’humour noir. Les réc­its du Man­abozho bien sou­vent sus­pendent les lois de la nature et de la prob­a­bil­ité. C’est en ce sens que le réal­isme mag­ique post-mod­erniste attire Vizenor bien plus que les con­ven­tions qui gou­ver­naient le roman avant les années 60.

Vizenor écrit des his­toires de Trick­ster, la fig­ure farceuse des Indi­ens d’Amérique du nord, en se trans­for­mant en Trick­ster, dans le but de faire de ses lecteurs des Trick­sters eux-mêmes, qui seront ain­si au prise avec la lutte con­tre l’ignorance, l’impuissance, et la façon dont Vizenor le rend pos­si­ble est une approche post-mod­erne. Son héritage indi­en per­met à Vizenor d’être devenu un écrivain post-mod­erne. Il fait allu­sion à des mythes et des rit­uels comme sources de pos­si­bles révoltes post-mod­ernes. Je le cite « Une nou­velle sen­si­bil­ité se man­i­feste d’elle-même, de plusieurs façons. L’art est un véhicule pour faire explos­er les pré­ten­tions tra­di­tion­nelles et pour mon­tr­er la vul­néra­bil­ité, la minceur de l’art et du lan­gage, ce sur un mode de con­science moins sobre­ment rationnel, une con­science plus agréable­ment ouverte au mythe, au rit­uel trib­al, à l’expérience vision­naire, enrac­inée dans un flu­ide pro­téi­forme et dans un con­cept  indif­féren­cié du soi qui est opposé au refoulé, à l’égo occi­den­tal crispé. Le Trick­ster, qui n’existe que dans les his­toires, représente l’esprit sat­urnien de rébel­lion dans les réc­its (indi­ens) trib­aux. Il est une chance, un comique holotrope dans le jeu du lan­gage post-mod­erne qui dévoile les dis­tinc­tions et les ironies entre les voix nar­ra­tives. » Plus loin il dit encore à pro­pos du Trick­ster :  « c’est un signe sémi­o­tique sig­nifi­ant l’antagonisme social et le mil­i­tan­tisme esthé­tique dans la cri­tique post-mod­erne et l’avant-garde, mais il ne peut pas désign­er la  présence ni l’achèvement de l’idéal cul­turel dans les réc­its ». Par holotrope Vizenor veut dire total, libre, à la fois sig­nifi­ant et sig­nifié. En citant Bakhtin, Vizenor décrit le comique holotrope comme un dial­o­gisme, ce qui sig­ni­fie que Trick­ster doit être com­pris comme par­tie d’un plus grand tout, une somme d’énonciations des tra­di­tions orales. Pour Vizenor le monde trib­al est comique et com­mu­nau­taire ; l’esprit comique est au cœur du Trick­ster, une fig­ure créée par une tribu en tant que tout, et non par un auteur indi­vidu­el. Vizenor sou­tient que le con­traire d’un dis­cours comique est un mono­logue, une énon­ci­a­tion isolée, qui s’approche du trag­ique en lit­téra­ture, mais pas de la vision comique dans un monde trib­al. Vizenor voit le chrono­tope post-mod­erne dans la lit­téra­ture fic­tion­nelle comme un moyen d’attaquer la vision dom­i­nante dans un monde post­colo­nial, sa prin­ci­pale arme est Trick­ster, le « libéra­teur agonistique ».

La présence du super naturel est sou­vent attribuée au prim­i­tif ou à la pen­sée mag­ique indi­enne, qui coex­iste avec la ratio­nal­ité européenne. Le réal­isme mag­ique est basé sur la réal­ité, un monde avec lequel l’auteur est fam­i­li­er, et qui exprime les mythes et les super­sti­tions tra­di­tion­nelles des Indi­ens d’Amérique, qui mon­tre deux visions du monde au sein desquelles l’auteur nav­igue. Vizenor quant à lui préfère le terme de vérisme mythique, une vari­a­tion du réal­isme mag­ique ; la dif­férence étant que l’ambigüité du fan­tas­tique dans le réal­isme mag­ique ouvre une voie vers la fan­taisie pro­pre­ment dite, et devient alors vérisme mythique. Dans le fan­tas­tique le lecteur ne peut pas être cer­tain que les événe­ments impliquent le super naturel ou s’ils peu­vent s’expliquer par des moyens naturels. Sur le mode de la fan­taisie, les événe­ments impliquent claire­ment le super naturel. Mais peut-être et avant tout Vizenor est-il attiré par les post-mod­ernes parce que les his­toires Chippe­wa focal­isées autour de la fig­ure du Trick­ster représen­tent la lit­téra­ture sous son aspect le plus ludique. Et très tôt Ger­ald Graff a iden­ti­fié le mou­ve­ment post-mod­erne en définis­sant l’un de ses traits car­dinaux, à savoir le refus de pren­dre l’art au sérieux, en don­nant au mot sérieux son sens de gravité.

L’avènement du Post-indian

Attaquant la vision dom­i­nante post-colo­niale à l’aide du Trick­ster, Vizenor veut dimin­uer le pou­voir des sci­ences sociales et min­er l’humanisme bour­geois. « Le comique libéra­teur est un guéris­seur dans les jeux lin­guis­tiques, de hasard, et dans l’imagination post-mod­erne ; le Trick­ster, en tant que signe sémi­o­tique, dénie présence et com­plé­tude, cette essence vitale roman­tique qui infuse les représen­ta­tions occi­den­tales des mon­des trib­aux ; il dénie aus­si le lan­gage instru­men­tal des sci­ences sociales. » Vizenor veut mon­tr­er que le Trick­ster n’est pas le sym­bole réduc­teur tel que for­mulé par les anthro­pol­o­gistes. Il est bien cen­tré cul­turelle­ment mais très sou­vent créé, sou­vent présent, il est le per­son­nage comique qui ne saurait être isolé ou com­pris depuis l’extérieur, hors du con­texte du dis­cours con­stru­it autour de lui. Il veut insis­ter sur les aspects de l’identité post-mod­erne, qui sont des affaires de lan­gage. Cette créa­tion post-mod­erne du Trick­ster glo­ri­fie le jeu, le hasard, l’indétermination et la con­science de soi.

Et Vizenor ne s’arrête pas là : il se dit être le post-lau­réat des métis, des sangs mêlés (qu’il appelle cross­bloods), et ses his­toires décrivent le “Half-breed Hall of Fame”, le hall de la renom­mée des bâtards. Il défend l’argument selon lequel le métis­sage est post-mod­erne. « Les métis sont la lignée trib­ale post-mod­erne » affirme-t-il,  « ils sont au point de ren­con­tre des prob­lèmes de racisme, d’hypocrisies colo­niales, du monogénisme sen­ti­men­tal, des cul­tures au sens générique ». Les métis, en met­tant en valeur leur géné­tique plurielle, leur iden­tité poly­cul­turelle, échap­pent à toute ten­ta­tive de clas­si­fi­ca­tion, à toute saisie, bien sou­vent grâce aux tech­niques post-mod­ernes ludiques de décon­struc­tion sociale. Ils achèvent ain­si la pleine mesure de l’humanité, bien mieux que le monogénisme.

Vizenor sait com­bi­en le mot Indi­en nous égare : les Indi­ens sont des fab­ri­ca­tions, les inven­tions des pho­tographes comme Cur­tis, ou des poseurs comme Rus­sel Means**. Vizenor souhaite que l’Indien d’aujourd’hui, dans cette époque post-mod­erne, achève une authen­tic­ité exis­ten­tielle en se réin­ven­tant lui-même, en se défaisant des stéréo­types et des pro­jec­tions, en revenant aux rela­tions tra­di­tion­nelles trib­ales.  L’indien actuel est un sim­u­lacre, qui ignore, qui renie sa qual­ité de « native », soit  natif, orig­i­nal, pre­mier. L’Indien trans­pose le réel et cette sim­u­la­tion de réel le coupe de sa mémoire référente, de ses his­toires trib­ales, de ses orig­ines. « Le post-indi­en doit se bal­ancer au-dessus des ruines esthé­tiques des sim­u­la­tions actuelles qui déci­dent à sa place de ce que doit être l’Indien ». Que les « Indi­ens » en général puis­sent ou désirent se réin­ven­ter eux-mêmes en tant que post-indi­ens est la ques­tion ! Mais Ger­ald Vizenor a lui d’ores et déjà réussi.
 

*En 1890, un chef religieux Païute con­nu sous le nom de Wovo­ka (« faiseur de pluie »), déclara que pen­dant l’éclipse totale du soleil du 1er jan­vi­er 1889 il lui avait été révélé qu’il serait le Messie de son peu­ple. Le mou­ve­ment spir­ituel qu’il créa fut appelé « danse des esprits » par les Blancs. Il s’ag­it d’un mélange syn­cré­tique de spir­i­tu­al­isme Paiute et de chris­tian­isme Shak­er. Les dans­es (ghost dance) exé­cutées avaient pour objec­tif d’atteindre la transe afin de con­tac­ter les ancêtres, les mem­bres de la famille décédés, et de favoris­er l’ar­rivée d’un sauveur de la cause amérin­di­enne. Wovo­ka prédi­s­ait que des trem­ble­ments de terre seraient envoyés pour tuer tous les Blancs, il a égale­ment enseigné que jusqu’au jour du Juge­ment dernier, les Amérin­di­ens devaient vivre en paix et ne pas refuser sys­té­ma­tique­ment de tra­vailler pour ou avec les Blancs.
 

** Rus­sel Means (1939–2012) était un leader Sioux mil­i­tant pour le droit des peu­ples indi­ens, prô­nant une poli­tique lib­er­taire. Acteur, écrivain, mem­bre de l’AIM, il était un mem­bre influ­ent du con­seil trib­al Sioux, telle­ment médi­atisé qu’il en avait attrapé la grosse tête….
 

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Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, tra­duc­trice des auteurs Indi­ens d’Amérique du nord. Per­forme, donne des réc­i­tals poé­tiques en col­lab­o­ra­tion avec des danseurs, com­pos­i­teurs et musi­ciens. Pub­liée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Uni­ty, 2015) Pour les tra­duc­tions : L’Attente(cartographie Chero­kee), ASM Press (Trick­ster Clan, antholo­gie, 24 poètes Indi­ens)… Elle est mem­bre du col­lec­tif de poètes sonores et per­for­mat­ifs Ecrits — Stu­dio. Par ailleurs elle réalise et ani­me chaque deux­ième mer­cre­di du mois à par­tir de 19h une émis­sion de 55 min­utes con­sacrée à la poésie con­tem­po­raine sur les ondes de radio Ago­ra à Grasse. En 2019, elle pub­lie Tirage(s) de Tête(s) aux édi­tions Les lieux dits, Plough­ing a Self of One’s Own, paru en 2021 aux édi­tions Danc­ing Girl Press, (Chica­go), et TOURNER, petit pré­cis de rota­tion paru chez Tar­mac en octo­bre 2022.