Chronique du veilleur (9) – Yves Namur

Par |2018-01-06T22:41:41+01:00 14 septembre 2013|Catégories : Chroniques, Yves Namur|Mots-clés : |

Yves Namur est né à Namur en 1952. Médecin, édi­teur, il est l’auteur d’une trentaine de livres. Il a réu­ni sous le titre Un poème avant les com­mence­ments une sélec­tion de ses livres parus entre 1975 et 1990 (Le Tail­lis Pré en coédi­tion avec Le Noroît). Une autre antholo­gie, Ce que j’ai peut-être fait paraît simul­tané­ment aux édi­tions Let­tres Vives et regroupe des poèmes édités entre 1992 et 2012. C’est donc un par­cours poé­tique d’une ampleur et d’une vital­ité con­sid­érables qui s’offre à nous en ces deux pub­li­ca­tions. Bien sûr, l’auteur en con­vient le pre­mier, il y a eu évo­lu­tion de  la pen­sée et de l’écriture. Mais je suis sen­si­ble avant toute analyse de détail à ce qui con­stitue la trame de cette œuvre, son tis­su vivant, des « com­mence­ments » à maintenant.

Yves Namur ne cesse de méditer sur le poème et le lan­gage poé­tique. Il le fait en creu­sant le silence de l’énigme, par une « approche lente », en frôlant le vide. Ce sont de véri­ta­bles voy­ages : « le voy­age, dit-il, est la nar­ra­tion du poème, et le poème du corps. » Voy­ages sur le blanc de la page, voy­ages sur l’eau jusqu’au vertige :

dans la dis­tance de  

l’eau, mais proche, l’eau
et le mou­ve­ment, et l’effacement,
l’oubli de l’eau et son oubli
dans l’eau,  

l’eau (le poème) et sa fuite.  

Yves Namur, Un poème avant les commencements , Le Taillis Pré/ Le Noroît, 2013, 362 pages, 25 euros. Ce que j’ai peut-être fait, Lettres Vives, 2013, 128 pages, 18 euros.

Yves Namur, Un poème avant les com­mence­ments, Le Tail­lis Pré/ Le Noroît, 2013, 362 pages, 25 euros. 
Ce que j’ai peut-être fait, Let­tres Vives, 2013, 128 pages, 18 euros.

Ce sont des traces, des inscrip­tions brèves, cernées d’absence, « tracé indéchiffrable », que le poète veut saisir, surtout ne pas perdre :

Ne per­dre,  

ni le geste où va l’oiseau,
vers l’autre rive, vers d’autres rives,  

dans d’autres rives de fables
et de collines blanch­es.  

Cette blancheur règne sur l’œuvre d’Yves Namur. Elle est celle « de l’abîme et du poème », celle du livre où nous appa­raît « l’autre ver­sant de la nuit », celui que le poète  inter­roge inlass­able­ment et tente d’éclairer par la puis­sance du verbe. Rien n’est jamais achevé, le silence précède et tra­verse le poème, le poème reste inachevé. C’est donc le même poème que reprend, comme un chemin de neige, l’infatigable pèlerin du silence. Et quelque­fois se lève une aurore pâle, un « bat­te­ment d’ailes », « une nuée d’oiseaux ».

Les livres des dix dernières années frap­pent par une sim­plic­ité nou­velle, un ton dif­férent, plus proche et fam­i­li­er sans doute, comme voulant nous com­mu­ni­quer un aveu d’humilité.

Et par­fois je me dis qu’il a rai­son le poète :
Il suf­fi­rait d’un rien, d’un tout petit rien,
Pour qu’une mai­son sorte aus­si du poème que j’écris maintenant.

Aveu d’impuissance aus­si qui con­duit le poète jusqu’à se dire « mau­dit », lui qui ne sait « ni regarder ni touch­er » ce qui l’entoure et le regarde. Pour­rait-il « regarder l’intérieur des choses, attein­dre ce « mys­tère des choses » dont par­le Pes­soa ? La beauté des choses est « ter­ri­ble », La tristesse du figu­ier, paru en 2012, qui est sans doute  le livre le plus impres­sion­nant de cette œuvre, l’affirme avec une force sin­gulière. Le ques­tion­nement d’Yves Namur abor­de dans ces pages  le pur fait de vivre. Qu’est-ce que vivre ? être réel ?

Je par­le la langue des figu­iers, je tran­spire, je tremble,
Je mange et je dors comme le figuier.
En fait, je vis exacte­ment comme il vit.  

Et lorsqu’il perd ses fruits trop mûrs
Ou ses grandes illu­sions,  

Alors je me dis que suis encore comme lui
Et que c’est bien ça être réel  

S’il faut tir­er une con­clu­sion — pro­vi­soire sans doute —  de cette œuvre poé­tique, l’exigence très haute d’Yves Namur, son intégrité et sa sincérité, sont à soulign­er avant tout. Le poème peut con­tenir « tout ce qu’un homme peut approcher », selon les ter­mes mêmes de l’auteur. C’est à la fois le plus ardent et le plus infime qui se puis­sent saisir ;  il y a aus­si en lui « cette lueur frag­ile (…) qui attise le manque » et que seul un grand poète comme Yves Namur est capa­ble de faire rayonner.

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule).
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