Roselyne Sibille depuis longtemps nous offre une poésie contemplative à déguster en silence, un silence descendu en nous grâce à ses mots nous guidant vers une expérience et une qualité d’être au monde. Comme le souligne Florence Saint-Roch dans sa postface, suivre les pas de Roselyne, pas devenus mots par la magie de la complicité de la poétesse avec l’environnement traversé et observé, « suscite une joie merveilleusement surgie, qui nous enchante et devient notre respiration. »
Par la présence des rizières et de l’eau, le lecteur devine que les poèmes naissent de promenades et d’un séjour en Asie. Et se couler au fil de l’eau, devenir l’eau tient du prodige :
On trouvera les passages dans les rêves
de la rivière
Et les passages on les trouve aussi grâce aux odeurs :
Seringats sureaux
glycines lilasGrâce à leur parfum
nul besoin de plan
pour m’orienter

Roselyne Sibille, Une libellule sur l’épaule, Collection Grand Ours, éditions l’Ail des Ours, 70 pages, 8 euros, avec des Illustrations (très bleues !) de Sophie Rousseau et une postface de Florence Saint-Roch.
Toute sensation, tout ce qui passe par le corps, assimilé, vibré, est restitué en mots, y compris ce qu’absorbe ou ce dont se nourrit la poétesse, bien souvent le paysage, comme bu. Dans le livre il apparaît souvent gris et brumeux. L’élan du regard est celui de devenir, de se fondre avec la réalité des éléments, jusqu’à se mêler aux sèves des arbres, d’accéder à leurs cimes et au-delà, accéder au ciel, avec la conscience aigüe du cosmos qui le contient, auquel la poétesse se sent pleinement appartenir. Ainsi : les lieux deviennent de l’air. La magie de l’évaporation physique et météorologique va de pair avec la forme de lâcher prise et d’oubli de soi qu’atteint Roselyne Sibille en se promenant.
Dans ce livre il est aussi un autre enjeu, assumé, avoué : je cherche une écriture plus nombreuse. C’est l’enjeu d’une conscience augmentée, d’une métamorphose en langage poétique, celui d’une traduction :
Sur l’île de mes mots
le ciel est blanc
et la montagne attendSi le thé devient mon encre
je pourrai peut-être
descendre dans la couleur
On ne le sait peut-être pas, mais Roselyne Sibille a suivi une formation de géographe avant de poursuivre une carrière de bibliothécaire. Elle voit donc des cartes géographiques dessinées par les lichens et les rocailles, mais l’alphabet est aussi incorporé dans la lecture du paysage, et de cette manière R.S. tient ensemble les deux bouts de ses inclinations pour habiter le monde en poète.
Oiseaux, lucioles, abeilles, grillons, sauterelles, libellules, ces apparitions merveilleuses matérialisent le jaillissement de la vie, ressenti à l’intérieur en même temps que vu, et qui est toujours associé à un besoin de le traduire en mots, qui passe par l’expérience de l’envol, du rapt, et c’est alors qu’un chant s’élève, la poétesse passe ensuite le relais :
Avec le reflet des nuages
la grenouille rousse
écrira le poème
Et c’est bien comme une intention discrète et toute en délicatesse qui se dessine derrière la poésie de Roselyne Sibille. En cheminant elle s’augmente, se dilate, s’envole, et nous augmente aussi par l’expérience que nous faisons en la lisant. Elle nous tend la main, pour qu’à notre tour nous cheminions et partagions ces sensations, ce sentiment à la fois paisible et exalté de rayonnement intérieur, jusqu’à atteindre une qualité d’être et de vivre tout en fluidité.
Page 25, la poétesse affirme : la nature écrit. Et c’est bien ce que les Indiens d’Amérique et les peuples autochtones nous rappellent, eux qui le savent depuis la nuit des temps. Il faut savoir lire les signes qu’elle nous montre, lire son histoire à même la végétation, les roches et leurs accidents, ils sont des témoins, ils racontent d’anciennes histoires, des histoires dont nous sommes le résultat et nous savons l’importance pour l’humain de savoir d’où il vient afin de choisir où il va. Comme le dit R.S. très justement, cette histoire est écrite par l’effet du temps qui passe : Le temps signe.
Il y a parfois comme des notes discrètes de mélancolie dans ce livre, avec la conscience plus large d’un monde en souffrance :
L’âpreté de l’histoire
s’est enfoncée entre les pierres
La montagne respire doucementSur la planète en pleurs
la lune passe sa douce main
Je tourne vers elle mon visage
Parfois le poème témoigne de ce que d’aucuns appelleraient hallucinations visionnaires :
La pleine lune
a étendu ses draps entre les arbresSa lumière coule dans la rivière avec les mots
frissonne
crée et perd le poème
En conclusion, je dirais qu’à l’instar de Roberto Juarroz, un poète que R.S admire, elle nous offre une poésie verticale, limpide ; et dans les tumultes belliqueux du monde, elle nous offre un espace d’apaisement, sinon de guérison.
Présentation de l’auteur
- Roselyne Sibille, Une libellule sur l’épaule - 6 novembre 2025
- Regard sur la poésie Native American : Barney Bush ou le militantisme fait art - 6 novembre 2025
- Regard sur la poésie Native American : Louis Oliver Little Coon, ou la preuve qu’il n’est jamais trop tard pour commencer - 6 septembre 2025
- Regard sur la poésie Native American : Paula Gunn Allen ou l’esprit vivant des traditions. - 6 mai 2025
- Lou Raoul, les labourables - 6 mars 2025
- REGARD SUR LA POÉSIE « NATIVE AMERICAN » : Mikhu Paul, ou comment mettre l’accent sur ce qui est important pour la communauté des humains et leur « mère », la Terre. - 6 mars 2025
- Regard sur la poésie Native American — Emerald (ᏃᏈᏏ) GoingSnake : le poème fait chair - 6 janvier 2025
- Florence Saint Roch, Dominique Quélen, avec/sans titre - 6 janvier 2025
- Regard sur la poésie Native American : Emerson Blackhorse Mitchell, ou ce que beauté veut dire - 6 novembre 2024
- Claudine Bohi, Je cherche un enfant - 6 septembre 2024
- Regard sur la poésie « Native American », Mary Leauna Christensen, une jeune et nouvelle voix - 6 septembre 2024
- Regard sur la poésie « Native American » : Ibe Liebenberg, héritier d’un passé qui s’invite au présent - 6 mai 2024
- REGARD SUR LA POÉSIE « NATIVE AMERICAN » : William D’Arcy McNickle, père de la litérature amérindienne contemporaine - 6 mars 2024
- Regard sur la poésie « Native American » : Jane Johnston Schoolcraft, la première autrice amérindienne à être reconnue - 6 janvier 2024
- Regard sur la poésie « Native American » : Ofelia Zepeda : fille du désert, elle parle le désert - 30 octobre 2023
- Regard sur la poésie Native American : Denise Lajimodiere – l’impact des pensionnats pour enfants Indiens - 5 septembre 2023
- Claude Favre, ceux qui vont par les étranges terres les étranges aventures quérant - 6 juillet 2023
- Regard sur la poésie native américaine : Sammie Bordeaux-Seeger : du poème au quilt, un seul fil. - 6 juillet 2023
- REGARD SUR LA POÉSIE NATIVE AMERICAN – TOO-Qua-see ( DeWitt Clinton Duncan) Cherokee (1829–1909) - 30 avril 2023
- Gorguine Valougeorgis, χoros - 6 avril 2023
- Regard sur la poésie Native American : Kenzie Allen, « Celle-Qui-Va-Seule-en-Jouant-de-la-Musique », ou la prise de responsabilité. - 2 mars 2023
- Olivier Bastide, Ponctuation forcenée de l’ordre des choses - 5 février 2023
- Regard sur la poésie Native American – John Rollin Ridge : un héritage lourd à porter …. - 28 décembre 2022
- Lou Raoul, Second jardin (drugi vrt) - 21 octobre 2022
- Claude Favre, Ceux qui vont par les étranges terres — Les étranges aventures quérant - 18 septembre 2022
- Regard sur la poésie des « Native American » : Gwen Westerman, ou comment simplicité plus humilité mènent à une éclatante reconnaissance - 1 septembre 2022
- Eva-Maria Berg, Étourdi de soleil - 21 mai 2022
- Regard sur la poésie des « Native American » : Carlos Montezuma, un destin singulier - 6 mai 2022
- Un regard sur la poésie native américaine — Sara Marie Ortiz : bon sang ne saurait mentir !! - 2 mars 2022
- Philippe Pratx, KARMINA VLTIMA – La vie anthologique et névrotique du dernier Mangbetu - 1 mars 2022
- Marilyse Leroux, On n’a rien dit de l’océan - 5 février 2022
- Regard sur la poésie native américaine – Margo Tamez : un langage enraciné dans la mémoire - 31 décembre 2021
- Sylvie Durbec, Carrés - 6 octobre 2021
- Un regard sur la poésie Native American (1) - 4 juillet 2021
- Marylise Leroux, Une île, presque - 20 mai 2021
- Regard sur la poésie Native American : Alexander Lawrence Posey, trente quatre ans de vie bien remplie. - 2 mai 2021
- Yann Dupont, Jamais elle ne voit son visage - 1 mai 2021
- Regard sur la poésie Native American : Elise Paschen - 5 mars 2021
- Regard sur la poésie native américaine : Sammie Bordeaux-Seeger : du poème au quilt, un seul fil. - 6 novembre 2020
- Heather Cahoon : Couvée par la folie - 6 septembre 2020
- Zitkála-Šá - 6 mars 2020
- Margaret Noodin : un regard sur la poésie native américaine - 5 janvier 2020
- Tanaya Winder : Regard sur la poésie native américaine - 4 juin 2019
- Sy Hoahwah - 4 janvier 2019
- Eva-Maria Berg, Tant de vent négligé - 3 décembre 2018
- RILKE-POEME, Elancé dans l’asphère - 5 octobre 2018
- Natalie Diaz - 3 juin 2018
- Un regard sur la poésie Native American : The Fourth Wave, La quatrième vague - 2 mai 2016
- Un regard sur la poésie Native American (17). La poésie de Anne Howe - 29 décembre 2015
- Un regard sur la poésie Native American (16). La poésie de Jennifer Elise Foerster - 15 décembre 2015
- Un regard sur la poésie Native American (15). La poésie d’Elizabeth Cook Lynn - 21 septembre 2015
- Regard sur la poésie Native American (14). La poésie de Simon Ortiz - 27 décembre 2014
- Un regard sur la poésie Native Américan (13). - 30 septembre 2014
- Un regard sur la poésie Native Américan (12) - 8 septembre 2014
- Un regard sur la poésie Native American (11) — Marianne A Broyles - 6 juillet 2014
- Un regard sur la poésie Native Américan (10) - 10 mai 2014
- Un regard sur la poésie native américan (9) - 8 février 2014
- Un regard sur la poésie native américan (8) - 17 janvier 2014
- Un regard sur la poésie native american (7) — Deborah Miranda (Esselen), Diane Glancy (Cherokee) - 13 décembre 2013
- Un regard sur la poésie Native American (5) - 25 octobre 2013
- Un regard sur la poésie Native American (5) - 8 juillet 2013
- Un regard sur la poésie Native American (4) - 9 juin 2013
















