Roselyne Sibille, Une libellule sur l’épaule

Par |2025-11-06T12:44:57+01:00 6 novembre 2025|Catégories : Critiques, Roselyne Sibille|

Rose­lyne Sibille depuis longtemps nous offre une poésie con­tem­pla­tive à déguster en silence, un silence descen­du en nous grâce à ses mots  nous guidant vers une expéri­ence et une qual­ité d’être au monde. Comme le souligne Flo­rence Saint-Roch dans sa post­face, suiv­re les pas de Rose­lyne, pas devenus mots par la magie de la com­plic­ité de la poétesse avec l’environnement tra­ver­sé et observé, « sus­cite une joie mer­veilleuse­ment surgie, qui nous enchante et devient notre respiration. »

Par la présence des riz­ières et de l’eau, le lecteur devine que les poèmes nais­sent de prom­e­nades et d’un séjour en Asie. Et se couler au fil de l’eau, devenir l’eau tient du prodige :

              On trou­vera les pas­sages dans les rêves 
              de la rivière 

Et les pas­sages on les trou­ve aus­si grâce aux odeurs :

Seringats      sureaux
glycines        lilas

Grâce à leur parfum
nul besoin de plan
pour m’orienter

Rose­lyne Sibille, Une libel­lule sur l’épaule, Col­lec­tion Grand Ours, édi­tions l’Ail des Ours, 70 pages, 8 euros, avec des Illus­tra­tions (très bleues !) de Sophie Rousseau et une post­face de Flo­rence Saint-Roch.

Toute sen­sa­tion, tout ce qui passe par le corps, assim­ilé, vibré, est resti­tué en mots, y com­pris ce qu’absorbe ou ce dont se nour­rit la poétesse, bien sou­vent le paysage, comme bu. Dans le livre il appa­raît sou­vent gris et brumeux. L’élan du regard est celui de devenir, de se fon­dre avec la réal­ité des élé­ments, jusqu’à se mêler aux sèves des arbres, d’accéder à leurs cimes et au-delà, accéder au ciel, avec la con­science aigüe du cos­mos qui le con­tient, auquel la poétesse se sent pleine­ment appartenir. Ain­si : les lieux devi­en­nent de l’air. La magie de l’évaporation physique et météorologique va de pair avec la forme de lâch­er prise et d’oubli de soi qu’atteint Rose­lyne Sibille en se promenant.

Dans ce livre il est aus­si un autre enjeu, assumé, avoué : je cherche une écri­t­ure plus nom­breuse. C’est l’enjeu d’une con­science aug­men­tée, d’une méta­mor­phose en lan­gage poé­tique, celui d’une traduction :

Sur l’île de mes mots
le ciel est blanc
et la mon­tagne attend

Si le thé devient mon encre
je pour­rai peut-être
descen­dre dans la couleur

On ne le sait peut-être pas, mais Rose­lyne Sibille a suivi une for­ma­tion de géo­graphe avant de pour­suiv­re une car­rière de bib­lio­thé­caire. Elle voit donc des cartes géo­graphiques dess­inées par les lichens et les rocailles, mais l’alphabet est aus­si incor­poré dans la lec­ture du paysage, et de cette manière R.S. tient ensem­ble les deux bouts de ses incli­na­tions pour habiter le monde en poète.

Oiseaux, luci­oles, abeilles, gril­lons, sauterelles, libel­lules, ces appari­tions mer­veilleuses matéri­alisent le jail­lisse­ment de la vie, ressen­ti à l’intérieur en même temps que vu, et qui est tou­jours asso­cié à un besoin de le traduire en mots, qui passe par l’expérience de l’envol, du rapt, et c’est alors qu’un chant s’élève, la poétesse passe ensuite le relais :

Avec le reflet des nuages
      la grenouille rousse
          écrira le poème 

Et c’est bien comme une inten­tion dis­crète et toute en déli­catesse qui se des­sine der­rière la poésie de Rose­lyne Sibille. En chem­i­nant elle s’augmente, se dilate, s’envole, et nous aug­mente aus­si par l’expérience que nous faisons en la lisant. Elle nous tend la main, pour qu’à notre tour nous chem­i­n­ions et parta­gions ces sen­sa­tions, ce sen­ti­ment à la fois pais­i­ble et exalté de ray­on­nement intérieur, jusqu’à attein­dre une qual­ité d’être et de vivre tout en fluidité.

Page 25, la poétesse affirme : la nature écrit.  Et c’est bien ce que les Indi­ens d’Amérique et les peu­ples autochtones nous rap­pel­lent, eux qui le savent depuis la nuit des temps. Il faut savoir lire les signes qu’elle nous mon­tre, lire son his­toire à même la végé­ta­tion, les roches et leurs acci­dents, ils sont des témoins, ils racon­tent d’anciennes his­toires, des his­toires dont nous sommes le résul­tat et nous savons l’importance pour l’humain de savoir d’où il vient afin de choisir où il va. Comme le dit R.S. très juste­ment, cette his­toire est écrite par l’effet du temps qui passe : Le temps signe.

Il y a par­fois comme des notes dis­crètes de mélan­col­ie dans ce livre, avec la con­science plus large d’un monde en souffrance :

L’âpreté de l’histoire
s’est enfon­cée entre les pierres
La mon­tagne respire doucement

Sur la planète en pleurs
la lune passe sa douce main
Je tourne vers elle mon visage

Par­fois le poème témoigne de ce que d’aucuns appelleraient hal­lu­ci­na­tions visionnaires :

La pleine lune
a éten­du ses draps entre les arbres

 Sa lumière coule dans la riv­ière avec les mots
fris­sonne
crée et perd le poème

En con­clu­sion, je dirais qu’à l’instar de Rober­to Juar­roz, un poète que R.S admire, elle nous offre une poésie ver­ti­cale, limpi­de ; et dans les tumultes belliqueux du monde, elle nous offre un espace d’apaisement, sinon de  guéri­son.

Présentation de l’auteur

Roselyne Sibille

Rose­lyne Sibille est née en 1953 en provence  elle vit. Géo­graphe de for­ma­tion, bib­lio­thé­caire. Elle est écrivain de voy­ages et poète

Elle co-crée avec de nom­breux artistes, fait des lec­tures musi­cales et par­ticipe à des expositions.
Ses poèmes ont été traduits en anglais, alle­mand, espag­nol, ital­ien, tchèque, écos­sais, et en qua­tre langues de l’Inde (hin­di, ben­gali, tamil, manipuri).

Bibliographie

  • Au chant des trans­parences — Lavis de BANG Hai Ja  — Éd. Voix d’encre — 2001
  • Éclats de Corée  in Antholo­gie Triages — Éd. Tara­buste — 2002
  • Ver­sants – Pré­face Jamel Eddine BENCHEIKH  — Éd. Théétète — 2005
  • Préludes, fugues et sym­phonie - Ed. Rap­port d’étape — 2006
  • Tournoiements — Éd. Champ social — 2007
  • Un sourire de soleil — Pho­tos Hélène SIMMEN — Trad. Masa­mi UMEDA — Edi­tion japon­aise bilingue — 2007
  • Par la porte du silence — Pein­tures BANG Hai Ja — Trad. Michael FINEBERG / MOON Young-Houn — Edi­tion coréenne trilingue — 2009
  • Lumière frois­sée — Encres Lil­iane-Ève BRENDEL — Éd. Voix d’encre — 2010
  • Implore la lumière, pein­tures de Sylvie Deparis, Édi­tions SD — 2011
  • L’ap­pel muet, Édi­tions La Porte — 2012
Roselyne Sibille

Publications en revue

  • 1998 - Éclats de Corée — Revue Cul­ture coréenne49 et 50
  • 2003 - Trois jours d’avant-printemps au tem­ple des sept Boud­dhas — Revue Cul­ture coréenne n°64
  • 2010 — in Antholo­gie poé­tique « Ter­res de femmes »
  • 2010Calmes aven­tures au Pays du Matin Calme — Revue Cul­ture coréenne n°80
  • 2011 — Les points car­dinaux du temps — Revue Terre à ciel
  • 2011L’Om­bre-monde — extraits (tra­duc­tions en anglais) — Revue Pratilipi
  • 2011 — Les marchés de Corée : un présent mul­ti­ple - Revue Cul­ture coréenne n°84
  • 2012 — L’Om­bre-monde — extraits (tra­duc­tions en anglais) — Revue Asymp­tote
  • 2012 — Entre sable et ciel — Revue Qan­tara n°85 (Insti­tut du monde arabe — Paris)
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Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, tra­duc­trice des auteurs Indi­ens d’Amérique du nord. Per­forme, donne des réc­i­tals poé­tiques en col­lab­o­ra­tion avec des danseurs, com­pos­i­teurs et musi­ciens. Pub­liée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Uni­ty, 2015) Pour les tra­duc­tions : L’Attente(cartographie Chero­kee), ASM Press (Trick­ster Clan, antholo­gie, 24 poètes Indi­ens)… Elle est mem­bre du col­lec­tif de poètes sonores et per­for­mat­ifs Ecrits — Stu­dio. Par ailleurs elle réalise et ani­me chaque deux­ième mer­cre­di du mois à par­tir de 19h une émis­sion de 55 min­utes con­sacrée à la poésie con­tem­po­raine sur les ondes de radio Ago­ra à Grasse. En 2019, elle pub­lie Tirage(s) de Tête(s) aux édi­tions Les lieux dits, Plough­ing a Self of One’s Own, paru en 2021 aux édi­tions Danc­ing Girl Press, (Chica­go), et TOURNER, petit pré­cis de rota­tion paru chez Tar­mac en octo­bre 2022, RAFALES chez Lan­sk­ine en 2024. 

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