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Anne-Lise Blanchard, épitomé du mort et du vif

Comme « abrégé d’un ouvrage antique », selon la définition du Petit Robert, « épitomé » s’applique sans doute à cette étude sensible des traces du vivant et du disparu, selon un regard qui puisse énoncer ces relations intimes avec le temps auquel nul ne peut déroger, selon une écriture très elliptique qui force à la densité quand elle énumère ce que la nature éveille et rétrécit et fait vieillir.

Le corps vieillissant, la traque de la moindre ride nous conduisent inexorablement de l’autre côté du vif, encore faut-il ne pas négliger ces cheminements entre « glaise » et l’air qui nous convainc d’être bien vivant.

Cette poésie, étrange par la scansion, les dérapages, les boucles, la ponctuation, interroge l’antérieur de nos vies, ces « gloires » anciennes, ces beautés qui ne sont plus :

 

La nuit vient en dormant

pour s’emparer

de nos lointains enfouis (p.41)

 

 

Anne-Lise Blan­chard, Epi­tomé du mort et du vif, Jacques André Edi­teur, coll. Poé­sie XXI, Lyon, 2019, 66 p. — 12,00 €.

Ailleurs, c’est pour constater « le saignement/du ciel » ou une « saison qui s’affaisse », sinon parfois « débusquer le rire/ d’un enfant » allège le vivre. La vie, souvent, a de ces « hoquets » ; le cheminement donne à « la langue » ses nœuds, et il faut persévérer coûte que coûte.

Le ton, celui de la noble désespérance, dans le sillage hardi de Michaux (un fragment de « Poteaux d’angle ») ou de Bernard Noël, fait jaillir du cœur, du corps ces accents de vérité nue, quand tout « séquestre », obscur, tourmentant « la naine, trop naine », allégorie de la poète en son récif perdu au milieu des questions sans réponse.

Aux poèmes en vers libre de la première section succèdent des proses que le titre « Glaise » insinue au ras du sol, dans le cheminement anxieux, paralysant d’une « lente progression » intime, existentielle, qui impose, non seulement le silence, mais la précipitation de tout mot, qui serait inutile.

Une poésie, pas toujours aisée à suivre, parce que féconde, riche, complexe : est-il facile de suivre les modulations d’une âme qui, âpre et sûre, énonce sa vérité fluctuante, mise en doute aussitôt que posée ?

Juste fermer les yeux pour contempler les filaments de vieillesse se mettre en place. (p.59)

Le constat est terrible.

Présentation de l’auteur

Anne-Lise Blanchard

Anne-Lise Blanchard : Danseuse, chorégraphe, puis thérapeute. Longtemps collaboratrice de plusieurs revues de création littéraire et artistique dont Verso, Lieux d’Etre, Diérèse, présente en revues et anthologies. Plusieurs de ses poèmes sont traduits en italien, anglais, espagnol. Organise le Printemps poétique de Saint-Geoire-en-Valdaine, au pied de la Chartreuse dont elle aime à parcourir cingles et sommets ; membre du Prix Étiophile de littérature africaine et des Caraïbes (pour se décentrer, à défaut de se rendre dans ces contrées) ; poète invité à la 26 e édition du festival de poésie de Sète « Voix vives de la méditerranée ». Plusieurs revues lui ont dédié un dossier : Diérèse n°45, été 2009 ; Diptyque #3, Entre-Deux, 2013 ; Poésie / première n°74, La poésie est danse, entretien avec Jacqueline Persini, septembre 2019 ; Traversées n°101, été 2022.

Dernières publications : Une odeur d’enfance, poésie jeunesse, Voix Tissées (2023) ; Soliloque pour ELLES, Transignum (2023) ; L’Horizon patient, Ad Solem (2022) ; Le Ravissement de la marche, haïkus, Atelier du Grand Tétras (2021) ; Épitomé du mort et du vif, Jacques André éd. (2019) ; Les jours suffisent à son émerveillement, Unicité (2018) ; Le Soleil s’est réfugié dans les cailloux, Ad Solem (2017). https://anne-lise-blanchard.com/

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