Amedeo Anel­li, Hiver­nales et autres températures

Le poète de Codog­no, dont j’avais appré­cié « Neige pen­sée » et « Alpha­bet du monde », pro­pose ici ses tra­ver­sées de l’hiv­er, du froid, de la brume, des élé­ments dans une volon­té d’in­scrire, couche par couche, ses sen­sa­tions de vivant. Il y a ici , il est vrai,  une véri­ta­ble prospec­tion de la « nature nat­u­rante », dans la mesure où l’oeil, le corps font un avec ce qui est perçu.

L’écri­t­ure, au fil des hivers 2021 et 2022, a retenu nom­bre d’im­pres­sions « hiver­nales » : séquences de con­tem­pla­tion et de vie, décrivant au plus près le « givre den­telle de glace », le « ques­tion­nement » dans la soli­tude, toutes les lumières ver­sa­tiles et mou­vantes que les jours d’hver proposent.

Devant ces tableaux de « temps de gel », le lecteur feuil­lette un jour­nal de bord, sen­si­ble aux vari­a­tions, aux échelles, aux mou­ve­ments per­ti­nents d’une nature observée avec soin.

Le secret de la brume
l’abon­dante lumière qui obscurcit la vue dans la transparence
par sous­trac­tion entre terre eau et ciel. (p.25)

Sans être en rien philosophique, cette prég­nante poésie con­signe tout de même toutes les réten­tions de vie et de mort dans un univers envelop­pant. Le vent lui-même devient signe d’ex­is­tence. On sent le poète attaché à dévoil­er du réel des urgences.

Les sou­venirs, quelques scènes encrées, des tableaux du passé four­nissent une matière noble à l’auteur. 

Amedeo ANELLI, Hiver­nales et autres tem­péra­tures, Libre­ria Ticinum edi­tore, 2022,78p. Tra­duc­tion de l’i­tal­ien par Irène Duboeuf. Recueil bilingue français-ital­ien ; 13 euros.

Ce qui se perd se rat­trape dans les mots et l’hiv­er, avec ses effeuille­ments, est bien la sai­son de la pause et du recul, comme si l’être y dev­inait ses traces.

L’écri­t­ure, très belle, très sig­ni­fica­tive, emprunte ses beautés aux élé­ments qu’elle trace ; elle est le « rêve qui nous sauve dans le besoin » (p.49).

Le poète de Codog­no, par­lant de sa cité, de sa région, donne un mes­sage uni­versel : celui de l’im­prég­na­tion du monde.

Vin­cent Motard-Avar­gues, Pein­ture de l’absence

Ce seiz­ième recueil du poète bor­de­lais se passe presque d’im­ages pour cir­con­scrire les reliefs d’une enfance, d’une mémoire, tis­sée de brefs éclats de murs, de jardin, de mai­son, d’impressions. 

Comme si l’au­teur souhaitait dress­er une liste de con­stats, de petites saynètes, réalistes.

Très descrip­tives, les phras­es du poète énumèrent le « per­du », « l’air de riens », « la ponc­tu­a­tion du vide », « l’empreinte durable d’un rêve ».

Les espaces fig­u­rat­ifs de l’il­lus­tra­teur, économes et sil­hou­et­tés, ren­for­cent cette sen­sa­tion elle aus­si durable d’une déperdition.

Les poèmes, con­sti­tués de peu de vers, eux-mêmes réduits à quelques mots, sem­blent réitér­er, de page en page, l’ab­sence du titre.

Tout regard sem­ble « brouil­lé » et la con­vic­tion que les promess­es n’ont pu être tenues.

Le ton, désolant, tris­tounet, éveille le lecteur à une mélan­col­ie, patiente mais partageable.

Vin­cent MOTARD-AVARGUES, Pein­ture de l’ab­sence, le chat polaire, 2022, 76p., 12 euros. Illus­tra­tions économes de Luc VIGIER.

Pierre Dhain­aut, à portée d’un oui

Une poésie de l’ac­qui­esce­ment par l’un de nos plus grands poètes fran­coph­o­nes (avec Ancet,Vandenschrick, Grand­mont, Mini­ac), acte de jeunesse du poète dans son grand âge pour redire avec force, sou­p­lesse, flu­id­ité, les ver­tus des images, de la poésie.

Qu’il s’agisse de poèmes longs comme dans les deux pre­mières par­ties du livre ou sous forme de ter­cets à ver­tu apho­ris­tique, le poète délivre au sens le plus con­cret l’ouïe du lecteur, apte à saisir la musique flu­ide qui coule, fer­vente, ser­tie de dons, d’  « air pur », de « mémoire ». Il faut avoir beau­coup vécu pour ten­dre sa voix à sa plus haute expres­sion libre, dans « l’in­sai­siss­able » de la prise.

Là où les temps se con­joignent (demain, main­tenant), le poème peut peut-être déclin­er « l’art du mur­mure » fondamental :

tu t’en remets à la parole, le silence
la ravive, qui l’oblige à repren­dre essor, présente,
elle est tou­jours présente (p.7)

La quête est de tou­jours la ressource, mais que chercher qui ne soit lui-même « approche » dans l’accomplissement ?

 Pierre DHAINAUT, à portée d’un oui, Lieux-Dits, coll. Cahiers du loup bleu, 2022, 44p., 7 euros. Loup de Car­o­line François-Rubino.

L’au­teur sait don­ner place au feu des mots, à leur « sonorité » et à ces plantes col­orées, telle la glycine, sym­bole du renou­velle­ment, des saisons, du grand âge perpétuel.

Au sein de la « terre heureuse », Dhain­aut aime recon­naître, renaître aux choses, dans l’éter­nel avril, où la lumière croît comme floraison .

La trentaine de poèmes décrivent la ten­sion entre la vig­i­lance et les mots qui puis­sent l’honor­er, sans faux pli, sans accroc.

Une musique (« orig­ine) retourne à l’en­fance, qui dès lors se réin­vente dans la cou­ture des vers, en ce « foy­er des mots », gages de « perspective ».

Le titre, au-delà de sa beauté – dire oui si beau -, ouvre « la res­pi­ra­tion de l’ensemble ».

Un très grand livre, à l’écri­t­ure souveraine.

 

Présentation de l’auteur

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Philippe Leuckx

Né à Havay en 1955. Etudes de let­tres romanes.
Mem­bre de l’As­so­ci­a­tion des Ecrivains belges.
Cri­tique dans plusieurs revues et blogs (Jour­nal des poètes, Fran­coph­o­nie vivante, Bleu d’en­cre, poez­ibao, Les Belles Phras­es, revue Tex­ture…)

Prix Emma-Mar­tin 2011.

Auteur d’une trentaine de livres et pla­que­ttes de poésie : Une ombreuse soli­tude, Comme une épaule d’om­bres, Le fraudeur de poèmes, Le fleuve et le cha­grin, Touché cœur, Une espèce de tour­ment ?, Rome rumeurs nomades, Selon le fleuve et la lumière, Un pié­ton à Barcelone, Rome à la place de ton nom, D’enfances…