Matthieu Gosz­to­la nous offre une Ren­con­tre avec Balthus, poème d’un seul ten­ant paru dans les belles et sim­ples édi­tions La Porte menées par Yves Per­rine. Le livre est de petit for­mat. Il tient dans une poche. C’est une idée for­mi­da­ble car avec cette col­lec­tion, Yves Per­rine invente le poème com­pagnon. A l’heure où l’on dit que la poésie ne se vend pas, pour quelques euros, vous voilà por­tant un poème par dev­ers vous.

Le poème de Gosz­to­la com­mence le plus sim­ple­ment du monde : il vis­ite une per­son­ne à l’hôpi­tal et apporte des brouil­lons de poèmes qu’il laisse à lire. Scène réelle ? Allé­gorie ? Qu’im­porte : dans le poème loge la guéri­son de l’homme. Or il se trou­ve que cet homme, dans cet hôpi­tal, est une femme. Le poète apporte sa robe d’en­fance à la malade, celle brodée de promess­es et d’avenir offert. Elle fai­sait danser les saisons depuis sa robe d’été. C’est ain­si que le poème de Gosz­to­la chante la femme en lui et ouvre une danse annuelle qui ressem­ble à une con­ver­sa­tion intérieure.

Le poème se pour­suit, et cette con­ver­sa­tion, faite de silence, de souf­france ren­trée, d’ab­sence, se rend atten­tive aux signes du dehors, qui sont peut-être des inter­signes du dedans.

 

Un mer­le sautille sur la pelouse
J’ai tourné la tête au bon moment
Pour enten­dre les quelques notes
De la mélodie de son geste
Mais pas toi
 

L’at­ten­tion aux gestes, la préve­nance envers l’autre grandit cha­cun dans ce duo ne for­mant plus qu’un être, un être fait d’empathie, un être fait d’amour.

 

Puis je te brosse les cheveux
En faisant très attention
Pour que tu n’aies jamais mal
Pen­dant que s’ou­vre (pour nous contenir)
Silen­cieuse­ment
Le poème

 

La patiente demande alors au poète de lui ramen­er ses livres sur Balthus et le con­cert des regards, des con­tem­pla­tions, unit ces êtres de fraternité.

Le poème fait alors affleur­er des cita­tions du pein­tre qui se con­fondent au poème, lui-même étant l’é­ma­na­tion de l’ensem­ble frater­nel qui tient alors lieu d’amour. “Je cherche à m’ap­pro­prier la part d’ombre/D’un chemin dénué de tout”.

Est-ce Balthus qui par­le ? Est-ce Gosz­to­la ? L’art lie, unit, marie.

 

Juste avant que Balthus ne meure
L’ensem­ble des êtres
Vivant dans ses tableaux vivants
S’est réu­ni à son chevet
 

Et cha­cun a posé ces mots
Sur son front brûlant
Pour atténuer la brûlure de la perte
Devenant peu à peu elle-même
Par une lente métamorphose
Du silence au silence
 

“La mort ne garde rien pour elle
 

Elle souf­fle les sourires des morts
Dans la bouche des enfants”
 

Au chevet de la patiente, il y a la pein­ture de Balthus, il y a la pen­sée du poème, il y a la leçon du pein­tre enten­due par le poète :

 

Pein­dre pour
Faire tomber la vie dans la vie
 

Mais dans la vie originelle
Qui est frémissement
D’un presque silence
Con­tenant pour­tant tout l’espace
 

Ren­con­tr­er Balthus, c’est ren­con­tr­er le corps de la pein­ture, à l’in­stant où celui de la sœur mys­tique vac­ille. A l’heure du corps présent demeur­era les preuves du pas­sage : le poème, habité de gestes naturels, geste d’amour de tout renou­velle­ment du monde.

 

 

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Gwen Garnier-Duguy

Gwen Gar­nier-Duguy pub­lie ses pre­miers poèmes en 1995 dans la revue issue du sur­réal­isme, Supérieur Incon­nu, à laque­lle il col­la­bore jusqu’en 2005.
En 2003, il par­ticipe au col­loque con­sacré au poète Patrice de La Tour du Pin au col­lège de France, y par­lant de la poé­tique de l’ab­sence au cœur de La Quête de Joie.
Fasciné par la pein­ture de Rober­to Mangú, il signe un roman sur son œuvre, “Nox”, aux édi­tions le Grand Souffle.
2011 : “Danse sur le ter­ri­toire, amorce de la parole”, édi­tions de l’At­lan­tique, pré­face de Michel Host, prix Goncourt 1986.
2014 : “Le Corps du Monde”, édi­tions Cor­levour, pré­facé par Pas­cal Boulanger.
2015 : “La nuit phoenix”, Recours au Poème édi­teurs, post­face de Jean Maison.
2018 : ” Alphabé­tique d’au­jour­d’hui” édi­tions L’Ate­lier du Grand Tétras, dans la Col­lec­tion Glyphes, avec une cou­ver­ture de Rober­to Mangù (64 pages, 12 euros).
En mai 2012, il fonde avec Matthieu Bau­mi­er le mag­a­zine en ligne Recours au poème, exclu­sive­ment con­sacré à la poésie.
Il signe la pré­face à La Pierre Amour de Xavier Bor­des, édi­tions Gal­li­mard, col­lec­tion Poésie/Gallimard, 2015.