Quel grand con­tente­ment que de pou­voir lire, en 2013, par la voix du poème, ceci :

 

Nous déam­bu­lons au milieu des vestiges
de la Rome impéri­ale, Chré­ti­enne et baroque,
dans l’at­tente du jour où nous redresserons
notre corps usé

 

Notre cul­ture, pro­fonde, à nous européens, est dans ces vers ten­dus vers l’au-delà du voy­age. Ouvrant ce livre de Jean-Pierre Lemaire, nous sommes en terre famil­ière. Il com­pose en français. Et si tout homme est à lui-même exilé en sa pro­pre nais­sance ici-bas, cet exil s’ap­puie sur des points d’an­crage per­me­t­tant à tout indi­vidu, par sa fil­i­a­tion pro­pre, de nav­iguer vers des ter­res où d’autres avant lui abor­dèrent hum­ble­ment, des ter­res soupçon­nées aux­quelles on ne croit plus.
Dans ce livre de poèmes, il y a place, toute la place, pour quelques mots désac­cordés que l’ac­cordeur de chant sait faire tin­ter de manière juste. Fidél­ité. Ange. Délivrance. Liturgique. Prier. Le chant com­mence à l’hiv­er et ses derniers chœurs font écho au print­emps. Le poète lance d’abord Un pont sur la mer, pre­mière des six par­ties qui com­posent ce livre, un pont comme un lien au-dessus de l’im­men­sité insond­able. Il abor­de aux ter­res des Derniers jours, lieu de toutes les magies poé­tiques, où les pou­voirs sur­na­turels du lan­gage per­me­t­tent à la con­science, à l’e­sprit, de gag­n­er les rives clairvoyantes.

 

Le long des rideaux descendent
des colonnes de lumière
aux chapiteaux invisibles.
Elles sup­por­t­ent la paix du jour
un dimanche matin,
la cor­niche du ciel au-dessus des yeux ;
éclairent sur la table
le tra­vail inachevé
d’un homme près de la retraite.

 

Quelle paix l’on trou­ve, en ces temps épilep­tiques et d’in­cer­ti­tudes, à lire ces vers pour aujourd’hui :

 

Jour après jour ta vie
devient un cloître
silen­cieux dans la ville.

 

Par un dia­logue peut-être secret avec la poé­tique de Jean Gros­jean, Jean-Pierre Lemaire, après ces Derniers jours place les Mys­tères lumineux et Le print­emps des hommes au cœur de son livre, comme en un ter­reau réguli­er sur lequel poussent tous les temps ordi­naires. Pourquoi Gros­jean ? Car Gros­jean, comme nul avant lui, trou­va une voie poé­tique dans le réc­it. Il fit par­ler Le Messie après sa résur­rec­tion, il évo­qua Adam et Eve, Elie, Samuel et Jean-Pierre Lemaire, comme une inspi­ra­tion héri­tière, évoque Zachée et Simon de Cyrène en des poèmes qui nous les ren­dent absol­u­ment con­tem­po­rains. Les morts ne sont jamais morts. Ils vivent dans nos rêves. Ils vivent dans nos poèmes. Et si leur présence habite cer­tains des écrits d’au­jour­d’hui, c’est qu’ils vis­i­tent par des voies incon­cev­ables les esprits vivants.

Après l’hu­mus réguli­er du print­emps des hommes vien­dra Les nou­veaux venus, et c’est avec une grâce sub­tile accordée aux êtres et aux petites choses famil­ières aux­quelles on ne prête plus atten­tion que Lemaire chante la vie ici et main­tenant, en ses détails quo­ti­di­ens sub­limés par l’œil sachant soulever le voile.

C’est un grand livre de poèmes que nous donne Jean-Pierre Lemaire, atten­tif aux prodi­ges que nous offre la vie quand bien même nous sommes cer­tains d’y con­naitre souf­france et douleur. Avec une déli­catesse portée par une con­vic­tion intérieure dis­crète, il con­jure l’e­sprit négatif de notre époque pour sug­gér­er les lignes de forces que le monde mod­erne nous demande d’a­ban­don­ner. Pour preuve ces derniers vers, se pas­sant de tout commentaire :

 

On ne sait pas le temps qu’il faut en cette vie
et dans l’autre monde où l’on devient meilleur
pour appren­dre comme eux le can­tique nouveau.
A l’é­coute des saints qui en ont connu
dès ici-bas la mesure et la clef
nous nous tairons longtemps avant de chanter.

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Gwen Garnier-Duguy

Gwen Gar­nier-Duguy pub­lie ses pre­miers poèmes en 1995 dans la revue issue du sur­réal­isme, Supérieur Incon­nu, à laque­lle il col­la­bore jusqu’en 2005.
En 2003, il par­ticipe au col­loque con­sacré au poète Patrice de La Tour du Pin au col­lège de France, y par­lant de la poé­tique de l’ab­sence au cœur de La Quête de Joie.
Fasciné par la pein­ture de Rober­to Mangú, il signe un roman sur son œuvre, “Nox”, aux édi­tions le Grand Souffle.
2011 : “Danse sur le ter­ri­toire, amorce de la parole”, édi­tions de l’At­lan­tique, pré­face de Michel Host, prix Goncourt 1986.
2014 : “Le Corps du Monde”, édi­tions Cor­levour, pré­facé par Pas­cal Boulanger.
2015 : “La nuit phoenix”, Recours au Poème édi­teurs, post­face de Jean Maison.
2018 : ” Alphabé­tique d’au­jour­d’hui” édi­tions L’Ate­lier du Grand Tétras, dans la Col­lec­tion Glyphes, avec une cou­ver­ture de Rober­to Mangù (64 pages, 12 euros).
En mai 2012, il fonde avec Matthieu Bau­mi­er le mag­a­zine en ligne Recours au poème, exclu­sive­ment con­sacré à la poésie.
Il signe la pré­face à La Pierre Amour de Xavier Bor­des, édi­tions Gal­li­mard, col­lec­tion Poésie/Gallimard, 2015.