Les édi­tions Tran­signum, dirigées par Wan­da Mihuleac, accueil­lent dans leur mag­nifique cat­a­logue les poèmes d’Eva-Maria Berg assor­tis de gravures d’Olga Verme-Mignot. Peut-on d’ailleurs par­ler de cat­a­logue tant ces édi­tions envis­agent les travaux qu’elles pub­lient comme des objets artisanaux ?

Le mariage entre les mots du poète et les gravures de l’artiste fait de cette réal­i­sa­tion une unité sémantique.

Nous préférerons non par­ler « des » poèmes d’Eva-Maria Berg mais « du » poème, chaque page éti­rant l’être-langage con­tenu entre la trame « négatif » des gravures. « Négatif », non pas en terme de valeur mais dans son accep­tion pho­tographique : les gravures sont en noir et blanc. Elles inscrivent l’être-poème dans une image non révélée. C’est là que la poésie tra­vaille, dans le lan­gage incon­scient écrit sur les inten­tions réelles des artistes. Car dans ce « non révélé » se trou­ve peut-être la révéla­tion méta­physique pro­pre à l’être-poème. Le poème, arraché au silence, serait le négatif d’une réal­ité à peine entrap­erçue que déjà échap­pée aux volon­tés de sai­sisse­ment. Quel que soit le génie des œuvres abouties, il serait le négatif d’une pho­togra­phie impos­si­ble à tir­er dans son absolu. Tel serait le pou­voir, réel, du poème con­fron­té à la réal­ité qu’il tente tou­jours d’approcher, de cir­con­scrire et de dire.

Les mots de Berg s’expriment en trois langues grâce au tal­ent de tra­duc­teur du poète Max Alhau : le français, l’espagnol et l’allemand. Ce choix de langue est un ter­ri­toire, un ter­ri­toire reposant sur une base trini­taire, exp­ri­mant tant par ce qu’il dit que par ce qu’il exclut. Nous sommes, Si loin le rivage, dans un espace européen, dans l’unité d’une mémoire qui entend nous sug­gér­er les couleurs d’une trame anci­enne dans le dra­peau mondialisé.

La poé­tique pro­pre de ce poème explore le lien sub­stantiel entre le lan­gage, la quête du rivage, c’est-à-dire le point d’arrivée de la nav­i­ga­tion, et la matière minérale fait de rocs, de roches, de rochers. Le paysage est ici men­tal, voire psy­chique, voire ontologique suiv­ant le point de vue selon lequel on abor­de la lecture :

 

 « ailleurs des voies
s’élèvent
il n’y a aucun rivage
pour aborder
dans la folie
le mot se hâte
de revenir brise
le rocher
dans sa fuite
ailleurs le rivage
se rue
et couche
des corps qui
n’échouent jamais sur la côte »

 

 

Pour la con­di­tion qui est la nôtre, baignée de mys­tère et d’interrogation, le poème con­stitue le seul moyen de nous achem­iner vers le rivage (si nous con­sid­érons que la prière appar­tient au poème, que l’imaginaire sci­en­tifique peut appartenir au poème, que l’art mar­tial poli­tique émi­nent peut incar­n­er le poème dans sa dimen­sion his­torique etc…), mais ce rivage, but ultime à notre tra­di­tion européenne, nous n’en pou­vons, comme sug­géré plus haut, qu’en pein­dre peut-être une image qui, même en couleurs, en serait le négatif.

Ce que le poème sem­ble sug­gér­er au-delà de sa séman­tique évidente :

 

 « toute­fois tu es
beau­coup trop fort
pour simplement
abandonner
même si tu heurtes
la pierre

l’eau
se teinte de rouge
le soleil
va décliner
avant que tu ne
voies plus rien »

 

 

Le rivage ne serait donc pas une terre à attein­dre, un objec­tif matériel ou physique, mais bien méta-physique, se situ­ant dans le voy­age, dans la quête, dans le poème per­me­t­tant de pass­er, ici et main­tenant, dans la dimen­sion pressentie.

Poème alchim­ique que nous livre Eva-Maria Berg et ses amis Olga Verme-Mignot et Max Alhau, emprun­tant au miroir son pou­voir de refléter les images alors en leur chemin d’inversion. Que ceux qui ont des oreilles…

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Gwen Garnier-Duguy

Gwen Gar­nier-Duguy pub­lie ses pre­miers poèmes en 1995 dans la revue issue du sur­réal­isme, Supérieur Incon­nu, à laque­lle il col­la­bore jusqu’en 2005.
En 2003, il par­ticipe au col­loque con­sacré au poète Patrice de La Tour du Pin au col­lège de France, y par­lant de la poé­tique de l’ab­sence au cœur de La Quête de Joie.
Fasciné par la pein­ture de Rober­to Mangú, il signe un roman sur son œuvre, “Nox”, aux édi­tions le Grand Souffle.
2011 : “Danse sur le ter­ri­toire, amorce de la parole”, édi­tions de l’At­lan­tique, pré­face de Michel Host, prix Goncourt 1986.
2014 : “Le Corps du Monde”, édi­tions Cor­levour, pré­facé par Pas­cal Boulanger.
2015 : “La nuit phoenix”, Recours au Poème édi­teurs, post­face de Jean Maison.
2018 : ” Alphabé­tique d’au­jour­d’hui” édi­tions L’Ate­lier du Grand Tétras, dans la Col­lec­tion Glyphes, avec une cou­ver­ture de Rober­to Mangù (64 pages, 12 euros).
En mai 2012, il fonde avec Matthieu Bau­mi­er le mag­a­zine en ligne Recours au poème, exclu­sive­ment con­sacré à la poésie.
Il signe la pré­face à La Pierre Amour de Xavier Bor­des, édi­tions Gal­li­mard, col­lec­tion Poésie/Gallimard, 2015.