Le pre­mier livre de poésie du jeune poète François-Xavier Mai­gre a paru aux édi­tions Bruno Doucey. La tes­si­ture est déjà pro­fonde, le sens du rythme promet­teur. Le livre s’ou­vre comme la Genèse. “Au commencement/l’anthologie du monde/restait à écrire”. Cette genèse, si elle fait dis­crète­ment tin­ter l’é­cho des orig­ines, se con­fond plus per­son­nelle­ment avec l’en­fance du poète. Sa poigne et son vent mari­ent tour à tour les poches rim­bal­di­ennes, crevées aux soleils de la con­science, et l’épopée élé­men­taire de Saint John Perse.

Le voy­age du poète est dédié “à tout ce qui chan­celle”. Son regard fixé sur “d’éblouis­sants con­fins” qu’un “nous” mys­térieux s’ingénie à pro­fan­er, comme autant de promess­es futures gâchées sous la rage du monde. Mais le retour amont vers les sources de l’en­fance, s’il ne se fait pas sans nos­tal­gie, n’en­tend pas aban­don­ner le plus pré­cieux des sésames, “cet instinct de lumière/qui rode en silence/dans les chenaux de ma mémoire”. Cepen­dant, le poète n’est pas dupe, il sait les dan­gers de la nos­tal­gie et n’hésit­era pas à en rompre le charme car l’ur­gence de la sit­u­a­tion com­mande “d’habiter le sur­sis”, ce sur­sis qui, plus que jamais, est notre con­di­tion humaine.

L’en­fance du poète rap­pelle ain­si l’en­fance du monde, ce temps où rien n’é­tait encore fer­mé, ce temps où les ruines ne pou­vaient être que l’ac­com­plisse­ment vieil­li des rêves de fon­da­tion. Ces ruines sont les traces, les preuves. Elles con­ti­en­nent tou­jours l’én­ergie qui les fit naitre œuvres. “Dès lors/je n’ai fait qu’éveiller/la beauté sourde des empreintes”.

Ces empreintes con­duisent en amont. Elles sont aus­si les pas errants du poète dans une ultra moder­nité comme dépe­nail­lée. Gares, villes aux néons d’un infra­monde sont le lieu où la voix du poète prend sa place pour dire d’autres pro­fondeurs. Les points d’ap­pui sont cré­pus­cules, ves­tiges, frich­es, errants défraichis pour dire un brin d’amour aux lèvres “je t’espère”.

Ce beau livre de poèmes inau­gure de dis­crète manière le voy­age intérieur du poète dans la réal­ité d’un monde cré­pus­cu­laire, la joie cap­tive au ven­tre. Conçu en trois temps, sur le rythme de la marche et celui du cœur, Mai­gre d’abord Creuse à paume nues l’e­space du dedans fait peut-être de terre, mais large­ment de vent. Ce vent qui, par delà son invis­i­bil­ité de néant, s’af­firme en tant que souf­fle, en tant qu’e­sprit libre. Au bout de cette galerie évidée le poète s’abouche avec L’en­fance des paysages voutée de la sérénité des prémices. Mais cette enfance aurait peu de sens si elle avait pour seule voca­tion le regard en arrière. Aus­si le tiers temps du vol­ume poé­tique entend-t-il se ris­quer de l’a­vant, et nos pas sans mémoire sont cer­taine­ment moins la déplo­ration du peu de trans­mis­sion entre les frères humains que la néces­sité d’in­ven­ter un autre chemin délié des défauts du passé et des attentes déçues.

Nous sommes, avec Mai­gre, dans la poigne du vent, comme au nœud tranché de l’esprit

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Gwen Garnier-Duguy

Gwen Gar­nier-Duguy pub­lie ses pre­miers poèmes en 1995 dans la revue issue du sur­réal­isme, Supérieur Incon­nu, à laque­lle il col­la­bore jusqu’en 2005.
En 2003, il par­ticipe au col­loque con­sacré au poète Patrice de La Tour du Pin au col­lège de France, y par­lant de la poé­tique de l’ab­sence au cœur de La Quête de Joie.
Fasciné par la pein­ture de Rober­to Mangú, il signe un roman sur son œuvre, “Nox”, aux édi­tions le Grand Souffle.
2011 : “Danse sur le ter­ri­toire, amorce de la parole”, édi­tions de l’At­lan­tique, pré­face de Michel Host, prix Goncourt 1986.
2014 : “Le Corps du Monde”, édi­tions Cor­levour, pré­facé par Pas­cal Boulanger.
2015 : “La nuit phoenix”, Recours au Poème édi­teurs, post­face de Jean Maison.
2018 : ” Alphabé­tique d’au­jour­d’hui” édi­tions L’Ate­lier du Grand Tétras, dans la Col­lec­tion Glyphes, avec une cou­ver­ture de Rober­to Mangù (64 pages, 12 euros).
En mai 2012, il fonde avec Matthieu Bau­mi­er le mag­a­zine en ligne Recours au poème, exclu­sive­ment con­sacré à la poésie.
Il signe la pré­face à La Pierre Amour de Xavier Bor­des, édi­tions Gal­li­mard, col­lec­tion Poésie/Gallimard, 2015.