JAMES SACRÉ

Par | 27 février 2016|Catégories : Rencontres|

Bon­jour James Sacré. À l’oc­ca­sion des 50 ans de la col­lec­tion Poésie/Gallimard, vous faites par­tie des 12 poètes français/francophones actuels que la mai­son a choisi de pub­li­er pour fêter l’événement.
Votre vol­ume con­tient 3 livres : Fig­ures qui bougent un peu, pub­lié chez Gal­li­mard en 1978, Quelque chose de mal racon­té pub­lié chez André Dimanche en 1981 et Une petite fille silen­cieuse pub­lié en 2001 égale­ment chez André Dimanche.
Quel serait le point com­mun de ces trois ensembles ?

 

Le livre d’abord retenu pour paraître dans la col­lec­tion était Fig­ures qui bougent un peu, et André Vel­ter m’a demandé de com­pléter avec d’autres titres. J’ai essayé de com­pos­er un ensem­ble cohérent. Et de fait quand j’ai écrit la pre­mière par­tie de  Quelque chose de mal racon­té j’avais l’intention d’en numérot­er les dif­férentes séquences pour mar­quer qu’elles fai­saient suite aux fig­ures du livre précé­dent (la pre­mière séquence aurait été la fig­ure 47). Puis, la com­po­si­tion du livre ayant pris autre forme j’ai aban­don­né cette idée. Mais le livre s’écrit bien dans la suite de Fig­ures qui bougent un peu, d’où le « et » entre les deux titres à la page de faux-titre. Il y a d’ailleurs égale­ment une con­tin­u­a­tion thé­ma­tique, avec les « paysages » de Nou­velle Angleterre qui se fai­saient plus présents à la fin de Fig­ures qui bougent un peu.

Une petite fille silen­cieuse est un livre un peu dif­férent, d’où le « suivi de » sur la page de faux-titre. Mais d’une part il est écrit dans les années qui suiv­ent les deux pre­miers (1980, 81…) et par ailleurs le motif de la mal­adie qui va emporter la petite fille silen­cieuse est déjà présent dans Quelque chose de mal racon­té. Et, pour sûr, sa mal­adie puis sa mort sont bien encore quelque chose de mal raconté. 

 

 

Cette petite fille silen­cieuse, ne peut-on pas la voir comme la poésie elle-même ?

J’aimerais bien penser que cette petite fille ne soit que la petite fille que j’ai con­nue (et c’était elle sans doute qui me tenait, sinon la main, la pen­sée et des sen­ti­ments quand j’ai écrit ces poèmes). Mais il faut bien me ren­dre à l’évidence qu’il ne s’agit ici que de mots, ce dont je me rendais tris­te­ment compte en écrivant. Tris­te­ment, mais je le décou­vrais égale­ment, avec plaisir aus­si, ajoutant ain­si au scan­dale qu’est la mort de n’importe qui, par­mi ceux qui restent encore un peu vivants. Je ne fai­sais qu’écrire à nou­veau quelques poèmes de plus… courant après la poésie, c’est bien prob­a­ble, autant qu’après l’enfant qui s’éloignait, mal­gré les efforts que j’ai peut-être cru faire pour l’y retenir, loin de ces poèmes dans une extéri­or­ité de plus en plus ressen­tie comme hors de portée. Et si j’ai alors pris la réal­ité dis­parue de la petite fille pour l’ombre du poème (ombre qui serait la poésie) ? On peut le penser, surtout que c’est en général ce qui se passe dès que je rassem­ble des écrits autour d’un motif vivant, dans ma tête ou pas loin de ma pro­pre vie, au bord de mes sens,  que ce soit un âne, un évêque, le renard ou n’importe quelle « fig­ure » que le monde tend à mon activ­ité de vivant : tous ces motifs sem­blent être des avatars d’un insai­siss­able poème. Bien pos­si­ble… mais qu’est-ce que tout cela dit véri­ta­ble­ment de la poésie ? Avec chaque nou­veau « motif », je ne fais que promen­er un peu plus loin un même bou­quet d’interrogations.

Mais ne puis-je pas penser cepen­dant que la petite fille ici m’a don­né ces poèmes, et qu’au moins le lecteur pour­ra porter en lui comme une trace de ce geste, qui en quelque sorte resterait ain­si vivant ? Comme reste peut-être vivant dans les poèmes ce que nous don­nent le monde, les livres, les autres et jusqu’au  moin­dre objet jeté au rebus si on s’attarde à vrai­ment le regarder. 

 

 

Vous dites, « mais qu’est-ce que tout cela dit véri­ta­ble­ment de la poésie ? ». Serait-ce là l’en­jeu absolu des poèmes, dire ce que serait la poésie ?

Je ne sais pas vrai­ment ce que je veux ou ce que je cherche quand j’essaie d’écrire ce que j’appelle un poème. Il me sem­ble que cela a à voir aus­si bien avec le monde qui m’entoure, avec moi-même (mes sen­ti­ments, mes pen­sées, mes con­vic­tions ou mes doutes, affir­més ou inter­rogés) qu’avec la langue que j’emploie… tout le monde le sait bien.

Je n’aurais pas dû employ­er la for­mule que vous citez, mais plutôt celle-ci : « qu’est-ce que cela dit du poème », car en effet je ne crois pas à une sorte de tran­scen­dance de ce que serait la poésie par rap­port à ce qu’est chaque poème. Quand on met ensem­ble des mots dans un « poème » com­ment ne pas s’interroger sur les liens que ces mots con­ser­vent (ou per­dent) avec les choses du monde, moi-même et les autres et finale­ment aus­si avec la ou les langues util­isées ? Ce qui aboutit à cette ques­tion: « qu’est-ce que je peux dire de mon poème,  qu’est-ce que le poème dit de lui-même ? », ques­tion qui va rester sans réponse, mais qui a l’avantage de me met­tre au plus près de la matière énig­ma­tique du poème ressen­ti comme objet de lan­gage, et donc métaphorique­ment (mais il s’agit plutôt de façon plus matérielle d’une prox­im­ité métonymique) du rap­port que j’entretiens avec n’importe quel autre objet du monde ; et comme je ne suis pas cri­tique lit­téraire ni philosophe, c’est en écrivant mon poème que ces ques­tions au sujet de son écri­t­ure et des éventuels pou­voirs, ou effets, de sa matéri­al­ité me viennent).

Mais rien de plus absolu dans ce désir de savoir ce qu’est mon poème que dans celui de vouloir join­dre au mieux un vieux car­reau de faïence par exem­ple, ou le plus accueil­lant sourire de quelqu’un qu’on aime.

 

 

Cette réponse appelle plusieurs ques­tions. Oserais-je les pos­er, au risque de vous lass­er ? Prenons le risque. 

D’abord : vous n’êtes ni cri­tique lit­téraire ni philosophe, dites-vous. Vous vous êtes recon­nu écrivant des poèmes. Voilà, tel que je le com­prends, votre légitim­ité. Qu’est-ce qui sin­gu­larise alors le rôle du poète dans nos sociétés, par rap­port au philosophe, au romanci­er, au cri­tique d’art, à toute autre prise de parole qu’une offi­cial­ité intel­lectuelle assiérait ?

D’abord, dire que le romanci­er ou le poète sont prob­a­ble­ment dans le même bateau de parole. Tous les deux peu­vent se pren­dre à l’occasion pour des philosophes ou des cri­tiques d’art bien sûr, ou même pour des mil­i­tants poli­tiques, ou religieux. Mais ce qui car­ac­térise plutôt leur parole c’est le fait que celle-ci est une aven­ture dans la langue qui ne sait pas vrai­ment où elle va ni ce qu’elle devient au fil du temps qui voit s’accumuler les livres, ni trop d’ailleurs ce qu’elle veut, ani­mée qu’elle est surtout par un banal (faut-il dire banal ?) désir de vivre dans les mots. Du coup la place du poète dans la société est celle de n’importe quel vivant (cer­tains la tra­verse et l’embellissent éventuelle­ment avec leur savoir-faire arti­sanal par exem­ple, ou tout autre ensem­ble de gestes qui vont touch­er ou pas les autres ; l’écrivain y avance avec des gestes d’écriture). Et sou­vent il ne s’agit pas d’une « prise » de parole, mais seule­ment d’un emporte­ment d’être parolé (par­fois d’un enlise­ment) dont on ne sait pas en général pourquoi il s’est pro­duit ni trop pourquoi il continue.

 

 

Ensuite  : vous par­lez de « la matière énig­ma­tique du poème ressen­ti comme objet de lan­gage », tout en pré­cisant, plus haut, que vous ne croyez pas à la « tran­scen­dance de ce que serait la poésie par rap­port à ce qu’est chaque poème ». Citons main­tenant un frag­ment de Fig­ure 1 : « Ce que je veux dire/c’est pas grand chose un peu l’en­nui à cause/d’un tra­vail à faire et pour aller où pourquoi/ça finit dans un poème pas trop construit ».

Ici, ne peut-on con­sid­ér­er que la final­ité du vivre, dans sa dimen­sion, dis­ons, dis­crète, ou minus­cule, ou éphémère, ou volatil, ou tout autre qual­i­fi­catif d’hu­mil­ité, appellerait le pou­voir fix­a­teur du poème le liant, de fait, à la poésie,  dans le souci de ce qu’il faudrait bien nom­mer une… tran­scen­dance, aus­si matéri­al­iste fut-elle en son énigme ?

Il se peut bien qu’à mon insu j’écrive en fonc­tion d’une tran­scen­dance rêvée ou espérée qui me con­forterait dans mon entête­ment à pour­suiv­re. Mais pas trop je crois. Ecrire ne veut rien « fix­er », le poème se trou­ve tou­jours pré­cip­ité dès qu’il paraît (comme par exem­ple paraît une plante qui lève dans le ter­reau d’une couche sous serre, et mille choses autour d’elle, aus­si bien des insectes, le temps qu’il fait ou la main du jar­dinier jouent pour le développe­ment de sa paru­tion) tou­jours pré­cip­ité donc dans la matéri­al­ité du monde. Bien sûr énig­ma­tique : la sci­ence s’échine à la com­pren­dre ; le poème (même s’il n’y pense pas trop), ne fait peut-être que la mon­tr­er, ce qui n’est pas tout à fait rien. Si c’est imag­in­er ain­si la matéri­al­ité comme une notion tran­scen­dant ce que nous expéri­men­tons du monde, je ne sais pas trop… et je veux bien, du fond de mon igno­rance, vous accorder cela. Voilà le point où il me faudrait devenir philosophe et j’en suis bien incapable.

 

 

Pour les lecteurs qui vont être amenés à vous décou­vrir, cer­tains seront sans doute sur­pris par votre écri­t­ure que l’on pour­rait qual­i­fi­er de “par­lée” et savam­ment ouvragée. On entend un écho célin­ien dans vos poèmes. Est-ce un choix de style pour ren­dre votre musique intérieure, et, si oui, pourquoi ?

Je crois qu’un style ne se choisit pas (en fonc­tion de quoi le choisir­ait-on ? sinon dans un souci d’efficacité ou de rentabil­ité qui n’est pas le mien dans un poème.) Par con­tre je veux bien croire qu’il vient aus­si, sans même qu’on y pense, à cause des lec­tures qu’on a pu faire. J’ai bien lu Voy­age au bout de la nuit, mais je ne crois pas devoir beau­coup au livre de Céline. Le « par­lé » dans mon écri­t­ure est venu plutôt d’un sen­ti­ment (après beau­coup d’admiration pour le beau français de l’école) que la poésie « écrite » met­tait à l’écart  le par­ler ordi­naire comme le beau français écarte de son champ tout ce qu’il qual­i­fie par exem­ple de patoisant (où alors réduisant ce  patois à un rôle de mar­queur psy­chologique comme fait Zola avec ses per­son­nages paysans dans La Terre). J’ai eu envie de plus en plus d’une langue où ces hiérar­chies n’auraient plus court. Et il y a eu la lec­ture de Rabelais, celle des poèmes de Laforgue qu’un pro­fesseur me con­seil­lait de lire, et Prévert, Que­neau. Je n’ai rien inven­té. Cepen­dant il ne s’agit pas pour moi de repro­duire du « par­lé » (com­ment pour­rait-on d’ailleurs repro­duire vrai­ment du « par­lé » en écrivant ? Ce serait assez illis­i­ble : il y man­querait for­cé­ment les gestes, l’intonation, les inflex­ions de la voix et aus­si le con­texte, le vis­age et les réac­tions de la per­son­ne à qui on par­le). Non, je ne fais que me servir par­fois de la gram­maire du « par­lé », de son vocab­u­laire à l’occasion par­ti­c­uli­er, de quelques façons de sa prosodie, et somme toute j’invente plutôt un « par­lé » autant que j’invente (peut-être) un « écrit »… en mêlant d’ailleurs, sans plus y penser, les deux selon la force ryth­mique et le phrasé que sem­ble appel­er le poème.

Patois mal par­lé à la ferme natale, beau français jamais si bien maîtrisé, lec­tures, langues étrangères jamais bien acquis­es, voilà des sources pos­si­bles de mon style qui n’est pas là à cause d’un choix, ni pour répon­dre à des « pourquoi ». Le style est tout ce qui fait que l’écriture prend forme (ou fonds, c’est la même chose) et qu’un livre de poèmes est là devant le lecteur, nou­v­el objet du monde, à regarder, à penser ou à rêver, ou à nég­liger sinon à mépris­er (comme il arrive ; et il m’est arrivé aus­si d’être mécon­tent de cet objet-style qui me venait aux bouts des doigts). 

 

 

Vous par­lez du patois de la ferme natale. Antoine Emaz, dans la belle pré­face qui intro­duit à votre livre, écrit : « La ques­tion paysanne est vive parce que directe­ment liée à l’his­toire per­son­nelle du poète : on sent  poindre son énerve­ment, pour­tant peu fréquent, lorsqu’on le cri­tique pour son “fonds paysan réac” ». Est-ce vrai­ment de l’énervement ?

À des moments de ma vie oui, ce fut de l’énervement.  Moqueries, con­de­scen­dance, etc. En fait rien de plus insup­port­able que ces dis­cours, ou paroles de la vie quo­ti­di­enne aux­quelles on ne prête même plus atten­tion, qui , en les réduisant à quelques  for­mules ou par­fois un seul mot dépré­ci­atif, jugent en général­isant n’importe quel « groupe » de gens : « péquenot », « youtre », « tan­touse » ou « bicot », etc..  Alors qu’à l’inverse  l’effort de com­pren­dre un peu ce qu’est peut-être le monde paysan par exem­ple, sa cul­ture, des façons de vivre, comme le fait superbe­ment quelqu’un comme John Berg­er  aboutit à tout autre chose  … car alors plus on pousse sa recherche plus cette cul­ture appa­raît com­plexe, riche et diver­si­fiée. Il en va de même pour  la cul­ture de n’importe quel ensem­ble d’individus présen­tant à pre­mière vue quelques car­ac­tères com­muns.  Je dis groupe d’individus et non pas com­mu­nauté, car la notion de com­mu­nauté se con­stru­it au con­traire en réduisant  une cul­ture com­plexe à quelques traits  tou­jours à la fin car­i­cat­u­raux. Réduc­tion au lieu d’un appro­fondisse­ment, au lieu de décou­vrir l’infini cha­toiement d’un univers de sens et de sen­si­bil­ités qui met­trait en fait à mal les « réduc­tions » que tout  com­mu­nau­tarisme tente d’installer.

 Ain­si les paysans (il en reste bien peu en France de ces petits paysans de vil­lage ou de fer­mes per­dues seules dans la cam­pagne) n’ont-ils jamais été, selon le « com­mu­nau­tarisme citadin français » de vrais Français, mais plutôt comme le dis­ait Balzac des sortes d’êtres frustes  mal domestiqués.

Est-ce que mon « énerve­ment » paraît assez der­rière ces quelques propos ?!

Et, je l’espère, dans mes poèmes, autour du mot paysan s’ouvre un énig­ma­tique et inépuis­able espace de vivre où se devi­nent autant de mer­veilles que de mis­érables bêtis­es ; et en par­ti­c­uli­er des gestes et des façons de voir le monde qui ont nour­rit mon écriture. 

 

 

Ces réal­ités asso­ciées au mot paysan ne seraient-elles pas iden­ti­fi­ables égale­ment au mot poète ? “La main à plume vaut la main à char­rue”, dis­ait un ancêtre : ne voyons-nous pas cette équiv­a­lence frap­pée de réduc­tion pour paysans et poètes, voire d’un mépris pro­pre à nos temps productivistes ?

Labour­er et écrire des poèmes ce n’est sans doute pas la même chose (mal­gré les retours en bout de ligne ou de sil­lon, mais avec l’écriture on retourne repren­dre à la même marge, tan­dis qu’on con­tin­ue de labour­er en y revenant avec la char­rue). Les métaphores sont tou­jours des façons de dire très approx­i­ma­tives et sou­vent aus­si menteuses que véri­ta­ble­ment éclairantes.

Mais j’aime bien penser que mon passé paysan m’a peut-être aidé à mieux com­pren­dre ce que je fais en écrivant des poèmes : il s’agit d’une activ­ité où s’oublie par exem­ple la notion de rentabil­ité. Le labour du  paysan de naguère était surtout un tra­vail pour assur­er (mais sou­vent on n’y pen­sait même pas) la con­tin­u­a­tion de la vie à la ferme. Il n’y avait pas de durée mesurée de la journée de tra­vail. Et tra­vailler c’était d’ailleurs vivre, voir le soir venir, enten­dre les oiseaux se rassem­bler dans les buis­sons à telle heure du jour, par­ler avec les bœufs, se baiss­er pour ramass­er dans la « rèze » une ammonite ou un très ancien silex, juger de l’état de l’instrument dont on se ser­vait, penser à l’état de la terre que le soc tran­chait, aux bruits divers que cela fai­sait, etc. Il y avait là toute une activ­ité de vie (pas for­cé­ment tou­jours facile non plus) qui, en marge du souci de rentabil­ité, ne pou­vait con­venir en effet à nos temps pro­duc­tivistes (d’où la dis­pari­tion à peu près com­plète main­tenant des petits paysans). Ecrire des livres de poèmes c’est  de même vivre les mots sans trop se souci­er de ce qu’ils pour­ront bien vous rap­porter, ni compter son temps pour les met­tre en forme de poèmes. Et en France bien plus que n’importe où ailleurs, cette activ­ité s’inscrit mal dans les cir­cuits marchands de l’industrie du livre et de la lit­téra­ture. Bon, je ne voudrais pas trop val­oris­er ici ni le tra­vail du paysan ni l’activité du poète. L’un et l’autre peu­vent être aus­si de grands hyp­ocrites qui cachent un jeu intéressé et non dénué de mesquiner­ie.  Oui, on peut com­pren­dre que  Rim­baud avec sa for­mule se moque autant du poète que du paysan. Et se moque-t-il alors de lui-même lorsqu’il ajoute plus loin qu’il est « ren­du » à « la réal­ité rugueuse » ? Mais on peut com­pren­dre aus­si bien que quelque chose de plus « vrai » est là dans cette « réal­ité rugueuse à  étrein­dre », matérielle et qui per­dure dans nos temps pro­duc­tivistes. Car être paysan ce n’était pas vrai­ment un « méti­er » mais plutôt un ensem­ble de gestes vivants.  Ecrire des poèmes ce n’est pas non plus, à mon sens, exercer un « métier ».

 

Quelles raisons pour­raient expli­quer cette sin­gu­lar­ité pro­pre à la France que vous évoquez ?

Bien dif­fi­cile de répon­dre à cette ques­tion. Avant même d’essayer je voudrais quand même dire que cer­taines grandes revues dont les pages ne sont pas réservées à la seule poésie (je pense à Europe par exem­ple), ou cer­tains jour­naux non spé­cial­isés en ce domaine (comme Le Matricule des Anges), font quand même une belle place aux livres de poèmes. Les « grands » édi­teurs de parole écrite lui font aus­si une cer­taine place, mais elle est quand même tou­jours mesurée par rap­port à celle réservée aux autres gen­res littéraires.

Ce sont donc surtout  les revues spé­cial­isées (papi­er ou numérique) et  des édi­teurs  qual­i­fiés dédaigneuse­ment de « petits édi­teurs » (à l’occasion même jugés encom­brants dans le paysage lit­téraire), et une mul­ti­tude de ren­con­tres, de marchés, et d’échanges très bête­ment ignorés (c’est le moins que l’on puisse dire) par la grande presse et les médias, qui assurent la très vivante vie des poèmes en France.

Pourquoi cela … il faut chercher du côté de l’enseignement peut-être,  s’interroger sur le manque de curiosité des jour­nal­istes, sur leur igno­rance, leurs rou­tines con­fort­a­bles, leur rap­port à la machine com­mer­ciale… la facil­ité avec laque­lle ils invo­quent l’hermétisme par exem­ple des poètes, ou à l’inverse leur trop banale parole naïve, sans jamais s’interroger sur leur inca­pac­ité à se saisir de cet immense ensem­ble de livres de poèmes qui les entourent et qu’ils ne voient (ou ne veu­lent voir) ni n’entendent.

 Mais il ne faut pas trop s’inquiéter de cela : les poèmes con­tin­u­ent d’être, depuis tou­jours, des gestes humains qui ne se font pas à pri­ori dans un con­texte de rentabil­ité finan­cière ni même intel­lectuelle. Et nous n’en voulons même pas à cette machine qui nous ignore le plus sou­vent : nous lisons quand même ses jour­naux et écou­tons ses autres médias ;  et même leur igno­rance pré­ten­tieuse ne manque pas sou­vent d’être amu­sante (un peu triste aus­si, c’est vrai). 

 

Ren­trons main­tenant, si vous le per­me­t­tez, dans le corps de vos poèmes. Avec d’abord Fig­ure 2 :

 

Aujour­d’hui l’au­tomne un cheval un pré qui brille
on sait pas trop où dans le temps soli­tude oubliée
le silence de quelques fleurs la forme de la mai­son des feuillages
c’est comme le vol­ume du mot bon­heur pourtant
ce qui bouge un peu à cause de la lumière et du vent
fig­ure autant la présence que l’in­dif­férence proche.

 

Ce qui me frappe en pre­mier lieu dans ce poème, presque cachée, comme l’air de rien, c’est l’évo­ca­tion du temps. Presque cachée car tout est écrit sans majus­cule ni ponc­tu­a­tion. Pour­tant, on ne peut pass­er à côté : on sait pas trop où dans le temps. La notion, d’une cer­taine façon, explose au cen­tre du poème, comme si elle n’avait rien à faire là mais se trou­ve juste­ment, pré­cisé­ment là, comme pour éveiller l’attention.

De quel temps s’ag­it-il, ici, James Sacré ?

Ce cheval qui brille, il est à la fois dans le sou­venir (un pré en Vendée au bord de la ferme famil­iale) et dans le présent du poème (il y avait des chevaux der­rière le buis­son de lilas qui fer­mait la pelouse d’une pre­mière mai­son où je vivais en Nou­velle Angleterre. Et le poème aus­si est dans le présent, se nour­ris­sant de mots que lui don­nent des sou­venirs autant que ce qu’il a sous les yeux, pour s’en aller de l’avant dans son devenir de poème, dans son futur. Je crois que c’est ain­si que bouge et dis­paraît le temps dans l’écriture, comme dans la vie, pour être un insai­siss­able présent nour­ri de passé dis­paru pour un futur qui ne sera jamais, à mesure qu’on le rejoint, ce même insai­siss­able présent. Jeu de présences évanouies (et pour­tant on se sou­vient que quelque chose a été vécu) et de pos­si­ble absence croit-on, comme si quelque chose pou­vait sur­venir, alors qu’il ne s’agit sans doute que de l’énorme indif­férence du monde à notre tour­ment de vouloir domin­er le temps, ou de s’en saisir un peu.

Quant au manque de majus­cule en début de vers, il s’agissait alors de désacralis­er (je n’innovais pas bien sûr en faisant cela) le vers tra­di­tion­nel… et je vois que je gar­dais quand même la majus­cule pour le pre­mier vers. Plus tard, j’ai pen­sé que cet arti­fice ne dis­ait pas si grand-chose et surtout j’ai trou­vé que de garder les majus­cules de début de vers ser­vait utile­ment, avec le pas­sage à la ligne en fin de vers, à bien cadr­er et délim­iter celui-ci (ce qui m’importait pour claire­ment matéri­alis­er des mesures de rythme).

Et une remar­que  à pro­pos de  la ponc­tu­a­tion : elle  n’est pas absol­u­ment absente, mais elle se soucie sou­vent plus de jouer sur le rythme  que de soulign­er la con­struc­tion des phras­es (ce qui cepen­dant  arrive aus­si). La ponc­tu­a­tion est un autre très mal­léable matéri­au de la langue.

 

 

Ce qui, ensuite, retient mon intérêt, c’est l’u­til­i­sa­tion du mot fig­ure, non pas dans le sens que l’on entend lorsqu’on lit le titre de votre ouvrage “Fig­ures qui bougent un peu”, mais dans le sens d’une représen­ta­tion. Philippe Jac­cot­tet, en 1970, fait paraitre Paysages avec fig­ures absentes. Huit ans plus tard paraît votre livre. Avez-vous choisi de dia­loguer, par poèmes inter­posés, avec Philippe Jac­cot­tet en affir­mant la présence non pas par l’ab­sence, mais par le mouvement ?

J’ai beau­coup moins lu Jac­cot­tet, dans ces années- là que Bon­nefoy et Ponge par exem­ple. Mais je me sou­viens très bien que j’avais beau­coup aimé ce titre. Je ne sais plus si j’avais alors lu le livre, ou si je l’ai lu depuis, et relus, avec grand plaisir,  hier, à cause de votre ques­tion. Paysage avec fig­ures absentes est un livre com­plexe… on ne sait pas à coup sûr si l’absence de quelque chose (beauté, et autres ter­mes qu’emploie l’auteur) est dans le paysage comme le dit le titre du livre, ou dans les mots du poème comme le laisse enten­dre cer­tains pas­sages. Il faudrait con­duire une étude appro­fondie et détail­lée du livre pour essay­er d’en décider. Et en tout cas c’est un livre bien trop riche, bien trop ancré dans beau­coup de lec­tures et de con­nais­sances de son auteur pour que je puisse pré­ten­dre dia­loguer avec ce qu’il dit, ou ce qu’il est.

Pour moi rien n’est absent dans un paysage. C’est essen­tielle­ment dans le poème que je ressens l’absence par exem­ple du paysage (de sa matéri­al­ité si présente quand je suis dedans, ou devant) qui éventuelle­ment m’a con­duit en par­tie à écrire ce poème. Ce qui n’empêche pas que je puisse aus­si me trou­ver soudain très en présence du poème (à son tour chose du monde) quand je l’écris, ou le lis s’il s’agit d’un poème de quelqu’un d’autre. Et certes c’est peut-être alors, dans le paysage ou dans le poème, éprou­ver quelque chose comme de la beauté, ou de ….. mais il me sem­ble qu’il s’agit là sim­ple­ment d’un effet dû à ce que l’objet me donne et que cela vient combler ce que je suis par ma cul­ture, mes habi­tudes de vie et de pen­sée, les formes de sen­si­bil­ité qui se sont instal­lées en moi depuis l’enfance et à tra­vers tout ce que j’ai pu ren­con­tr­er en vivant. En somme comme, soudaine­ment par­fois, je peux me sen­tir emporté par le vivant d’un visage …

Les « fig­ures qui bougent un peu » sont à la fois celles que je crois voir ou lire dans le monde, et aus­si celles (de rhé­torique, dis­ons d’écriture) qui font la matière du poème. Dans les unes comme dans les autres, et dans l’éventuel  rap­port des unes aux autres, certes, tout bouge… et c’est autant plaisir que dés­espérance de ne pas pou­voir se saisir, ni en vivant, ni en écrivant (c’est sans doute la même chose) de quelque chose d’un peu sûr.

 

Dans Fig­ure 5, il y a le final du poème : 

 

C’est presque tout ce que j’en pour­rai dire sinon
je fini­rai par croire qu’on est bien dans la guerre
qu’on y attend là-bas pour lire mes poèmes ça sent le marché noir                              
espèce de piège à cons t’y laisse pas pren­dre lecteur com­prends bien
que je vais pas par­tir c’est telle­ment loin le Chili
telle­ment plus loin qu’un poème.

 

Que peut la poésie face à la guerre, à la vio­lence, face au mal ?

Sans doute que la poésie ne peut pas grand-chose face à la guerre, face à la vio­lence. Elle ne fait en somme qu’accompagner par­fois, soit la guerre (on peut penser à des chan­sons de geste et autres chants guer­ri­ers) soit la résis­tance à la guerre… ce qui est sem­ble-t-il moins courant, sauf à con­sid­ér­er que son indif­férence sou­vent au mal­heur du monde est une façon de s’y oppos­er. Tout comme, dis­ons, un arti­san œuvre à la con­tin­u­a­tion de la beauté  et de la paix du monde en con­tin­u­ant imper­turbable­ment, sans se souci­er de ce qui se passe autour de lui, son arti­sanat en tâchant sim­ple­ment de le faire au mieux. 

Ma « Fig­ure 5 » n’allait rien chang­er au cours des choses. Même en pen­sant au mal­heur du monde elle restait dans son con­fort de poème con­tent d’être pris dans une struc­ture de livre en quête de lecteurs. Il me sem­ble qu’un poème ne peut être une sorte d’arme que lorsque la parole du poète est elle-même prise et dite dans la réal­ité d’un com­bat. Et en suis-je seule­ment sûr ? Des poèmes d’amour ou sim­ple­ment de pas­sion pour la langue n’ont-ils pas soutenu par­fois  effi­cace­ment le moral de per­son­nes vic­times de la guerre ou du mal ? Et je ne voudrais pas ici laiss­er enten­dre qu’un poème est for­cé­ment du côté du bien et de la paix (on sait que ces notions ne sont jamais vrai­ment dépris­es de la vio­lence). Faut-il qu’un poème pense à tout cela pour être un « bon » poème ? Je me perds pour sûr dans ma ten­ta­tive de me dépêtr­er de ces com­pli­ca­tions. Je finis par me dire par­fois qu’un poème pour­rait sim­ple­ment s’écrire comme un beau fruit vient à des arbres du verg­er… Mais cet arti­sanat de jar­dinier n’empêche pas que  les crim­inels et les dic­ta­teurs puis­sent se saisir des meilleures pommes et des plus belles oranges comme tout un cha­cun, et aus­si s’approprier la prosodie et le phrasé de poèmes qui clam­eraient leur dégoût du mal. Un poème ne peut prob­a­ble­ment rien con­tre rien : il se donne et celui qui le reçoit en fait ce qu’il veut, comme il fait ce qu’il veut de tout ce que le monde lui donne. Au mieux pour­rait-on penser que le poème le révèle ain­si à lui-même ; ce qui est loin d’être cer­tain évidemment.

Bon, ceci étant dit, n’empêche, le poème peut se saisir de la vio­lence autour de lui comme de n’importe quel objet du monde, et aigu­is­er ses mots à tous les sen­ti­ments et pen­sées qui peu­vent lui venir alors, même si cela restera vain sans doute quant au devenir de cette vio­lence, même s’il est tou­jours dif­fi­cile de juger la vio­lence des autres qui nous ren­voie si forte­ment à la nôtre qu’on voudrait le plus sou­vent ne pas recon­naître. Son cul tou­jours posé entre deux ou plusieurs chais­es, le poème ne se retrou­ve jamais vrai­ment assis de façon heureuse.

 

 

Une ques­tion plus générale, sur un autre ensem­ble qu’of­fre à lire ce vol­ume : Quelque chose de mal racon­té. La poésie raconte-t-elle ? 

Dès qu’on met deux mots ensem­ble il y a com­mence­ment de réc­it, et même, je l’ai déjà dit ailleurs, tout mot est rem­pli de réc­its avec la tur­bu­lence des sèmes qui en font de vraies halles bien bruyantes et remuantes. Et par ailleurs, la pos­si­bil­ité de « racon­ter »  est bien inscrite dans le génome de la langue, alors je ne vois pas pourquoi le poème s’en priverait. Le poème, à mon sens, se pas­sionne pour pétrir en ses formes tous les matéri­aux de la langue. Et, pour m’insurger ici con­tre cer­tains inter­dits, aus­si bien les plus niais sen­ti­men­tal­ismes (je veux dire les formes rhé­toriques de ce sen­ti­men­tal­isme) que les bavardages des plus com­muns reportages. Je n’ai nulle­ment envie ou de croire choisir les mots les plus nobles de la « tribu » pour écrire. Mais pas envie non plus à l’inverse de val­oris­er ce qui leur serait con­traire. Donc le réc­it, oui : il peut emporter le lecteur, le bous­culer ou le dor­lot­er à l’occasion. Mais il peut aus­si mal racon­ter et en prévenir ce même lecteur. Mal racon­ter parce que certes ce n’est pas facile de bien racon­ter, mais parce que mal racon­ter cela peut aus­si sur­pren­dre et même mieux dire. 

 

Le 9ème poème de cet ensem­ble com­mence ainsi :

 

À des moments c’est comme si plus rien à écrire
et quand même une sorte d’ob­sti­na­tion qu’on a
pour arranger ensem­ble des mesures de mots parolés
prévient que c’est pas fini malgré
que pour­tant ça vaudrait peut-être mieux
d’en rester là, mal con­tent sans doute mais
qu’est-ce qu’on pour­ra faire d’autre ?
le rythme les mots fam­i­liers repris
ça fait que porter la même ques­tion plus loin ;
ou alors, dans cet à peine déplace­ment du poème,
quoi d’autre qui importe ?

 

 

Antoine Emaz, dans sa pré­face, pré­cise que « bonne ou rude, la vie donne tou­jours de quoi écrire, sans cesse, et c’est heureux ainsi » . 

Com­ment abor­dez-vous pra­tique­ment, tech­nique­ment, la com­po­si­tion d’un poème car, si ce Poésie/Gallimard con­tient 3 recueils, vous avez pour­tant pub­lié de nom­breux livres tout au long de votre vie, la poésie vous étant une com­pagne fidèle et, sem­ble-t-il, une inspi­ra­tion ininterrompue ?

Oui, je suis bien d’accord avec Antoine pour affirmer que la vie est un inépuis­able encrier. Ses arbres, ses acci­dents, ses mots, toutes ses choses, son encre sont une infinie quan­tité d’objets qui peu­vent don­ner matière à l’écriture. Tout cela m’a été pro­posé d’emblée  et c’est fontaine de vie (pas for­cé­ment de jou­vence) intariss­able, sinon peut-être à l’heure de la mort (et on n’en saura donc rien en tant que vivant). Il y a sans doute mille bonnes et mau­vais­es façons de répon­dre à l’énormité de cette riv­ière dans laque­lle nous finis­sons par nous noy­er. Je me suis mis à écrire des poèmes, un peu comme d’autres choi­sis­sent (savent-ils vrai­ment pourquoi ?) de jouer au foot­ball plutôt qu’au bas­ket, d’aller à la pêche plutôt qu’à la chas­se, ou de se met­tre à la musique « clas­sique » plutôt qu’au jazz. Par­fois, mais c’est tout aus­si aléa­toire, on arrête cette activ­ité qui s’était emparée de nous sans qu’on y ait le plus sou­vent pen­sé (on ne fait en général que la rem­plac­er par une autre  qui s’empare pareille­ment de nous à notre insu aus­si, même, je crois, il suf­fit d’y réfléchir un peu, quand on pré­tend le con­traire) : c’est ce qu’on appelle vivre. Déplace­ment, à peine,  des gestes habituels, même ques­tion posée autrement, obsti­na­tion qu’on n’a même pas besoin de penser pour qu’elle per­siste et jusqu’au dernier rado­tage par­fois d’un organ­isme mal vieil­lis­sant. Je ne sais pas si, comme le dit Antoine, cela est vrai­ment (ou tou­jours) heureux… j’ai le sen­ti­ment que oui, en tous les cas  on ne peut pas faire autrement tant qu’on n’est pas mort. 

 

 

Ter­mi­nons cet entre­tien, cher James Sacré, par une ques­tion sur le dernier recueil de cet ensem­ble, Une petite fille silen­cieuse : cette petite fille est à l’hôpi­tal et va s’en aller. Au long de cet ensem­ble, vous y asso­ciez la suc­ces­sion des saisons, de la nature, de la beauté des paysages par des poèmes sub­limes. Une cer­taine manière de sérénité. Est-ce un con­tre­point sup­port­able à la mort, ou la métaphore traduisant la per­cep­tion d’une éternité ?

Il est bien dif­fi­cile de répon­dre à cette dernière ques­tion. La petite fille s’en allait, était par­tie : le paysage qu’elle avait con­nu, les quelques fleurs, le temps des saisons étaient tou­jours là (et mes sou­venirs de beau­coup de moments passés avec elle). Com­ment tenir ensem­ble le vivant et ce qui avait fraîche­ment  creusé à nou­veau le sans fond du  mot « mort » ? La petite fille me don­nait des mots et même me don­nait peut-être aus­si le plaisir qui me venait à les écrire (et qui rendait encore plus scan­daleux  ces poèmes que je pen­sais écrire pour elle, alors que c’était sans doute d’abord pour moi que je les écrivais). Oui,  le paysage ou les sou­venirs ont peut-être alors bril­lé plus fort, non pas pour faire signe à de l’éternité, mais pour que ces mots don­nés (venu d’un vis­age et de gestes qui furent si vivants) soient un peu d’elle dans ce temps qu’elle ignor­erait. Dans un peu plus de temps ; et pas dans l’éternité bien évidem­ment. Un poème mal­gré l’intensité de vie qu’on peut ressen­tir à l’écrire, on sait bien qu’il va mourir, même si par­fois dans des siè­cles. Et c’est peut-être dans ce savoir (sans même y penser) que je me rap­prochais de la petite fille.

Les ver­dures et les fleurs n’étaient pas un con­tre­point à la mort… elles dis­aient plutôt, tout en con­tin­u­ant d’affirmer du vivant, de façon  plus dés­espérante encore, cette mort « qui donne la main », qui se dit peut-être dans chaque mot qu’on écrit lorsque ce mot se heurte à la vaine girou­ette « présence/absence » dès qu’il croit touch­er à quelque chose du monde. 

 

 

Mer­ci James Sacré

 

 

 

 

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Gwen Garnier-Duguy

Gwen Gar­nier-Duguy pub­lie ses pre­miers poèmes en 1995 dans la revue issue du sur­réal­isme, Supérieur Incon­nu, à laque­lle il col­la­bore jusqu’en 2005.
En 2003, il par­ticipe au col­loque con­sacré au poète Patrice de La Tour du Pin au col­lège de France, y par­lant de la poé­tique de l’ab­sence au cœur de La Quête de Joie.
Fasciné par la pein­ture de Rober­to Mangú, il signe un roman sur son œuvre, “Nox”, aux édi­tions le Grand Souffle.
2011 : “Danse sur le ter­ri­toire, amorce de la parole”, édi­tions de l’At­lan­tique, pré­face de Michel Host, prix Goncourt 1986.
2014 : “Le Corps du Monde”, édi­tions Cor­levour, pré­facé par Pas­cal Boulanger.
2015 : “La nuit phoenix”, Recours au Poème édi­teurs, post­face de Jean Maison.
2018 : ” Alphabé­tique d’au­jour­d’hui” édi­tions L’Ate­lier du Grand Tétras, dans la Col­lec­tion Glyphes, avec une cou­ver­ture de Rober­to Mangù (64 pages, 12 euros).
En mai 2012, il fonde avec Matthieu Bau­mi­er le mag­a­zine en ligne Recours au poème, exclu­sive­ment con­sacré à la poésie.
Il signe la pré­face à La Pierre Amour de Xavier Bor­des, édi­tions Gal­li­mard, col­lec­tion Poésie/Gallimard, 2015.

James Sacré

Par | 13 septembre 2015|Catégories : Blog|

Né en Vendée, en 1939, à la ferme parentale (vil­lage de Cougou), il part vivre aux Etats-Unis en 1965 où il enseigne dans une uni­ver­sité du Mass­a­chu­setts (Smith Col­lege) jusqu’en 2000  (d’où  Amer­i­ca soli­tudes, André Dimanche édi­teur, 2010) . Il vit à nou­veau en France, à Mont­pel­li­er. Il a pub­lié récem­ment Par­ler avec le poème, La Bacon­nière, 2013 ; Donne-moi ton enfance, 2014, édi­tions Tara­buste; Ne sont-elles qu’images muettes et regards qu’on ne com­prend pas,  Aen­crages & Co, 2014 ; Dans l’œil de l’oubli, Obsid­i­ane, 2015 et Un désir d’arbres dans les mots, Fario 2015. On peut con­sul­ter James Sacré, par Alex­is Pel­leti­er, édi­tions des Van­neaux, « Présence de la poésie », 2015.

Pho­togra­phie : Michel Durigneux

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