Maram al-Mas­ri, poète d’o­rig­ine syri­enne vivant en France depuis plus de 30 ans, après avoir dirigé une antholo­gie des femmes poètes du monde arabe en 2012 au Temps des Ceris­es édi­teur, pro­longe son pré­cieux tra­vail en faisant éclore, chez le même édi­teur, une antholo­gie de la poésie syri­enne d’au­jour­d’hui : L’amour au temps de l’in­sur­rec­tion et de la guerre.

Ce pro­jet s’est imposé à Maram al-Mas­ri au regard de la sit­u­a­tion poli­tique trag­ique que con­nait son pays natal depuis 2011. Face aux images et aux infor­ma­tions en prove­nance de Syrie, al-Mas­ri a livré l’an passé un ensem­ble de courts poèmes : Elle va nue la lib­erté. Aujour­d’hui, elle fait enten­dre la voix des poètes vivant au cœur de l’hor­reur et de la tragédie syri­enne, ceux restés sur place et se bat­tant, avec leur cœur, avec leur mots, avec l’amour pour sup­port­er l’in­viv­able situation.

Comme le dit très juste­ment Jean-Pierre Siméon dans la pré­face de cette antholo­gie, nous autres occi­den­taux, “engoncés dans la tran­quil­lité molle et morose du jour le jour” trou­verons béné­fice à tenir ce livre dans nos mains, à en lire les poèmes pour qu’une manière de fra­ter­nité entre l’Ori­ent et l’Oc­ci­dent s’établisse.

En choi­sis­sant les poètes présents dans cette antholo­gie, en traduisant leurs poèmes en français, Maram al-Mas­ri peut se com­par­er à la déesse égyp­ti­enne Nout, celle qui fai­sait de son corps un pont où s’ap­puyaient les étoiles. 78 poètes sont ici réu­nis. al-Mas­ri a jugé bon d’en­tamer ce livre par la présence de poètes syriens morts, ayant chan­té l’amour et la résis­tance dans leur pays tra­ver­sé de douleurs : signe de respect pour les vis­ages anciens, par qui se per­pétue la mémoire et la parole. Puis vien­nent les poètes vivants.

Un poète par­le à Homs, sa ville natale, comme à une amie. Homs vue comme la cité enceinte de la vic­toire et de l’avenir.
Un poète s’ha­bille des vête­ments d’un poète se dévê­tant à mesure qu’il dit en pub­lic un poème, et dis­paraît pour n’être plus que poème.
Un poète chante la parole d’un citoyen “lib­erté pour l’é­ter­nité / mal­gré toi Assad”, et se fait égorg­er. Même Dieu, ici, appelle au sec­ours, et les fil­lettes nom­ment “une balle” leurs poupées.
Un poète prédit l’avenir.
Un poète déjoue les snipers.
Un poète refuse de faire de la lit­téra­ture car il veut que son chant fasse pass­er la vie, à Damas.
Un poète fait un tombeau de mots pour ensevelir son ami décédé.
Un poète pose une ques­tion : “Mais y a‑t-il plus désir­able que de se frag­menter en rimes ?”
Un poète veut être enter­ré avec un ami mort, pour le ras­sur­er dans le noir du tombeau.
Un poète dit : “Car c’est de l’amour dont nous avons besoin.”

Ces poètes se nom­ment qui Hus­sein Habash, qui Has­san Ezzat, Noor Dkr­ly, ou Faraj Bayrak­dar, Fad­di Azzam, Aya El Attasi, Gha­da Al Saman, Dara Abdallah…
Ils for­ment la voix d’un peu­ple frap­pé, tor­turé, mar­tyrisé, tué, une voix de résis­tance au tra­vers de laque­lle inten­sé­ment bat l’amour, pour que l’amour, comme le dit Maram al-Mas­ri, n’ou­blie pas.

 

 

Porte

 

Je cherche une porte
N’im­porte quelle porte
Pour frap­per sa poignée
Ma soeur (Amde) me l’ouvrira
Je la prendrai dans mes bras
Puis je jet­terai ma vieille valise
Celle avec laque­lle je suis parti
Je cours der­rière mon enfance perdue
Dans les ruelles de Karsour
Comme un sol­dat syrien
Per­du dans son pays
Cher­chant des ennemis.
Quand il ne trou­ve rien
Il tire sur les portes
D’où l’odeur des absents se propage
Puis il tombe par terre.

 

Mar­wan Ali
(né à Qamish­li, en 1968)

 

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Gwen Garnier-Duguy

Gwen Gar­nier-Duguy pub­lie ses pre­miers poèmes en 1995 dans la revue issue du sur­réal­isme, Supérieur Incon­nu, à laque­lle il col­la­bore jusqu’en 2005.
En 2003, il par­ticipe au col­loque con­sacré au poète Patrice de La Tour du Pin au col­lège de France, y par­lant de la poé­tique de l’ab­sence au cœur de La Quête de Joie.
Fasciné par la pein­ture de Rober­to Mangú, il signe un roman sur son œuvre, “Nox”, aux édi­tions le Grand Souffle.
2011 : “Danse sur le ter­ri­toire, amorce de la parole”, édi­tions de l’At­lan­tique, pré­face de Michel Host, prix Goncourt 1986.
2014 : “Le Corps du Monde”, édi­tions Cor­levour, pré­facé par Pas­cal Boulanger.
2015 : “La nuit phoenix”, Recours au Poème édi­teurs, post­face de Jean Maison.
2018 : ” Alphabé­tique d’au­jour­d’hui” édi­tions L’Ate­lier du Grand Tétras, dans la Col­lec­tion Glyphes, avec une cou­ver­ture de Rober­to Mangù (64 pages, 12 euros).
En mai 2012, il fonde avec Matthieu Bau­mi­er le mag­a­zine en ligne Recours au poème, exclu­sive­ment con­sacré à la poésie.
Il signe la pré­face à La Pierre Amour de Xavier Bor­des, édi­tions Gal­li­mard, col­lec­tion Poésie/Gallimard, 2015.