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L’extrême-occidentale de Ghérasim Luca

Les éditions Corti font réapparaître un livre de poésie fort singulier, L'EXTRÊME-OCCIDENTALE, de Ghérasim Luca, dont l'édition originale fut publiée en 1961 en Suisse, mais écrite par le poète en 1954, soit dès son arrivée en France.

Ces sept textes, s'apparentant à de la poésie, sont nommés par le poète des "rituels". Dans la publication originale par les éditions Meyer, sept grands peintres du surréalisme avaient apporté leur main à cette œuvre, chacun interprétant la poésie de Luca d'une gravure correspondant à l'un des sept rituels. Les éditions Corti reproduisent au cœur du livre ces sept gravures, signées Jean Arp, Victor Brauner, Max Ernst, Jacques Hérold, Wifredo Lam, Matta, Dorothea Tanning.

Ces textes tiennent du ballet, mais du ballet érotico-métaphysique où le couple est encouragé à suivre des portes que Luca nomme l'échelle, les statues, le rideau, le sang, la forêt, et enfin le catalyseur. Il s'agirait pour les participants d'entrer "en transcendance" par la pratique minutieuse de ces rituels de haute magie.

Le texte, d'ailleurs, est tissé de termes alchimiques qui confèrent à cet écrit une portée intérieure appliquée à la haute magie sexuelle. Pour Luca, ces textes sont sacrés, et c'est à une union des deux principes qui gouvernent la psyché humaine qu'il invite l'opérateur : le principe mâle et le principe femelle. Mais là où la psychanalyse parlerait d'animus et d'anima, Luca entend proposer une conjonction réelle des énergies, des corps et des formes par l'union des corps de l'homme et de la femme.

Le texte peut sembler difficile, car il baigne dans un ésotérisme opératif, mais sa beauté crève la page à toutes les lignes. Ce sont des rituels, certes, mais ce sont des visions transcrites de l'intérieur pour une incarnation extérieure. Ce texte s'apparente aux textes alchimiques du Moyen-âge, qu'il s'agit de méditer profondément afin d'en tirer la richesse fécondante. Il n'est que de s'arrêter sur des formules telles que "le silence est le prolongement convulsif de la parole" pour apprendre.

Ou boire ces propos frappés d'inspiration instinctive : "Bien que la pleine obscurité, chute d'eau enfouie dans la nuit de chaque être, soit à elle seule but et moyen des lustres suspendus à nos moindres tressaillements, dès qu'il s'agit de regarder ou de montrer - forme et mouvement, tout en nous devrait épouser la fluidité des flammes (le mystère du chaud, du rouge et du sec mis à part, qui sinon elles pour nous éclairer ?) - aucune lumière sourde, toujours la même lumière aveuglante braquée sur l'œil du voyeur."

Ou ceux-ci : "Les hommes qui incarnent la forêt et les femmes qui, renversées, la réfléchissent, se partagent les deux côtés du miroir".

Reste à savoir quel est le sens du titre, L'EXTRÊME-OCCIDENTALE, conféré par le poète à cet ensemble. Une partie de la réponse se trouve dans "le catalyseur" : "Sous cet éclairage décidément crépusculaire réglé d'ailleurs d'après les innombrables éclipses qui depuis plusieurs millénaires ne cessent d'annoncer la fin d'une civilisation, combien incertaine, combien hésitante, émouvante et pourtant dérisoire nous paraît la pâle lueur qui brille dans les yeux du Couple".

Car la pratique transformatrice inspirée par Luca dans le désir deviné de déjouer les prophéties du nihilisme voulant éradiquer avant l'heure la civilisation, se base sur une connaissance traditionnelle venue des côtes les plus reculées de notre occident actuel, celui qui passa par la Mésopotamie, l'Egypte, la Méditerranée et nos frères arabes, la Grèce bien-sûr, et le Moyen-âge. Luca entend, depuis cette connaissance traditionnelle reculée, réintégrer une énergie à ce qu'est devenu le monde sous sa forme occidentale, et cette tradition véritable, il la nomme L'EXTRÊME-OCCIDENTALE, comme notre mémoire la plus profonde et la plus capable, activement, de rejouer le plan du véritable amour.