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Jean-Marie Kerwich, Le livre errant

Jean-Marie Kerwich et son « livre errant »

Gitan et poète. Jean-Marie Kerwich est un Ovni dans la galaxie des lettres. Inclassable parce que sa poésie se moque de la poésie « installée ». Inclassable parce qu’elle se moque des genres, empruntant plutôt les voies de la prose dite poétique. Errante parce que le gitan est, par définition, nomade. Et le poète avec lui.

Sur son « livre errant » s’imprime tout ce qui la vie nous offre. En bien, en mal. En beau, en laid. « J’écris avec l’aide du vent qui tourne mes pages, avec l’aide du sang pourpre des feuilles des arbres ». Ainsi peut-il saisir au vol l’humeur du temps. « Le livre errant doit consigner les propos de rejetés. La petite herbe qui sort du béton, le clochard qui se fait chauffer une boîte de haricots sur le rebord d’un mur ». Le « livre errant » est là pour témoigner de notre époque. Dans toutes ses vilénies. Dans toutes ses turpitudes.

Je n’étais pas fait pour ce cirque planétaire. Je suis las d’être le commis de la poésie avec pour toute récompense d’être enfermé dans le tombeau d’un livre.

Jean-Marie KERWICH, Le livre errant, Mercure de France, 92 pages, 10 euros

Jean-Marie KERWICH, Le livre errant, Mercure de France, 92 pages, 10 euros

Jean-Marie Kerwich nous dit que la poésie c’est d’abord la vie. Et qu’il faut se garder de l’enfermer dans des formes « parfumées ». Au fond, c’est un essai poétique sur la mission de la poésie qu’il nous propose ici. « Je veux chercher des mots qui soient indispensables », écrivait-il déjà dans un précédent livre (L’évangile du gitan, Plon 2008). « On dit que je suis poète : c’est une erreur, c’est mon âme qui tient par un fil à la boutonnière de mon vieux manteau », affirme-t-il aujourd’hui. Aussi refuse-t-il un « numéro de matricule littéraire » qui le rangerait dans la « catégorie poésie ». Il s’amuse même d’avoir obtenu un prix d’écrivain croyant alors qu’il n’a « pas la foi » (ce qui ne l’empêche d’évoquer, à plusieurs reprises, une figure qui lui est chère, celle du « crucifié »).

Jean-Marie Kerwich ne fait pas carrière dans la poésie. Il nous dit que la poésie est forcément dans les marges. Loin des carrières et des ambitions littéraires.

Moi, le livre errant, j’avais décidé de ne plus écrire, de mettre fin à cette lutte littéraire, sachant que les occidentaux ne savent plus lire, que seuls les intéressent les phrases qui portent des porte-jaretelles.

Constat sans concession, dans une forme de nostalgie et aussi d’amertume autour du temps qui passe. Sous le poète (qui refuse de l’être comme on l’entend habituellement) pointe de bout en bout le gitan.

Moi, c’est Romanichello. Je ne suis ni poète ni philosophe. Juste un homme habitué à s’adosser aux arbres.

Il nous livre donc un livre « errant » écrit au plus près de sa chair. « Que l’encre de ma plume me crache au visage si je n’écris pas la vérité », lance-t-il.

Dans la lignée des livres d’Alexandre Romanès, Lydie Dattas ou Christian Bobin, le poète gitan Jean-Marie Kerwich est un «un ange qui boîte» (titre de son premier livre).

Moi le livre errant, je retrouve en écrivant une joie éternelle. Mon ange pourpre se tient près de moi, c’est une bouteille de vin à deux sous.