Claude Vigée : la disparition d’un grand poète

Par |2020-10-21T08:48:46+02:00 19 octobre 2020|Catégories : Claude Vigée|

Immense auteur, Claude Vigée vient de décéder à l’âge de 99 ans. Né à Bis­chwiller en Alsace, il avait enseigné quar­ante ans la lit­téra­ture com­parée en Nou­velle Angleterre et à l’université hébraïque de Jérusalem avant de venir s’installer à Paris. En 1996, il avait obtenu le Grand prix de poésie de l’Académie française et, en 2008, le prix Goncourt de la poésie.

 

Que retenir de son œuvre impor­tante de poète, essay­iste, con­teur, diariste, tra­duc­teur (notam­ment de Rilke), mar­quée par un grand élec­tisme, car ses livres sont sou­vent des ouvrages patch­work mêlant dif­férents gen­res lit­téraires ? Pour Claude Vigée, l’écriture était une néces­sité vitale. « Il s’oppose à une con­cep­tion du poème comme objet esthé­tique affranchi de son ancrage exis­ten­tiel », notait Anne Mounic dans la pré­face à la pub­li­ca­tion de ses œuvres complètes.

C’est le fond rur­al alsa­cien, relayé ensuite par la poésie biblique, qui donne à la poésie de Claude Vigée cette vigueur exis­ten­tielle ancrée dans la sub­stance ter­restre de l’être.

D’où, chez le grand auteur juif,

une apti­tude au réel et cette méfi­ance à l’égard de l’abstrait, fruit d’une expéri­ence com­pos­ite, qui fonde la vigueur de ses poèmes.

Expli­ca­tion du texte “Les Orties Noires” par son auteur. Inter­view réal­isé à Paris, en 2013, Sectionvideocch.

S’il fal­lait rap­procher Claude Vigée de cer­tains poètes con­tem­po­rains, on pour­rait donc citer Reverdy, Bon­nefoy, Jac­cot­tet ou encore Guille­vic. « Rien n’arrive, sinon/Etre présent au monde », résumait laconique­ment Claude Vigée dans un de ses poèmes. « La poésie, dis­ait-il encore, passe par­fois à tra­vers les pires hor­reurs de l’histoire, et per­met d’éprouver mal­gré tout l’extase sur les décom­bres » (Le fin mur­mure de la lumière, édi­tions Parole et Silence, 2009).

Les poètes, dis­ait-il encore, ressem­blent à ces chevaux de halage que j’ai vus remon­ter le cours du Rhin dans mon enfance : ils souf­flent et ils souf­frent, mais obstiné­ment ils marchent en traî­nant leurs bateaux chargés de char­bon ou de graviers jusqu’au terme du long voy­age de la vie.

 

L’après-midi poé­tique du 10 mars 2012 fut couron­née par une lec­ture de poèmes de Claude Vigée, en mars 2018, “ate­lier­GuyAnne”, http://revuepeut-etre.fr.

Claude Vigée avait trou­vé dans la Bible sa référence et sa source. Les fig­ures de Jacob, Job et Jonas ont notam­ment mar­qué son imag­i­naire. Dans son œuvre, il nous a mon­tré ce que pou­vait être l’espérance lorsqu’elle survit, « mal­gré nous, mal­gré tout », au lucide et ter­ri­fi­ant con­stat de « la démence meur­trière des hommes ». L’œuvre poé­tique était alors, selon lui, au ser­vice d’une aven­ture  qui la dépas­sait infin­i­ment : trans­met­tre la vie. « Le secret de l’arrachement/c’est ce par­fum qui subsiste/et œuvre avec patience/sous la neige hors du temps/comme le cri du rouge-gorge/­caché au cœur de l’hiver/dans la flo­rai­son blanche/de l’amandier invis­i­ble », écrivait Claude Vigée, en décem­bre 1995, à Jérusalem.

    

Yvon Le Men reçoit Claude Vigée, le 21 août 2008, Bibacheres.

Face au doute et à la dés­espérance qui hante les auteurs dont l’œuvre est fondée sur le refus et la néga­tion, Claude Vigée oppo­sait l’affirmation d’une con­fi­ance lucide dans la vie et dans le lan­gage. « Qu’est-ce donc que la poésie » ? inter­ro­geait-t-il. « Un feu de camp abandonné/qui fume longue­ment dans la nuit d’été/sur la mon­tagne déserte ».

A lire, L’homme naît grâce au cri,  poésies choisies (1950–2012), Points Seuil, 336 pages, 7,8 euros ; Mon heure sur la terre, poésies com­plètes (1936–2008), Galaade édi­tions, 925 pages, 39 euros.

Lec­ture musi­cale, Claude Vigée, Le veilleur, Bib­lio­thèques Idéales, 2017.

Présentation de l’auteur

Claude Vigée

Claude Vigée est né à Bis­chwiller dans Bas-Rhin le 3 jan­vi­er 1921. Il est issu d’une famille juive établie en Alsace depuis plus de trois siè­cles. Son enfance se passe dans le Rhin. Dans les années suiv­ant la pre­mière guerre mon­di­ale, on y par­lait surtout le dialecte alsacien.

Ayant ter­miné ses études sec­ondaires, il est  expul­sé d’Al­sace avec tous les siens à la suite de l’oc­cu­pa­tion nazie. Etu­di­ant en médecine, il par­ticipe à l’or­gan­i­sa­tion de la résis­tance juive à Toulouse con­tre l’oc­cu­pa­tion hitléri­enne et le gou­verne­ment de Vichy, d’oc­to­bre 1940 à fin 1942. Il pub­lie ses pre­miers vers dans la revue résis­tante Poésie 42, chez Pierre Seghers, à Villeneuve-lès-Avignon.

Réfugié aux Etats-Unis au début de 1943, il s’y marie après la guerre avec sa cou­sine Eve­lyne, et y ter­mine son doc­tor­at en langues et lit­téra­tures romanes en 1947.

Il enseigne la lit­téra­ture française à l’O­hio State Uni­ver­si­ty, à Welles­ley Col­lege, puis à l’U­ni­ver­sité Bran­deis, près de Boston. C’est là que gran­dis­sent ses enfants, Clau­dine et Daniel, nés en 1948 et 1953.

En 1950, il pub­lie son pre­mier livre de poèmes, La lutte avec l’ange, à Paris, En 1954 paraît La corne du Grand par­don (Pierre Seghers), en 1957 L’été indi­en, accep­té chez Gal­li­mard par Albert Camus, puis, en 1962, au Mer­cure de France, Le poème du retour.

Arrivé en Israël durant l’été 1960, il est nom­mé pro­fesseur de lit­téra­ture française et com­parée à l’U­ni­ver­sité hébraïque de Jérusalem, où il enseigne jusqu’à sa retraite, en 1983.

Les poèmes écrits de 1939 à 1971 sont réu­nis et parais­sent en 1972 sous le titre Le soleil sous la mer, chez Flam­mar­i­on. En 2001, Claude et Evy Vigée revi­en­nent à Paris. 

Claude Vigée est décédé en son domi­cile parisien le 2 octo­bre 2020, à l’âge de 99 ans. 

Il a reçu plusieurs prix lit­téraires français et étrangers :

  • Prix inter­na­tion­al Jacob-Bur­ck­­hardt (Suisse, 1977),
  • Prix Fémi­na Vacaresco pour la Cri­tique (1979),
  • Prix Johann-Peter Habel (R.F.A. 1984),
  • Grand prix de Poésie de la Société des Gens de Let­tres de France (Paris 1987),
  • Prix de la Fon­da­tion du Judaïsme français (1994),
  • Grand prix de Poésie de l’A­cadémie française (1996),
  • Prix de Lit­téra­ture européenne de la Fon­da­tion Würth (2002),
  • Prix de l’Ami­tié judéo-chré­ti­enne (octobre2006),
  • A la suite de la paru­tion de Mon heure sur la terre — Poésies com­plètes 1936–2007, la Bourse Goncourt de la Poésie pour l’an­née 2008 a été attribuée à C. Vigée pour l’ensem­ble de son oeu­vre. Elle lui a été remise le 13 jan­vi­er 2009.
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Pierre Tanguy

Pierre Tan­guy est orig­i­naire de Lesn­even dans le Nord-Fin­istère. Ecrivain et jour­nal­iste, il partage sa vie entre Quim­per et Rennes. En 2012, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le prix de poésie attribué par l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire. Ses recueils ont, pour la plu­part, été pub­liés aux édi­tions ren­nais­es La Part com­mune. Citons notam­ment “Haïku du chemin en Bre­tagne intérieure” (2002, réédi­tion 2008), “Let­tre à une moni­ale” (2005), “Que la terre te soit légère” (2008), “Fou de Marie” (2009). Dernière paru­tion : “Les heures lentes” (2012), Silence hôpi­tal, Edi­tions La Part com­mune (2017). Ter­res natales (La Part Com­mune, 2022) Voir la fiche d’auteur

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